Il y a des universités qui poussent le bouchon trop loin en inscrivant jusqu’à 700 étudiants dans une même classe. Classe sardines ? Vous n’y êtes pas du tout ! Les étudiants sont complètement isolés. Chacun dans leur appartement, ils suivent le cours préenregistré à partir de leur ordinateur.

Zéro interaction avec le professeur. Zéro interaction avec les autres étudiants. Zéro expérience de campus. Pour couronner le tout, on évalue les connaissances acquises avec un examen à choix de réponses qui offre l’avantage évident de se corriger en deux temps, trois mouvements.

Ka-chling ! On entend presque résonner le tiroir-caisse de l’université qui transforme les étudiants en vaches à lait grâce à la « magie » de l’enseignement virtuel.

Il faut savoir que les universités reçoivent le même financement de la part de Québec et les mêmes droits de scolarité de la part des étudiants, que le cours soit donné en personne ou en ligne.

C’est une aberration puisque les cours en ligne permettent de grandes économies d’échelle, particulièrement ceux qui sont préenregistrés.

Une fois le cours produit, il est bon pour l’éternité. Parlez-en aux étudiants de l’Université Concordia qui ont été surpris d’apprendre que leur professeur enseignait… de l’au-delà, puisque son cours virtuel était encore offert des années après sa mort, rapportait Le Devoir, en 20211.

D’accord, on ne peut pas nier les avantages des cours en ligne pour certains étudiants. Ceux qui peinent à combiner leurs cours et leur horaire de travail chargé. Ceux qui vivent loin de l’université et qui n’ont pas les moyens de payer un appartement près du campus, alors que l’inflation fait grimper le coût de la vie… et les dettes étudiantes.

Dans ce contexte, on peut comprendre que certaines universités se positionnent comme des chefs de file de l’enseignement à distance. C’est le cas de l’Université Laval, dont près du tiers de la clientèle ne suit aucun cours en personne.

Mais attention : ce virage ne doit pas se faire au détriment des étudiants qui veulent un professeur en chair et en os.

Jeudi dernier, le dossier percutant de nos collègues Louise Leduc et Marie-Eve Morasse racontait à quel point des jeunes inscrites au baccalauréat en psychologie à l’Université Laval étaient démoralisées de suivre presque tous leurs cours à distance, comme si on était encore en pleine pandémie2.

Ça n’a aucun sens de pousser les jeunes à rester cloîtrés, eux dont la santé mentale a souffert de la COVID-19, plus que toute autre génération.

Et ce n’est pas rétabli.

Encore en 2023, la moitié des jeunes de 17 à 25 ans ont des symptômes d’anxiété ou de dépression sévère à modérée, si on se fie à une étude réalisée auprès de quelque 18 000 jeunes dans quatre régions du Québec3.

La moitié ! C’est catastrophique.

Évidemment, on ne peut pas mettre tout cela sur le dos de l’enseignement à distance. Mais quand on demande aux étudiants postsecondaires ce qui favoriserait leur bien-être, leur première réponse est : développer plus de liens significatifs en milieu scolaire.

La science leur donne raison : l’isolement, c’est pire que la cigarette ! Les gens qui souffrent d’un manque d’interactions sociales ont une espérance de vie plus courte que ceux qui fument4.

Voilà un enjeu crucial de santé publique dont les universités doivent tenir compte, d’autant que les interactions en personne favorisent la réussite scolaire. Lors de tests standardisés, les élèves qui passent davantage de temps sur les bancs d’école obtiennent de bien meilleures notes que ceux qui étudient à distance5.

C’est sans compter que les liens noués à l’université permettent souvent à l’étudiant de bâtir un précieux réseau social et professionnel qui restera durant toute sa carrière.

Tout ça pour dire que la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, devrait modifier le financement pour l’enseignement à distance qui est devenu une manne pour les universités.

À l’heure actuelle, environ 80 % du financement est versé en fonction du nombre d’étudiants inscrits, ce qui pousse les établissements à repasser le même cours préenregistré à des milliers d’étudiants au fil des sessions.

Pour rééquilibrer les choses, Québec pourrait verser l’essentiel du financement lors de la production initiale du contenu – c’est ce qui représente le gros de la facture d’un cours préenregistré – et accorder un financement beaucoup plus limité par la suite.

Ça tombe bien, car la ministre est justement en train de revoir la Politique de financement des universités.

La formule actuelle de financement par étudiant a le mérite d’encourager les universités à ouvrir toutes grandes leurs portes, ce qui favorise l’accessibilité aux études supérieures, mais peut aussi mener à une course à la clientèle malsaine.

Permettez une dernière suggestion : si Québec finançait un peu plus en fonction de la diplomation, cela mettrait davantage l’accent sur la persévérance et la réussite scolaire… pourvu que les universités n’abaissent pas leurs standards afin d’obtenir les sous.

On ne veut pas des étudiants vaches à lait. Mais on ne veut pas des diplômes au rabais non plus.

1. Lisez l’article du Devoir « Un professeur décédé donne des cours virtuels à l’Université Concordia » 2. Lisez le dossier « Universités : les classes à distance s’imposent » 3. Consultez l’édition 2023 du rapport Enquête sur la santé psychologique des 12-25 ans 4. Consultez le rapport Advancing Social Connection as a Public Health Priority in the United States (en anglais) 5. Consultez le rapport Pandemic Schooling Mode and Student Test Scores : Evidence from US States (en anglais)