Il y a quelques semaines, Charlotte (prénom fictif pour préserver l’anonymat demandé) a quitté la région de Montréal pour s’installer en appartement à Québec, où elle a entrepris un baccalauréat en psychologie à l’Université Laval.

La jeune femme de 20 ans a eu la surprise de constater que sur les cinq cours de sa première session, un seul se donne en classe. « C’est comme si on était encore en pandémie », dit-elle. C’est de son appartement, à un jet de pierre du campus, qu’elle fait 80 % de ses cours. L’un d’eux compte plus de 700 étudiants inscrits, tous en ligne.

L’Université Laval est l’une de celles qui se positionnent le plus comme un « chef de file de l’enseignement à distance », avec « plus de 150 programmes à distance et plus de 2000 cours en ligne ! », peut-on lire sur son site internet.

« Optez pour un baccalauréat à distance à l’Université Laval dans le confort de votre foyer », dit pour sa part le site de la faculté des sciences de l’administration de la même université.

En entrevue, Cathia Bergeron, vice-rectrice aux études et aux affaires étudiantes à l’Université Laval, indique que cet automne, « 68,5 % de [leurs] étudiants ont au moins un cours en présentiel ».

En tout, 31,5 % de la population étudiante de l’établissement est inscrite seulement à distance.

Sur le cas précis du baccalauréat en psychologie (un programme aussi couru que contingenté), Mme Bergeron répond que ce programme « est en transformation ».

Elle souligne que des tailles de groupe aussi élevées sont exceptionnelles. Un seul cours à l’Université Laval compte plus de 500 étudiants – celui en psychologie, donc – et une dizaine de cours comptent plus de 300 personnes inscrites, nous précisera-t-on plus tard.

« J’ai le goût d’abandonner »

Trois des cours de Charlotte sont « asynchrones ». Les étudiants visionnent des capsules PowerPoint préenregistrées, dit-elle. « Tu fais play. Tu imprimes tes notes de cours, tu lis les pages. Il n’y a pas beaucoup d’interactions. »

Commencer son baccalauréat à distance après avoir fait une bonne partie de son cégep de la maison en raison de la pandémie, « c’est déprimant », dit Charlotte, qui ajoute qu’elle était loin d’avoir compris qu’il en serait ainsi.

Sur le site de l’Université Laval, certains des cours de psychologie en cause portent la mention « cours pouvant être offert à distance synchrone ou asynchrone », ce que Charlotte a interprété comme étant une formule hybride.

Une première session à distance, ce n’est pas non plus ce qui a été vendu à Bianca (aussi un prénom fictif), sa camarade de classe. « J’ai le goût d’abandonner, mais en même temps, c’était mon grand rêve, de faire ce baccalauréat en psychologie. »

Ça me déplaît vraiment beaucoup. On n’a aucune relation avec les professeurs, leurs capsules sont filmées.

Bianca, étudiante en psychologie à l’Université Laval

« On a 24 heures pour faire les examens de chez soi, des examens à choix de réponse, explique-t-elle. À distance comme ça, c’est clair que certains trichent, se mettent en équipe. »

L’enjeu est pourtant de taille : pour devenir psychologues, les étudiants doivent se rendre au doctorat, où il n’y a qu’une poignée d’admis.

À l’UQAT, c’est une question d’accessibilité

À l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT), c’est 53 % des étudiants qui ont été admis cet automne dans un programme dont la formation se fait à distance.

« On n’est pas la TELUQ [université 100 % à distance], on ne souhaite pas donner totalement nos formations à distance. L’enseignement en présence est extrêmement important », dit néanmoins Vincent Rousson, recteur de l’UQAT.

Or, l’enseignement à distance est « une tendance qui va probablement continuer pour plusieurs années », explique M. Rousson, qui ajoute que dans cette vaste région qu’est l’Abitibi-Témiscamingue, c’est une question « d’accessibilité aux études ».

« Le portrait typique d’une étudiante à l’UQAT, c’est une femme âgée de plus de 30 ans avec enfants. C’est énormément d’étudiants qui font des retours aux études à temps partiel », dit M. Rousson. Seuls 30 à 40 % des étudiants inscrits à l’UQAT arrivent du cégep, un taux « beaucoup plus élevé » dans d’autres universités.

À l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Jenny Desrochers, directrice du service des communications, indique qu’il y a 842 cours cet automne qui sont à distance, hybrides et comodaux. « On observe donc une stabilité de l’offre de ces cours dont la majorité a été créée dans le contexte de la pandémie. »

À l’Université de Sherbrooke, on nous dit que la proportion de cours offerts en présentiel au 1er cycle « avoisine les 96 % ».

L’appétit des administrations 

Madeleine Pastinelli, présidente de la Fédération québécoise des professeurs d’université, rappelle que le financement des universités est lié au nombre d’étudiants inscrits. « La tentation de multiplier les cours en ligne et d’attirer ainsi des étudiants étrangers a été très forte. C’est une manne pour les universités, sans qu’elles se soucient toujours de la qualité [des formations]. »

On n’est plus en pandémie, les confinements ont été levés, mais les enjeux des cours à distance font l’objet d’un bras de fer entre le syndicat des professeurs et l’administration de l’Université Laval, explique Louis-Philippe Lampron, président du Syndicat des professeurs de cet établissement.

Qui décide des cours offerts en présentiel ou pas ? « On a l’impression qu’il y a un appétit très grand pour pérenniser la formation à distance » de la part de l’administration, répond M. Lampron, qui souligne qu’avec elle, la taille des locaux n’est plus une limite.

Mais, « par une écrasante majorité, les profs eux-mêmes sont favorables à la vie de campus pré-pandémie », affirme M. Lampron à la lumière d’une consultation avec ses troupes menée il y a quelques mois.

À son avis, une réflexion de fond est à faire, avec les professeurs.

Pour l’heure, à l’Université Laval (comme à l’UQAM), il revient à un comité lié à chaque programme de décider quels cours se donnent à distance.

Quant au gouvernement, il ne s’en mêle pas. La décision d’offrir ou non des cours à distance « appartient aux établissements, de concert avec leur corps professoral », a répondu Simon Savignac, attaché de presse de Pascale Déry, ministre de l’Enseignement supérieur.