La claque fait toujours plus mal quand elle vient de notre propre camp.

Que l’opposition critique les milliards de subventions à la filière batterie, c’est dans l’ordre des choses pour la CAQ. Mais que le grand patron de la Banque Nationale exprime son scepticisme, fait rarissime de la part d’un financier, ça pince davantage.

D’autant plus que les ténors économiques de la Coalition avenir Québec (CAQ) que sont Pierre Fitzgibbon et Eric Girard sont passés par la Banque Nationale.

Pour un gouvernement qui est dirigé par des gens d’affaires, normalement peu portés sur l’interventionnisme de l’État, il est surprenant de voir à quel point la CAQ a le chéquier grand ouvert pour aider les entreprises.

Québec demande aux fonctionnaires et aux municipalités d’être raisonnables. D’accord. Mais en même temps, il est le champion canadien de la subvention aux entreprises, dépassé seulement par la Saskatchewan1.

À ce compte, on ne dirait pas que la CAQ est issue d’une fusion avec l’ancienne Action démocratique du Québec (ADQ) qui promettait de couper les tentacules du gouvernement, jugé trop envahissant.

Les temps changent.

Cette semaine, la jeune société suédoise Northvolt a annoncé le plus important investissement privé de l’histoire du Québec.

Le projet de 7 milliards de dollars pour la construction d’une usine de cellules – un composant des batteries de véhicules électriques – sera financé à 40 % par les gouvernements, qui y injectent 2,7 milliards.

Par la suite, les gouvernements verseront des subventions pouvant atteindre 4,6 milliards afin d’appuyer la production (un tiers Québec, deux tiers Ottawa), un copier-coller de l’aide offerte aux États-Unis.

Total pour les gouvernements : 7,3 milliards.

Mais ce n’est que le début. La filière batterie, qui a investi 15 milliards au Québec jusqu’ici, pourrait se rendre à 30 milliards… ou même à 50 milliards, avance Québec. Bonjour les subventions !

Bien sûr, on se réjouit que la CAQ se place du bon côté de la transition énergétique, en développant une industrie de pointe qui reposera sur nos ressources minérales et notre hydroélectricité.

Mais quand on « traduit l’ambition en chiffres, ça peut donner le vertige », comme l’a si bien dit le cofondateur de Northvolt, devant un parterre de politiciens euphoriques.

Disons-le, c’est un gros pari avec l’argent des contribuables, qui en ont vu, des flops, dans le passé.

Pensez à Magnola, il y a 20 ans. L’entreprise devait produire le magnésium le moins coûteux au monde grâce à nos ressources et à notre électricité bon marché. Mais le gouvernement a perdu la face lorsque l’entreprise a annoncé qu’elle fermait ses portes, incapable de concurrencer la Chine.

Aujourd’hui, les contribuables doivent croiser les doigts pour que rien ne bouscule les plans de la filière batterie, dans laquelle Québec place d’énormes espoirs. Ils doivent espérer que la technologie ne sera pas dépassée avant que les gouvernements récupèrent leur mise, à travers les retombées économiques.

Combien de temps cela prendra-t-il ? Treize ans, estime Québec pour Northvolt.

Mais pour en avoir le cœur net, on aurait grandement besoin d’un Directeur parlementaire du budget, comme à Ottawa, qui serait en mesure de fournir un avis solide et indépendant afin d’éclairer le débat public sur les enjeux cruciaux2.

Le débat concernant la filière batterie doit notamment s’articuler autour de l’énergie et de la main-d’œuvre.

De l’énergie, il nous en faudra beaucoup plus. Faut-il un nouveau barrage ? Du nucléaire ? Faire fonctionner nos lave-vaisselle la nuit ? Au lieu de lancer des solutions à la pièce, la CAQ doit mener une réflexion nationale sur l’énergie.

De la main-d’œuvre, il en faudra aussi. Là encore, on est mûrs pour une grande discussion. En construction, par exemple, quelles sont nos priorités ? Les écoles et les hôpitaux ? Le logement ? Le développement de la filière batterie ?

L’usine de Northvolt aura besoin de 3000 travailleurs. Où va-t-on les trouver ? Chez d’autres entreprises dont le modèle d’affaires tient la route sans subventions ?

On n’est plus à l’époque où il était logique de subventionner la création d’emplois pour lutter contre le chômage élevé.

C’est dans ce contexte qu’est né le crédit d’impôt pour la production de titres multimédias, il y a 25 ans. L’initiative a permis de bâtir la Cité du multimédia. Le Québec est devenu une plaque tournante des jeux vidéo qui emploie aujourd’hui 13 500 personnes. Un impact majeur.

Mais ces dernières années, bien des sociétés québécoises ont déploré que des entreprises étrangères – grandes bénéficiaires de ce crédit qui coûte 340 millions par année – leur livrent une concurrence déloyale, en embauchant la main-d’œuvre dont ils manquent.

Retirer le crédit ? Pas si simple : les multinationales peuvent quitter le Québec pour une province ou un pays plus généreux.

C’est le même genre de surenchère des subventions qui se met en place pour stimuler l’industrie verte et atteindre nos cibles de réduction de GES. L’objectif est noble. Mais tout ça contrecarre l’OCDE qui se fend en quatre pour freiner la concurrence fiscale mondiale en instaurant un impôt minimum pour les multinationales.

Qu’à cela ne tienne. Les États-Unis ont débloqué près de 400 milliards US pour l’industrie verte. Le Canada a répliqué avec un plan de 82,7 milliards dont l’Ontario a déjà grandement bénéficié.

Ne voulant pas se priver de la manne, Québec entre donc dans la valse des subventions en se disant : tout le monde le fait, fais-le donc.

La position de La Presse

Le développement de la filière batterie est une noble cause. Mais le risque est élevé pour les contribuables. Dans un contexte de pénurie, nous avons besoin d’une conversation nationale pour déterminer s’il s’agit de la façon la plus optimale d’utiliser notre argent, notre énergie et nos travailleurs.

1. Consultez le rapport sur les coûts des subventions aux entreprises de l’institut Fraser 2. Lisez notre éditorial « L’outil qui manque à l’Assemblée nationale »