Avec la filière batterie, le gouvernement Legault inverse notre rôle dans la lutte contre le dérèglement climatique. En prenant le risque de se salir les mains.

Depuis trois décennies, notre parc automobile augmente plus vite que la population. Les voitures sont plus nombreuses et plus grosses. Nos émissions de gaz à effet de serre (GES) en transport ont ainsi bondi de 60 % entre 1990 et 2019. Mince consolation, cette hausse aurait été encore plus grande sans les innovations technologiques étrangères qui rendent les moteurs moins énergivores.

Or, ces dégâts sont en partie cachés chez nous. Ce pétrole est essentiellement importé des États-Unis et de l’Ouest canadien. Et ce n’est pas ici que les sols sont forés et contaminés. Ni ici que les GES de cette extraction sont comptabilisés.

Avec la filière batterie, ce sera le contraire. Le Québec cesserait d’être un spectateur. Il descendrait sur le terrain pour jouer un rôle dans la transition énergétique.

François Legault et Justin Trudeau misent gros.

Northvolt recevra 2,7 milliards pour construire son usine. La part de Québec est de 1,37 milliard, dont 567 millions en prise de participation dans l’actionnariat.

La société étrangère recevra aussi jusqu’à 4,6 milliards pour exploiter son usine (Ottawa 66 %, Québec 33 %). Cette subvention sert à égaler ce que les États-Unis offraient. Elle varie selon la production. Plus Northvolt fabrique de batteries, plus le chèque grossit. Cette aide sera retirée quand le programme américain disparaîtra.

J’ai déjà écrit sur la pertinence de ces investissements, et des collègues le font aussi cette semaine. Cette fois, je veux explorer un angle moins couvert, celui de l’environnement.

L’Agence internationale de l’énergie exhorte les pays développés à ne plus exploiter de nouveaux gisements pétroliers et gaziers, et à réduire leurs émissions de GES de 80 % d’ici 2035.

Or, électrifier les transports ne suffira pas. Car ces batteries ne sont pas si vertes. La Chine est le meneur mondial, et son empreinte carbone dépasse 100 kg de CO2/kWh. Comme l’expliquait le patron de Northvolt récemment dans The Economist, elle rase des forêts pluviales en Indonésie, exploite des mines à ciel ouvert alimentées par des génératrices au diesel et contamine les eaux.

Pour éviter le pire du choc climatique, il faut à la fois électrifier les voitures, réduire leur nombre et réduire leur empreinte carbone.

Près de la moitié des GES générés par la construction des batteries provient de l’extraction de minerais (graphite, lithium, nickel). L’autre partie résulte de leur construction en usine.

C’est ici que le Québec peut faire une différence. En imposant des conditions strictes aux minières, en exploitant les usines avec de l’énergie renouvelable et en recyclant les composantes, il atténuerait l’impact écologique des batteries.

Aujourd’hui, le Québec ne compte pas les GES produits ailleurs pour faire rouler ses voitures à essence. D’ici quelques années, ce sera le contraire. D’autres pays importeront nos batteries sans en inclure l’empreinte carbone chez nous.

IMAGE NORTHVOLT, FOURNIE PAR REUTERS

Rendu 3D des futures installations de Northvolt à McMasterville

De leur point de vue, que la batterie ait été produite au Québec ou en Chine, cela ne change rien à leur bilan de GES.

Du point de vue du Québec, c’est une industrie additionnelle qui ajoutera à nos émissions. Par exemple, les mines de graphite se situent au sud, souvent près de riverains. Il faudra intensifier l’exploitation des mines, ajouter des éoliennes ou des centrales hydroélectriques, construire les usines et étaler les villes afin de loger ces travailleurs. La liste des mécontents ne fera que croître.

Mais pour la planète, ce sera une bonne nouvelle si les batteries du Québec sont moins polluantes que les modèles chinois ou que les combustibles fossiles. Après tout, les GES ne s’arrêtent pas aux frontières.

Si MM. Legault et Trudeau se lancent dans cette aventure, c’est toutefois pour l’économie.

On accuse souvent les politiciens d’être incapables de voir plus loin que le prochain cycle électoral. Ce dossier prouve le contraire.

Vrai, MM. Legault et Trudeau espèrent profiter de cette annonce. Mais ils s’exposent aussi à des critiques, en raison de l’ampleur de l’aide publique.

Ils font surtout un pari sur l’avenir en anticipant l’économie du futur. Et tout indique qu’ils ne seront plus au pouvoir quand on pourra savoir s’ils ont été visionnaires ou imprudents.

Mais au minimum, on peut déjà en conclure trois choses.

D’abord, M. Legault fait sortir le Québec de son rôle habituel de passager clandestin pour s’impliquer dans la transition énergétique mondiale.

Ensuite, il le fait avec une perspective nationaliste. S’il n’avait pas bougé, le fédéral n’aurait pas suivi et l’argent serait allé aux autres provinces. Enfin, il paye très cher. Beaucoup plus qu’il n’aurait voulu. Le président américain Joe Biden a lancé une surenchère avec son Inflation Reduction Act qui fait mal à tout le monde. L’Europe et le Japon ont même songé à poursuivre les Américains à cause de cette concurrence déloyale. Si le Québec offre autant d’argent, c’est pour égaler la mise.

Dans ce cas-ci, ce qui se passe est exactement le contraire de l’approche souhaitée pour la crise climatique. Au lieu de coopérer, les États se concurrencent, et tout le monde en paye le prix.