« Je n’aime pas ça, ces affaires-là », lançait François Legault plus tôt cette année. Pas question pour lui de souligner ses 25 ans en politique. Ça contredirait l’image de la CAQ comme jeune parti, force de changement.

Le prétexte est beau toutefois pour réfléchir à sa carrière. J’ai fouillé dans les archives pour lire ses allocutions et interviews marquantes.

Il est difficile de distinguer un fil conducteur. M. Legault n’est pas un politicien typique, et encore moins un idéologue. Il se définit comme un pragmatique qui refuse les étiquettes « gauche » et « droite ». C’est aussi un émotif et un impatient. Il est resté fidèle à une poignée de proches collaborateurs, mais il a laissé derrière lui des gens s’estimant trahis. À la fois entêté et capable de reconnaître ses erreurs, il colle à quelques obsessions tout en sachant lire l’humeur populaire pour s’y ajuster, surtout quand ça l’arrange.

La politique arrive à François Legault par accident, et sur un plateau d’argent. Cela contraste avec ses débuts.

Il naît dans un milieu modeste. Ses parents ont été mariés par le chanoine Lionel Groulx, le grand-oncle de sa mère. Francophone esseulé dans le « West Island », il comprend vite que le retard historique de son peuple n’est pas tout à fait comblé.

Il devient le premier de sa famille à accéder à l’université. Il profite aussi du régime d’épargne-actions et du Fonds de solidarité FTQ, qui ont capitalisé le Groupe Air Transat et permis de faire de lui un multimillionnaire.

Comme ministre recrue, il veut poursuivre cet interventionnisme économique pour émanciper les Québécois. Puis, à l’éducation, un déclic se fait. Il comprend le lien entre formation et prospérité. Et pour le jeune père de famille, ça devient personnel.

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Le premier ministre du Québec, François Legault, et sa femme, Isabelle Brais

On le voit retenir ses larmes en conférence de presse lors d’une annonce pour les élèves en difficulté. Il lance notamment le programme Agir tôt, un titre qui sera repris près de 20 ans plus tard par son gouvernement caquiste.

En 2001, il rédige sa lettre de démission, prêt à claquer la porte si le président du Conseil du trésor n’ajoute pas un milliard au budget en éducation malgré la lutte contre le déficit.

Ces deux thèmes formeront toujours le socle de son engagement. Autre constante, son approche : importer les méthodes du privé pour gérer la social-démocratie. Les syndicats s’en sont toujours méfiés pour cette raison.

Tant à la Santé qu’à l’Éducation, il se bute à ceux qui jugent cette approche « simpliste ». Mais jamais il ne lâche le morceau. Il revient à la charge dans son discours de démission du Parti québécois (PQ), dans le manifeste de création de la Coalition avenir Québec et dans ses priorités comme premier ministre.

C’est ailleurs que le parcours devient parfois sinueux.

En 1998, il se rallie à un rêve, le pays du Québec. Et il appartient au camp des pressés. Il rédige le budget de l’an I de l’indépendance et souhaite un référendum tôt dans un premier mandat. Mais en 2009, au lendemain de la fête nationale, il abandonne. Il déplore le « cynisme ambiant » et soutient que le PQ fait plus partie du problème que de la solution.

Il ne croit plus à l’indépendance. Ou, du moins, il n’y croit plus parce qu’il juge que la population a arrêté d’y croire. Homme d’action, il tolère mal cette ambiguïté.

Cette impatience rappelle son départ surprise d’Air Transat. « On s’en va nulle part », a-t-il déjà justifié, sans vouloir donner tous les détails.

À sa démission en 2009, Jean Charest voit clair. On reverra M. Legault en politique, dit-il…

L’attente n’a pas été longue.

En 2011, il revient avec un virage spectaculaire. Il promet d’abord de mettre la question constitutionnelle entre parenthèses pendant 10 ans pour coaliser les fédéralistes et les indépendantistes. Forcé de se mouiller, il répond qu’il voterait Non à un futur – et hypothétique – référendum.

Influencé par les ex-adéquistes, il bloque la réforme de la Charte de la langue française de Pauline Marois.

Le chef caquiste va encore plus loin. Il nargue ses anciens collègues du PQ en les accusant de travailler au « pays imaginaire ». Bernard Landry le traitera d’« arriviste rongé par l’ambition ».

Quand le feu historien Frédéric Bastien allègue que la Cour suprême aurait manœuvré avec le gouvernement de Trudeau père pour faciliter le rapatriement unilatéral de la Constitution, M. Legault hausse les épaules. Lucien Bouchard juge alors cette indifférence « inacceptable ».

En 2014, l’arrivée de Pierre Karl Péladeau ravive le débat sur l’indépendance. M. Legault est pris en étau entre le PQ et le PLQ. L’année suivante, il change de tactique. La CAQ troque son logo arc-en-ciel pour le bleu du Québec et propose un « pacte » avec les nationalistes.

À la partielle dans Saint-Jérôme en 2016, la CAQ mise sur les baisses d’impôt, mais aussi sur le tchador. Même le PQ manque de fermeté, accuse alors M. Legault.

Son intérêt à ce sujet est tardif.

En 2004, dans une lettre intitulée « Le courage de changer », il prônait une « plus grande ouverture aux communautés culturelles ». « Nous devons leur donner toute la place qui leur revient », écrit-il dans ce manifeste. C’était une de ses trois priorités, avec le projet de pays et la performance des services publics.

Cet épisode témoigne à la fois de son opportunisme et de l’évolution du débat. Il sent que c’est ce que les citoyens réclament. Et il réagit aux critiques du Canada anglais comme s’il était encore le jeune militant qui cognait aux portes de l’Ouest-de-l’Île pour le PQ. Plus on refuse au Québec de choisir son modèle, plus il en fait une affaire personnelle.

Son nationalisme a muté en position défensive et souvent symbolique. La langue, socle de la nation, en est le meilleur exemple. Il dit craindre carrément une « louisianisation ». Si la menace est existentielle, ses solutions restent somme toute modérées.

Le style Legault explique une partie de son succès. Ses mots sont simples et directs. Ce n’est pas un « intellectuel », comme il le disait en reniant sa promesse de réformer le mode de scrutin. Mais c’est un lecteur vorace et un ancien élève doué – il a sauté sa dixième et sa douzième année.

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Le premier ministre du Québec, François Legault

Cette bonhomie l’a aidé durant la pandémie, tout comme sa capacité à reconnaître ses erreurs.

L’environnement est un bon exemple. Cela ne l’intéressait pas dans l’opposition. Sa conversion est tardive et graduelle. Il dit vouloir avancer au rythme de la population.

Un ancien collaborateur le qualifie de « tête dure ». Il peut passer de longs moments à s’obstiner avec sa garde rapprochée sur des détails de politique économique. Et parfois, deux jours plus tard, après avoir fini de réfléchir, il change d’avis.

Même s’il a passé deux fois plus de temps en politique qu’en affaires, son premier métier influence encore le deuxième. Il se fie à une sorte de comité informel réunissant une poignée de non-élus et de ministres influents. Son parti n’a pas de culture militante forte non plus : il désigne lui-même les candidats.

Jamais il ne paraît aussi heureux que lorsqu’il annonce de gros « deals » avec des entreprises, comme dans la filière batterie. Son nationalisme économique s’est trouvé un dossier phare, et il risque d’avoir fini d’en poser les jalons d’ici la fin de son mandat.

Quant à l’éducation et à l’efficacité de l’État, même si ç’a toujours été une priorité, il se cogne la tête contre un mur. Les enfants et les malades se font plus nombreux et le personnel manque.

Il se lance dans de périlleuses réformes pour créer une Agence de la santé, qui comporte à la fois des éléments de centralisation et de décentralisation, et pour notamment resserrer le contrôle sur les centres de services scolaires.

Cela l’occupera jusqu’à la fin de son mandat. Restera ensuite la question que personne n’ose poser dans son entourage. Après 25 ans de politique, quand aura-t-il l’impression d’être allé au bout de ce qu’il pouvait faire ?

Lisez « Chronologie : 25 ans de politique »