Vous voulez une image simple pour comprendre ? La voici : chaque voiture électrique équipée de cellules de batterie Northvolt du Québec aura coûté 3000 $ de subventions des gouvernements du Québec et du Canada.

Ces 3000 $ seront décaissés, que la voiture soit vendue à un Californien, à un Mexicain ou à un Canadien. Au total, le bouquet de fonds publics totalisera 7,3 milliards sur neuf ans, provenant à hauteur de 2,9 milliards de Québec et à hauteur de 4,4 milliards d’Ottawa.

C’est énormément d’argent public, plus que toute autre subvention accordée à un investissement privé au Québec, de mémoire.

La nouvelle était connue bien avant l’annonce, mais la nouveauté, c’est que Québec et Ottawa subventionneront non seulement la construction de l’usine, comme c’est souvent le cas, mais aussi la production annuelle des cellules de batterie, à raison de 35 $ US par kilowattheure d’énergie associée aux cellules.

Chaque année, donc, Québec et Ottawa verseront des chèques à Northvolt selon le volume d’unités produites, chèques qui pourraient atteindre 1,4 milliard de dollars si l’usine fonctionne à plein régime, lors d’une année donnée. Le tiers de la somme viendra du Québec et les deux tiers, d’Ottawa, somme qui creusera nos déficits annuels.

Le projet coûte cher en fonds publics parce que les gouvernements ont été contraints de copier les subventions américaines à la production de batteries électriques, prévues dans l’Inflation Reduction Act (IRA). Sans cette aide, le projet capable d’alimenter 500 000 voitures par année s’installait ailleurs⁠1.

Pour limiter les sorties de fonds, les subventions à la production seront plafonnées à 4,6 milliards ou encore versées jusqu’en 2032 (comme dans le cas de l’IRA), selon la première cible atteinte. Ces 4,6 milliards à la production s’ajoutent aux 2,7 milliards versés moitié-moitié par Ottawa et Québec pour la construction de l’usine, pour un total de 7,3 milliards de dollars d’argent public.

Le jeu en vaut-il la chandelle ? Très bonne question.

À Québec, on estime que le gouvernement mettra neuf ans à récupérer ses fonds après le démarrage de l’usine, en 2027, grâce aux retombées économiques et fiscales. Ou 13 ans si on lance le compteur aujourd’hui, puisque certains fonds commenceront à être versés lors de la construction de l’usine, très prochainement⁠2.

Pour le justifier, les politiciens parlent des 3000 emplois qui seront créés, mais surtout du développement de toute une filière d’avenir, d’un moment charnière, qu’il faut saisir.

D’autres font valoir que le Québec met enfin le pied dans le secteur automobile – celui de l’avenir en plus – alors que des vents contraires soufflaient, puisqu’on voyait cette industrie s’installer dans le corridor actuel des constructeurs d’autos ou encore près des grands marchés, comme en Californie.

De plus, fait-on valoir, le Québec ne souffrira pas du dégonflement progressif de l’industrie des voitures à combustion, n’ayant pas de constructeurs, contrairement aux États-Unis ou à l’Ontario.

En entrevue, Pierre Fitzgibbon soutient qu’en plus des 15 milliards de dollars d’investissements en cours dans la filière batterie (11 projets), 35 milliards pourraient s’ajouter, dont quatre projets totalisant 15 milliards qui pourraient voir le jour dans un an. Avec des subventions, bien entendu…

Il dit espérer récupérer une part de sa mise dans Northvolt – en plus des retombées économiques – puisque sur les 2,9 milliards avancés par Québec, 934 millions sont soit des prêts avec intérêts (367 millions), soit des fonds propres injectés directement dans la société mère (567 millions), qui pourraient profiter de son éventuelle entrée en Bourse⁠3.

Il y a toutefois un hic à ce raisonnement des retombées économiques. Toute injection de fonds des gouvernements dans l’économie, faut-il savoir, entraîne le même genre de retombées. Ces fonds auraient pu créer des retombées valables si les gouvernements avaient laissé chacun des contribuables choisir où il souhaite investir lui-même la part qu’on lui retire en impôts pour subventionner Northvolt.

Bien sûr, certains projets sont porteurs, stratégiques et peuvent rapporter davantage que le choix individuel des contribuables. Mais on peut en débattre : n’aurait-il pas été préférable de mettre les 2,9 milliards en éducation, dans les transports en commun ou dans l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments ?

Quant aux emplois, la pénurie de main-d’œuvre nous a enseigné que les 3000 personnes qui travailleront pour Northvolt ne travailleront pas ailleurs, où les besoins sont grands.

Miser de l’argent public sur Northvolt est aussi très risqué. L’entreprise, toute jeune, ne fait que commencer à produire, en Suède. Et elle veut développer un autre mégaprojet en parallèle, en Allemagne. Oui, les deux promoteurs sont d’anciens hauts dirigeants de Tesla, avec de bons partenaires financiers, mais ce sont de grosses bouchées en même temps.

Et il y a le risque de construction du projet, le risque financier, le risque d’exploitation de l’usine, le risque que le marché se développe différemment, avec de nouvelles technologies, le risque de la concurrence et, enfin, le risque que l’entreprise devienne dépendante des subventions à la production, une fois 2032 arrivée, comme le sont devenus les producteurs de jeux vidéo au Québec…

Le jeu en vaut-il la chandelle ? Très bonne question. Au moins, au saura que la réponse n’est pas automatiquement oui. Et que ce jeu se fait notamment avec de l’argent public, beaucoup d’argent public.

1. La première phase du projet, de 7 milliards, pourra produire des cellules totalisant 30 millions de kWh par année, au maximum de sa capacité, soit suffisamment pour alimenter près de 500 000 voitures (une voiture électrique type produit 65 kWh). À 35 $US par kWh, ça équivaut à quelque 3000 $ CAN par voiture, auxquels il faudrait ajouter les subventions pour la construction.

2. Le gouvernement du Québec dit avoir utilisé la méthodologie du Directeur parlementaire du budget (DPB), à Ottawa, pour faire cette estimation. Le DPB estimait à 20 ans le temps de récupération pour les usines de Volkswagen et de Stellantis.

3. Sur les 567 millions, la moitié est une injection directe en actions ordinaires et l’autre moitié, une débenture convertible en actions ordinaires.