Imaginez des enfants, chacun dans leur carré de sable. L’un a une pelle, un autre un seau et le troisième un arrosoir. Mais chacun reste dans son coin, jaloux de son précieux outil, incapable d’admettre qu’il ne peut pas construire un château tout seul.

Cette image illustre bien l’immobilisme qui nous empêche de résoudre la crise du logement qui frappe très durement les pauvres, mais aussi la classe moyenne à travers tout le Québec.

Et tenez-vous bien, ce n’est qu’un début.

Si on reste les bras croisés, il manquera 860 000 logements au Québec dans sept ans, selon les récents calculs de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL).

Consultez Le rapport de la société canadienne d’hypothèques et de logement sur la pénurie de logements au Canada

Ça en fait, du monde qui n’a pas de toit. Ça en fait, des gens qui défoncent leur budget pour se loger.

Pour que le marché redevienne abordable, il faudrait bâtir 123 000 logements supplémentaires par année d’ici 2030. Le défi est immense, car les mises en chantier ont été d’environ 50 000 par année, en moyenne, depuis 10 ans.

Mais pour les politiciens, il est plus facile de trouver des coupables que des solutions.

Pendant que Justin Trudeau décoche des flèches aux municipalités qui noient les projets dans la bureaucratie, les villes reprochent à Québec de ne pas en faire assez pour lutter contre la pénurie de logements.

Même si ces critiques sont parfaitement fondées, il vaudrait mieux se focaliser sur la collaboration.

Justement, une solution collaborative prometteuse est en train de se mettre en place pour le développement du site de Blue Bonnets. Une solution qui pourrait faire des petits et permettre, par exemple, de débloquer le potentiel de l’est de Montréal, qui renferme beaucoup de terrains contaminés, coûteux à développer.

La saga de l’ancien hippodrome de Blue Bonnets est le symbole par excellence de l’immobilisme de nos élus face à la crise du logement. Ce n’est pas croyable de laisser à l’abandon, depuis presque 15 ans, un terrain en plein cœur de Montréal, à deux pas du métro, qui pourrait accueillir plus de 6000 logements !

Heureusement, à la fin de mai, les trois ordres de gouvernement se sont entendus pour former le Groupe d’accélération pour l’optimisation du projet de l’hippodrome (GALOPH), qui regroupe aussi le privé, le communautaire et même le philanthropique avec la participation de Centraide.

Cette coopération est de bon augure. Mais encore faut-il réunir tous les outils nécessaires pour qu’un projet d’envergure sorte de terre.

Pour éviter le travail en silo, il faut commencer par créer un OBNL indépendant qui aura les coudées franches pour piloter le projet, comme cela s’est fait pour le développement du quartier international de Montréal, il y a 20 ans, sous la houlette de l’architecte Clément Demers, maintenant impliqué dans le GALOPH.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

L’architecte Clément Dermers

Cet organisme devra avoir assez de pouvoir pour éviter de s’embourber dans la bureaucratie. La Ville a beau avoir mis en place des cellules facilitatrices pour aplanir les obstacles dans quatre arrondissements, le nombre de permis de construction délivrés y est en chute libre.

Ensuite, il faut éviter les erreurs de Griffintown, « qui a été livré en pâture aux promoteurs avant qu’ait été adopté un plan d’ensemble », rappelle Gérard Beaudet dans son récent ouvrage Un Québec urbain en mutation. Pour créer un vrai milieu de vie, il faut un plan d’aménagement qui prévoit les services de proximité, les espaces verts, le transport collectif, les écoles, les garderies…

Et ce plan devra faire la part belle au logement social et abordable. Mais pour cela, les entrepreneurs privés doivent embarquer, eux qui ont boudé le programme 20-20-20. Cette promesse phare de la mairesse Valérie Plante leur imposait 20 % de logements sociaux, 20 % de logements abordables et 20 % de logements familiaux dans leurs projets. L’idée était louable, mais le programme a été développé en vase clos, sans tenir compte de la réalité de promoteurs. Ne vous demandez pas pourquoi c’est un échec.

Mais le plus grand défi de Blue Bonnets demeure le développement des infrastructures – eau, égouts, électricité, etc. – dont la facture pourrait atteindre 800 millions de dollars, sans compter le coût des travaux routiers pour désenclaver le site, notamment l’essentiel raccordement du boulevard Cavendish.

La Ville qui est propriétaire du terrain doit admettre qu’elle n’a pas les moyens de payer cette facture qui devra forcément être partagée. Édimbourg, Dublin, Chicago, Washington, São Paulo… Partout à travers le monde, on a vu des partenariats financiers entre plusieurs ordres de gouvernement afin de revitaliser les quartiers industriels.

C’est possible ici aussi. On peut mettre à contribution Québec et Ottawa, par l’entremise de la Banque de l’infrastructure du Canada, qui a d’ailleurs accordé, l’an dernier, 175 millions afin de développer les systèmes écoénergétiques d’un quartier de Richmond en Colombie-Britannique.

L’important, c’est que ça débloque. On ne peut pas attendre encore 15 ans pour avoir un réseau de distribution d’eau à Blue Bonnets.

Venir à bout de la crise du logement ne sera pas un jeu d’enfant. Mais pour y arriver, il faut que chacun laisse son ego à la porte. Voyons large. Voyons grand. À la fin, tout le monde pourra être fier du résultat.

La position de La Presse

La crise du logement fait mal ? Vous n’avez encore rien vu ! Les élus doivent arrêter d’agir en silo pour trouver des solutions. Des solutions comme celle qui est en train de se mettre en place pour construire 6000 logements sur le site de Blue Bonnets. Et qui pourrait faire des petits ailleurs.