« Je suis comme une reine ici. » 

Lorraine Charette profitait du soleil sur le balcon de son petit studio de l’est de Montréal, vendredi midi, pendant que des dizaines d’élus débattaient à Québec pour chercher des solutions à la crise de l’itinérance. 

La femme de 62 ans m’a raconté les sales moments qu’elle a vécus ces dernières années. L’expulsion de son logement. Son bref séjour dans la rue. Ses cinq ans de purgatoire dans une maison de chambres miteuse.

Puis, ce cadeau inattendu : un logement. 

Une deuxième chance. 

Lorraine Charette est l’une des 19 locataires des Studios du Pas, un petit complexe construit en un temps record pendant la pandémie. Tous les logements sont subventionnés et occupés par des gens de 55 ans et plus qui étaient itinérants ou en situation de précarité extrême. 

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

L’intérieur d’un des 19 studios, qui mesurent environ 300 pieds carrés chacun

Les locataires paient le quart de leurs revenus mensuels, soit 404 $ par mois dans le cas de Mme Charette. Ils ont accès à des services spécialisés, à des repas et aux activités du centre communautaire situé à deux pas. Un vrai milieu de vie organisé.

« Je ne le crois quasiment pas encore, m’a-t-elle confié au téléphone. Ma vie a changé complètement. Le goût de vivre m’a repris. » 

La sexagénaire me parle de son nouveau logis comme d’un miracle, et elle n’a pas tort. 

Il s’est écoulé 18 mois à peine entre l’idée originale du projet et le déménagement des locataires.

Une anomalie, pour un immeuble de logement social. 

Les délais se calculent d’habitude en années, lorsque les projets ne tombent pas carrément à l’eau faute de financement – ce qui est le cas pour une bonne partie d’entre eux.   

Je vous raconte l’histoire de Lorraine Charette, car la question de l’accès au logement est centrale dans la crise actuelle de l’itinérance. Les deux problèmes sont imbriqués.

Tout le monde s’entend pour dire qu’il faut construire davantage, mais personne ne semble s’accorder sur la façon de faire la plus efficace. 

Au sommet sur l’itinérance organisé par l’Union des municipalités du Québec (UMQ), auquel j’ai assisté vendredi à Québec, cette impasse a été au cœur de la plupart des discussions. 

Au rang des coupables : la multiplication des ordres de gouvernement impliqués dans le financement des projets. 

Montré du doigt : le gouvernement du Québec, par qui transitent toutes les sommes fédérales – on parle ici de centaines de millions – destinées à l’habitation. 

Presque toutes les sommes, en fait. 

Il y a une poignée de projets qui ont été financés directement par Ottawa, en collaboration avec les villes, sans que Québec fasse partie de l’équation. Les Studios du Pas sont du nombre.

Ce projet a été conçu avec un sentiment d’urgence bien réel, au début de la pandémie de COVID-19.

En octobre 2020, Ottawa a créé un programme de 1 milliard de dollars, appelé Initiative pour la création rapide de logements (ICRL), qui visait à financer des projets d’habitation pour les sans-abri partout au pays. Le critère principal pour se qualifier : que les travaux soient exécutés en 12 mois.

C’était une cible très ambitieuse, voire irréaliste, mais plusieurs groupes communautaires ont quand même voulu relever le défi.

À Montréal, le Groupe CDH, une entreprise d’économie sociale, a pris contact avec l’organisme Pas de la rue pour proposer un projet qui serait réalisé avec les sommes du fédéral. Les démarches se sont vite mises en branle, et la firme L. McComber – architecture vivante, mandatée pour développer un concept, a proposé une construction modulaire, préfabriquée en usine.

La Ville de Montréal, l’arrondissement, les entrepreneurs, bref, tous ceux qui sont impliqués ont travaillé rondement pour lever les obstacles habituels.

PHOTO FOURNIE PAR LA FIRME L. MCCOMBER – ARCHITECTURE VIVANTE

Installation des modules préfabriqués sur le site. La maçonnerie et d’autres éléments ont été ajoutés par la suite.

« Je ne veux pas faire l’apologie de la vitesse, mais ce qu’il faut remarquer, c’est que plus il y a du monde autour de la table, plus c’est long », m’a souligné l’architecte Laurent McComber.

Il aura fallu 18 mois – plutôt que 12 – avant que le projet accueille ses premiers locataires, ce qui reste quand même un rythme inédit.

« On a eu accès à une courte fenêtre d’efficacité », m’a résumé une source au cœur de l’élaboration de ce chantier.

Les Studios du Pas ne ressemblent pas à des roulottes de chantier empilées. Le complexe est beau et bien intégré au quartier. En témoignent les sélections qu’il a obtenues, entre autres aux Prix d’excellence de l’Ordre des architectes du Québec.

Mieux encore : il a coûté 5,4 millions de dollars, ce qui revient en moyenne à 282 000 $ par studio de 300 pieds carrés.

C’est dans le bas de la fourchette habituelle pour ce type de projet, et à des années-lumière de la facture des Maisons des aînés du gouvernement Legault, dont le coût moyen frôle le million par chambre.

Devrait-on construire des résidences modulaires aux quatre coins du Québec pour loger nos 10 000 sans-abri ? Bien sûr que non.

Mais ce petit exemple montre qu’il y a moyen d’appuyer sur l’accélérateur, lorsque les différents ordres de gouvernement, et leurs partenaires des secteurs privé et communautaire, rament dans la même direction.

Il y a en ce moment même environ 900 millions en fonds fédéraux disponibles pour construire du logement, qui restent coincés quelque part entre Ottawa et Québec.

Les pourparlers s’étirent depuis des mois, pour déterminer comment envoyer le chèque. Pour choisir la couleur de l’enveloppe et le format du timbre.

Il faut presser le pas, et vite. Retrouver ce sentiment d’urgence qui a permis de faire de petits miracles pendant la pandémie, au profit des mal-logés.

Ils seront malheureusement de plus en plus nombreux.