Il ne faut pas trop s’attacher aux budgets. Des annonces, même les plus jolies, peuvent finir leur vie dans un bac de recyclage. Ou, comme on dit en théologie, dans les limbes.

Le budget Freeland doit être analysé dans ce contexte. C’est probablement l’avant-dernier du gouvernement libéral minoritaire. Selon un scénario plausible, un autre parti prendra le pouvoir dans moins de deux ans.

Un nouveau gouvernement est réticent à abolir des programmes. Les électeurs tiennent à leurs acquis. Mais il est plus facile de mettre fin à des initiatives en chantier, surtout si elles s’avèrent plus compliquées ou coûteuses que prévu.

Or, plusieurs annonces dans ce budget sont loin d’être coulées dans le béton. C’est le cas en santé et, dans une moindre mesure, en logement.

Il y a deux raisons à cela. Certaines seront implantées graduellement, et l’essentiel du financement viendra après 2025-2026. D’autres exigent une entente – et donc une négociation – avec les provinces et les municipalités.

Le futur pourrait arriver dans longtemps.

Justin Trudeau doit sa victoire de 2015 aux jeunes. Cet électorat lui échappe maintenant. Selon le sondeur Pallas, les 18-34 ans appuient désormais les conservateurs (38 %), loin devant les libéraux (21 %).

Pour eux, la propriété ressemble à un rêve inaccessible. Ce budget pense à eux. Les libéraux ont cuisiné un millefeuille de programmes en logement. Pas moins de 23 initiatives sont budgétées, pour un coût de 8,5 milliards en cinq ans, en plus de nombreux prêts consentis à taux avantageux.

Les fonds, programmes et stratégies se superposent ainsi, et toutes les couches ne sont pas également solides.

La taxe sur les terrains résidentiels vacants ? Une consultation est à venir.

Le Fonds permanent pour le transport en commun ? Il n’est pas encore créé. Les municipalités devront densifier les constructions et éliminer les exigences de stationnement à proximité du transport en commun. La négociation sur le « comment » reste à faire. Et il y a la définition du logement « abordable » qui fluctue selon les programmes et qui fait l’objet d’un débat.

L’initiative Bâtir au Canada, qui financera davantage la construction de logements ? Elle est censée réduire les délais d’approbation des projets. Mais ironiquement, elle aussi devra attendre la conclusion d’une entente avec les provinces.

Il est difficile d’offrir en quelques lignes un portrait fidèle du plan en logement. À leur décharge, si les libéraux agissent, c’est parce que des villes et des provinces n’en faisaient pas assez.

Certaines mesures auront un effet rapide et bienvenu, comme le Fonds pour accélérer la construction de logements. Mais au minimum, on note cette ironie : au nom de l’urgence de la crise du logement, les libéraux s’aventurent parfois dans des programmes qui mettront du temps à faire effet.

Outre l’appui des plus jeunes, M. Trudeau répond à une autre exigence politique : plaire aux néo-démocrates, sans qui son gouvernement minoritaire risque de tomber.

Les deux partis n’hésitent pas à s’ingérer dans les compétences des provinces en santé et en éducation. À la demande du NPD, ce budget confirme donc l’implantation des programmes d’assurance dentaire et d’assurance médicaments.

Pour les médicaments, seuls la contraception et le diabète sont couverts pour l’instant. La vaste majorité (1,3 milliard sur 1,5 milliard) des dépenses sont prévues pour après 2025. Si une entente survient avec les provinces, bien sûr.

Trois ans après l’avoir promis, ils créent également un programme national d’alimentation scolaire. Mais certaines provinces en offrent déjà. Là encore, il faudra s’entendre.

Selon le premier ministre Justin Trudeau, les Canadiens ne se soucient guère des chicanes de compétences. C’est vrai.

Mais les programmes échafaudés à Ottawa sont loin du terrain. Et donc, loin d’être toujours efficaces.

Le fédéral est plus habile quand il s’agit de mesures fiscales. Par exemple, son allocation pour enfant est une réussite. Elle a fait chuter le taux de pauvreté infantile de 16,3 % à 6,4 % depuis 2015. La nouvelle prestation pour les personnes handicapées devrait aussi atteindre rapidement son but.

Mais là encore, certains programmes fiscaux restent eux aussi complexes. Certains sont dans le four depuis plusieurs mois. Parmi eux : le crédit d’impôt promis l’année dernière pour financer jusqu’à 15 % la production d’électricité propre. Les sociétés d’État comme Hydro-Québec y seront admissibles. La mesure a été analysée, décortiquée, saluée… mais elle n’est pas en vigueur. Les négociations ne sont pas terminées.

Le Parti conservateur entend déposer un plan de retour à l’équilibre budgétaire, ce que les libéraux n’ont jamais fait. Mais il ne donne pas encore d’échéancier.

Il a toutefois précisé sa démarche. Pour tout programme créé, un autre sera aboli.

Son chef Pierre Poilievre a promis de maintenir le programme dit « national » de garderies. Il n’a pas vraiment le choix, car il est déjà en voie d’implantation. Mais son analyse pourrait être différente pour l’assurance médicaments. Et en logement, si les programmes ne sont pas prêts, et si les provinces ne sont pas enthousiastes, il pourra les remplacer par les siens.

Les libéraux ont raison, ils ont de l’ambition. Mais ils n’ont pas toujours les moyens – dans tous les sens du terme – de leurs ambitions.