Le Canada ne veut pas perdre le Nord. Sa nouvelle politique de défense priorise la défense de l’Arctique, et la simple existence d’une priorité est en soi une nouveauté.

En 2017, la précédente politique essayait de faire un peu tout en même temps. Comme d’habitude, les moyens étaient modestes. La mission était impossible.

C’est un vieux débat parmi les experts : faut-il investir dans tous les types d’opérations ou cibler plutôt certains secteurs ? D’un côté, les achats d’avions, de navires ou d’autres équipements coûteux et complexes doivent être planifiés des années à l’avance, et on ignore à quoi ressembleront les futurs conflits. Le risque : s’équiper pour les missions du passé.

Cela milite pour la polyvalence. Mais pour cela, il faut dépenser beaucoup partout. Or, avec ses ressources limitées, le Canada ne peut pas tout faire. Être utile dans au moins un type d’opérations, ce serait déjà un gain.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre de la Défense, Bill Blair, et le premier ministre Justin Trudeau à la base de Trenton, en Ontario, lundi

Avec le titre de sa nouvelle politique, le nouveau ministre de la Défense, Bill Blair, donne sa réponse : Notre Nord, fort et libre. Son intérêt pour l’Arctique se justifie facilement. Avec les dérèglements climatiques, les activités commerciales et militaires y augmenteront. Or, nos installations y sont désuètes et vulnérables. Par exemple, nos 47 stations radars utilisent une technologie informatique des années 1980 – un contrat a déjà été attribué pour les mettre à jour.

Les tensions entre l’OTAN et la Russie peuvent paraître lointaines. Mais le pays de Poutine est notre voisin dans l’Arctique. Et la Chine aspire à devenir une « puissance polaire » d’ici la prochaine décennie.

La nouvelle politique de défense doit servir de réponse. On annonce entre autres une flotte d’avions de détection aérienne avancée, des capteurs maritimes et une station de satellite dans l’Extrême-Arctique.

Plusieurs promesses sont toutefois hypothétiques. Il est question d’« explorer » la possibilité de faire l’acquisition d’un système de défense aérienne et antimissile, de missiles à longue portée à lanceur aérien ou maritime, de véhicules adaptés aux conditions arctiques, de drones de surveillance et de frappe, d’un système antidrone, de chars et de véhicules blindés légers ou encore de sous-marins.

En attendant, nos militaires utilisent encore les quatre sous-marins d’occasion achetés au Royaume-Uni dans les années 1990 – quand ils ne sont pas en réparation, ce qui arrive souvent.

Ces achats sont donc hypothétiques. Et un doute demeure aussi sur les autres engagements prétendument fermes.

Le Canada a une longue histoire de promesses non tenues. Son programme d’approvisionnement est le « pire au monde », déplorait en 2022 Andrew Leslie, ex-député libéral et ex-chef d’état-major de l’armée canadienne. Les gouvernements reportent les décisions, réexaminent leurs priorités, relancent les appels d’offres ou annulent carrément les commandes. La Défense est le seul ministère pour lequel les dépenses sont systématiquement inférieures aux prévisions.

Les libéraux promettent de revoir le processus d’approvisionnement. Ils disaient la même chose en 2017, sans amélioration notable.

Pour ajouter au scepticisme, l’essentiel des sommes est reporté à moyen et long terme. Le document parle de 73 milliards de dollars d’investissements d’ici 20 ans. Mais pour les cinq prochaines années, il n’y a que 8,1 milliards. Soit un maintien du rythme actuel.

Si tout ce qui est promis se concrétise, cette politique de défense serait-elle ambitieuse ? Tout dépend du point de comparaison.

Par rapport au PIB, le budget militaire passerait de 1,33 % à 1,76 %. C’est nettement plus. Mais cela demeure inférieur à la cible de l’OTAN, soit 2 %.

Justin Trudeau rappelle qu’à son arrivée au pouvoir, le Canada n’y affectait que 1 % de son PIB. Mais d’autres pays ont réussi à combler un retard semblable dans le même intervalle.

Ce seuil, perçu comme un plancher par l’OTAN, n’est pas la seule façon de mesurer la contribution d’un pays membre. Il y a aussi ce que le pays fait, ou est en mesure de faire.

Mais là aussi, les moyens du Canada sont limités. Les Forces armées disent qu’il leur manque plus de 15 000 membres. La nouvelle politique allège le processus de recrutement pour y remédier. Mais selon un document interne dévoilé par CBC/Radio-Canada, 42 % du personnel ne serait pas disponible en cas de déploiement rapide, et près de la moitié de l’équipement n’est pas en état de servir.

Cette nouvelle politique de défense est une avancée significative et bienvenue, sur papier. Reste à voir si elle prendra forme dans la réalité.

Selon un sondage Angus Reid publié en mars, 29 % des électeurs font de la défense leur priorité. Il y a une décennie, ce taux n’était que de 12 %. Une majorité (53 %) souhaite aussi que le Canada consacre 2 % de son PIB à la défense.

M. Trudeau mise toutefois sur un autre électorat, à en juger par la ribambelle d’annonces prébudgétaires. Plus que jamais, il s’intéresse aux dossiers qui relèvent en partie ou en totalité des provinces, comme le logement, la santé et la petite enfance. Même s’il a déjà beaucoup de mal à s’occuper de ce qui, comme la défense, relève exclusivement de lui.