Chaque année, en décembre, je passe une partie de la matinée à La Presse pour appeler des donateurs. Ce jour-là, nous sommes plusieurs à passer quelques heures à remercier nos lecteurs.

J’adore cet exercice. Je me fais un point d’honneur d’en être. On me soumet une liste avec des noms et des numéros de téléphone, j’appelle, je me présente, je dis : Merci de nous soutenir.

S’ensuit souvent une conversation de quelques minutes sur les raisons qui motivent nos lecteurs à faire un don…

Ça tourne autour de deux motivations, je dirais.

Un, Je payais quand le journal était livré à ma porte, pour moi, c’est logique de continuer à payer pour mon journal.

Et quand les gens me parlent de La Presse et qu’ils disent « mon journal », il y a une insistance pétrie de fierté, je dois le dire, sur le « mon » de « mon journal ». Parfois, j’ai droit à des anecdotes : je livrais La Presse quand j’étais petit, on lisait La Presse en famille, je commençais par le cahier des sports, je lisais Foglia, Cousineau, Petrowski, Ouimet…

Deux, Je trouve ça important de soutenir La Presse, c’est important de bien s’informer dans un contexte où la désinformation pullule…

Des fois, les gens que j’appelle lors de cette matinée de décembre s’excusent : Désolé, je ne donne pas beaucoup, mais c’est de bon cœur. Et chaque fois, je leur réponds la même chose : qu’importe le montant, l’important, c’est que vous soyez là.

Je dis la même chose à ceux qui nous lisent mais qui ne donnent pas, pour plein de raisons : l’important, c’est que vous soyez là.

C’est une époque assez difficile pour les médias, je n’ai pas besoin de vous faire un dessin. La montée des géants numériques a cannibalisé l’assiette publicitaire. Des médias ont fait des mises à pied, comme TVA et certaines plateformes de Bell. D’autres ont fermé, comme les plateformes de Métro. J’espère que l’écosystème va se stabiliser.

À La Presse, nous sommes chanceux. Je le dis en mettant des gants blancs. Le virage numérique a été un succès. Il s’est étalé sur plusieurs années. Il n’a pas été facile. Quand la famille Desmarais s’est délestée en douceur de La Presse, le passage au mode à but non lucratif n’a pas été de tout repos, disons…

Et là, le président Pierre-Elliott Levasseur l’a dit fin janvier : La Presse a un fonds de réserve imposant et notre journal – je dis encore, je dirai toujours un journal – a fait un surplus en 2023 pour la quatrième année d’affilée. Surplus qui sera réinvesti dans notre mission de vous informer.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Notre collaboratrice Rose-Aimée Automne T. Morin, la journaliste Caroline Touzin, notre chroniqueur Patrick Lagacé et la journaliste Katia Gagnon lors de la soirée 2023 vue par La Presse, organisée pour nos donateurs.

Et vous avez été 56 000 à faire des dons, l’an dernier, pour un total de 7,8 millions. J’écris ça et j’ai un petit frisson.

J’ai un petit frisson pour plein de raisons.

D’abord, vous n’êtes pas bruyants, mais vous êtes là. Dans une époque où hurler est une façon d’exister, vous êtes 56 000 à discrètement faire un don pour notre mission d’informer. Il y a des désinformateurs soutenus par 56 personnes qui pensent qu’ils ont plus d’impact que ce journal. Vous êtes la preuve que c’est faux, vous êtes la preuve que hurler, souvent, c’est juste du bruit.

Ensuite, la vie coûte cher. Tout coûte cher. Et vous êtes 56 000 à trouver quand même de l’espace dans le budget familial parce que vous n’imaginez pas votre diète d’information sans ce journal. Ça me touche.

Tout ça contribue à produire du journalisme de qualité, comme on dit. À départager le vrai du faux. À démonter le spin qui vise à donner un parfum de lilas à tout plein de trucs nauséabonds, dans le privé et dans l’État. À plonger dans le réel, de mille façons, avec le temps et les ressources nécessaires. À se défendre, aussi : nos avocats travaillent fort, à mesure que nos journalistes dérangent en départageant le vrai du faux.

C’est Pâques. Il y a longtemps que je n’ai pas fréquenté une église, que je me suis détaché de la religion. Mais le catholicisme a marqué mon enfance et ma culture, je sais bien que Pâques, c’est la résurrection du Christ… C’est une belle histoire.

Et ce n’est pas un hasard si je choisis ce dimanche-là pour remercier nos lecteurs, qu’ils contribuent financièrement ou pas…

Je vous disais plus haut que La Presse a traversé des années de turbulences. C’est un euphémisme : il y a des bouts où je regardais aller les choses dans l’écosystème médiatique, où je regardais aller les choses dans mon journal, de programmes de mises à la retraite en discrètes compressions dans le budget rédactionnel, et je me demandais…

Mon Dieu, sommes-nous en train de mourir ?

Nos boss ont eu une vision numérique qui s’est avérée payante, nos leaders syndicaux ont eu le pragmatisme d’accepter quand il le fallait des reculs pour contribuer à la survie du journal. Les boss et les syndicats ont signé des conventions récemment au terme de négociations qui n’ont pas été un long fleuve tranquille, mais qui reconnaissent les sacrifices faits par les artisans de ce journal…

Et le virage est fait, ce journal n’est plus en survie, il vit. On croise les doigts, les choses peuvent toujours changer.

La Presse continue à produire une quantité phénoménale de scoops cités à la grandeur de notre demi-pays, à documenter le réel, à garder les décideurs sur les talons et à contribuer, souvent, à corriger le tir, dans le privé et dans le public.

Et quand on se trompe, contrairement aux désinformateurs, on l’admet, on s’excuse et on apprend de ces erreurs.

Vous me pardonnerez d’être téteux, une fois n’est pas coutume, chers lecteurs, mais je voulais vous dire ceci, en vous remerciant en ce dimanche de Pâques : les histoires de résurrection ne sont pas toutes dans la Bible…

Merci d’avoir contribué à celle de votre journal.