La déléguée du Québec à Houston, Xin Gao, qui vient de quitter ses fonctions, avait instauré un climat « toxique » depuis son arrivée en poste à Houston en 2021, au point que le ministère des Relations internationales et de la Francophonie (MRIF) a été contraint d’envoyer un psychologue sur place à l’été 2023 pour « optimiser » la gestion de la déléguée.

« Quand j’ai vu le rapport [du spécialiste en ressources humaines], on s’est entendu que la déléguée devait être relevée de ses fonctions », a dit à La Presse la ministre des Relations internationales et de la Francophonie (MRIF), Martine Biron, rencontrée vendredi dernier en marge d’un discours qu’elle a prononcé au Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM).

Avant d’aboutir à Houston, Mme Gao a principalement fait carrière au gouvernement fédéral. Elle a passé près de 20 ans au ministère de l’Environnement. Elle est également la conjointe de Jacques Hudon, ex-directeur des communications de la Coalition avenir Québec (CAQ). M. Hudon a aussi œuvré comme chef de cabinet de l’ex-ministre du Développement régional Marie-Ève Proulx.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE LA DÉLÉGATION DU QUÉBEC À HOUSTON

L’ex-déléguée du Québec à Houston, Xin Gao (au micro), lors d’une activité organisée par la délégation à la conférence Clean Power à La Nouvelle-Orléans, en mai 2023

La Presse a recueilli trois témoignages d’employés ayant travaillé à la Délégation du Québec à Houston depuis que Mme Gao y a été nommée, en juin 2021, et parlé à deux sources externes. La délégation compte, au total, sept employés. Toutes nos sources ont demandé de parler anonymement de cette situation, puisqu’un témoignage à visage découvert pourrait mettre en péril leur emploi ou leur carrière future.

Une altercation lors d’une réunion

À son arrivée à la délégation, l’une de ces sources, que nous appellerons A. B., a tout de suite perçu que l’ambiance était très lourde dans son nouveau milieu de travail. « J’ai vu qu’il y avait des choses qui n’allaient pas, que mes collègues n’allaient pas. Les gens étaient distants, méfiants, ils ne voulaient pas trop parler. En fait, personne ne voulait me parler. Je ne savais pas trop ce qui se passait. Je les trouvais presque dépressifs. »

Lors d’une rencontre privée avec A. B., Mme Gao a passé toute l’équipe au hachoir. « Ça a créé une drôle d’ambiance, raconte notre source. Elle a essayé de faire ça avec tout le monde. Elle a dit qu’une collègue s’était plainte de moi, c’était complètement faux. »

Et puis, quelques semaines après son arrivée, une altercation est survenue lors d’une réunion. La déléguée s’en est prise à une employée devant tout le personnel. « Elle l’a carrément bullyée devant tout le monde. Et elle a continué jusqu’à ce que la personne craque. C’est à ce moment que j’ai dit : non, ce n’est pas correct. Personne n’a réagi. C’était le silence complet. Elle seule parlait pour critiquer l’autre. »

« Des comportements humiliants et rabaissants »

Il arrivait fréquemment que Mme Gao s’en prenne aux employés, les rabaisse, tente de les monter les uns contre les autres, témoignent deux autres sources qui ont travaillé à la délégation. L’ambiance était absolument « malsaine », relate l’une de ces sources, que nous appellerons C. D.

« Elle pouvait avoir des comportements humiliants et rabaissants, témoigne C. D. Couper la parole au bureau, durant des représentations. Elle contredisait, disait que certaines personnes étaient incompétentes, totalement gratuitement. »

[Xin Gao] a instauré un comportement toxique. J’ai été témoin de plusieurs personnes qui pleuraient en sortant de son bureau. Elle pouvait ne donner aucune tâche pendant plusieurs semaines à un employé, ce qui pouvait affecter son moral.

C. D., employé ayant travaillé aux côtés de Xin Gao

« Le problème, c’est beaucoup de manipulation, de triangulation, explique une troisième source, que nous appellerons E. F. Elle essaie de diviser les gens, de créer des conflits pour mieux régner. »

Pour ce faire, Mme Gao pouvait retirer des responsabilités à certains employés qu’elle n’aimait pas en leur absence. « Elle pouvait décider qu’un employé n’était plus responsable de son secteur, poursuit E. F., et demander à un autre collègue de reprendre ses responsabilités. C’était comme pour le punir. »

À notre demande, un haut gestionnaire d’une organisation qui travaille en partenariat avec la Délégation du Québec à Houston a posé des questions à ses employés qui ont été en contact direct avec Mme Gao. Ces derniers ont confirmé « qu’il n’y avait pas de fumée sans feu » et qu’ils avaient bel et bien été témoins de dénigrement de la part de Mme Gao à l’endroit d’employés de la délégation.

Une autre personne, celle qui a informé La Presse de la situation à la Délégation du Québec à Houston, a tenu à commenter l’affaire. « Il faut dénoncer un climat de travail toxique et des dirigeants qui perpétuent une approche de leadership du passé qui n’a absolument plus lieu d’être aujourd’hui : arrogance, abus de pouvoir, rapport de forces, intimidation, climat de peur. Il est important de le faire pour permettre aux jeunes, en particulier, de se réaliser comme humains dans leur milieu professionnel plutôt que d’en sortir avec des séquelles psychologiques. »

Relations difficiles

La déléguée agissait également d’une façon cavalière avec les partenaires, témoignent A. B. et E. F. « On monte un dossier pour une activité, on est vers la fin et elle arrive, elle vire tout à l’envers. » L’un de ces dossiers impliquait un organisme privé. La déléguée a voulu imposer à cet organisme un programme considérablement différent.

Ils ont tellement été dérangés par [l’]attitude [de Xin Gao] qu’ils ont dit : on arrête de travailler avec Houston. Les gens finissent par ne plus vouloir faire affaire avec nous. Elle crée des incidents diplomatiques et nous, on est toujours en train d’essayer d’arranger ça.

E. F., employé ayant travaillé aux côtés de Xin Gao

Lors d’un entretien avec des universitaires, la déléguée agissait de façon méprisante, se souvient A. B. « Elle n’a pas cessé de les dénigrer. Ça a mis fin à plusieurs relations. »

La Presse a joint plusieurs employés d’organismes du gouvernement du Québec qui ont été en contact récemment avec la délégation de Houston. Tous ont décliné notre demande d’entrevue ou n’y ont pas donné suite.

Nous avons joint Mme Gao pour obtenir son point de vue sur l’ensemble de ce dossier. Elle a décliné notre demande d’entrevue, nous dirigeant vers une publication sur les réseaux sociaux où elle trace un bilan très positif de son passage à la tête de la délégation.

« J’exprime ma plus profonde gratitude à tous les membres de notre équipe, a-t-elle écrit sur LinkedIn. L’important travail préparatoire que nous avons mené au cours des trois dernières années contribuera à la prospérité économique à long terme et à l’abondance des récoltes pour le Québec. »

Un psychologue dépêché sur place

Selon nos sources, au moins quatre employés ont alerté le service des ressources humaines du Ministère de la situation qui avait cours à Houston. « Ils m’ont dit merci d’avoir remonté ça, ils ont dit que je n’étais pas la première, ils étaient contents d’avoir le témoignage d’une nouvelle personne », raconte A. B.

Le MRIF a confirmé à La Presse « que des situations ont été rapportées ». Le Ministère refuse cependant d’en préciser la nature. « Soyez assurés que les moyens nécessaires ont été déployés afin que nos employés bénéficient d’un climat de travail sain. »

« Conformément aux bonnes pratiques, le Ministère s’assure d’agir sur toute situation relationnelle difficile rapportée », ajoute la porte-parole du Ministère, Camille Jobin. Le Ministère a fini par envoyer un psychologue du travail à la délégation à l’été 2023. « À la suite notamment du rehaussement de son statut de bureau à délégation, explique Mme Jobin, le Ministère a jugé nécessaire de poser des gestes, entre autres celui d’avoir recours à des services externes d’accompagnement en vue d’optimiser certains éléments de gestion de la représentation. »

Un rapport a été produit, mais le Ministère a refusé de le fournir à La Presse. Le mandat de l’expert mandaté par le MRIF s’est étendu sur six mois et a coûté 31 000 $.

À l’automne 2023, les employés avaient « perdu espoir », résumait A. B. Après avoir rencontré la déléguée et toute l’équipe de la délégation, le psychologue devait en théorie remettre son rapport à la fin de l’été. Or, tard à l’automne, les employés n’avaient encore eu aucun suivi.

Cependant, en février, après que La Presse eut posé plusieurs questions au MRIF sur Mme Gao, la déléguée a fini par quitter son poste. Le 14 février dernier, elle a été remplacée par Frédéric Tremblay, qui a notamment été directeur du Bureau du Québec à Washington et à Los Angeles.

En entrevue, la ministre Martine Biron note qu’outre le rapport du psychologue, le moment était propice à un changement de leadership à la tête de la Délégation du Québec à Houston. « Pour nous, Houston c’est une délégation dont les échanges sont en augmentation. On savait qu’on devait amener la délégation à un autre niveau et que la déléguée qui était en place n’avait pas le profil pour mener à bien nos objectifs et nos ambitions. Les planètes se sont alignées. J’étais dans cette réflexion-là [sur la croissance de la représentation à Houston]. Quand le rapport [du psychologue] est arrivé, le timing était bon », affirme la ministre.

Des précédents

Ce n’est pas la première fois qu’un climat de travail tendu au sein d’une représentation du Québec à l’étranger retient l’attention. En 2020, moins d’un an après son arrivée à la tête de la Délégation générale du Québec à Dakar, l’ancienne députée Fatima Houda-Pépin a été démise de ses fonctions. Des employés avaient dénoncé un « climat délétère » au sein de la délégation. La ministre Martine Biron est fort consciente de la vulnérabilité des employés du Québec qui sont en poste à l’étranger. « Il faut rester branché. Ce n’est pas pour rien que je visite nos représentations. Je rencontre nos partenaires, je fais des contacts politiques, mais je vois aussi comment ça se passe quand je rentre dans les bureaux », ajoute-t-elle.

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  • 36
    Nombre de représentations du Québec à l’étranger (dans 19 pays, dont 10 aux États-Unis)
    source : ministère des relations internationales et de la francophonie