Echovita reprend des informations publiques diffusées par les maisons funéraires pour générer des dizaines de milliers d’avis de décès par année qui seront avantageusement référencés dans le moteur de recherche Google. L’entreprise de Québec tire la majorité de ses revenus – environ 5 millions US en 2020 selon le média américain The Wired – non pas des publicités, mais de la vente de produits commémoratifs.

Les internautes qui s’informent sur la mort d’un proche sur le site sont invités à faire livrer des fleurs à la famille, à financer la plantation d’arbres commémoratifs ou encore à allumer une « bougie virtuelle » à la mémoire de l’être cher.

Tous les profits garnissent les coffres d’Echovita, à moins que la famille se manifeste ou crée elle-même un avis de décès sur le site. L’entreprise explique sur son site qu’elle accepte alors de partager 10 % des revenus.

« C’est un vol »

Atteint d’un cancer, le père de Jimmy Jolicœur s’est éteint le 10 février dernier après avoir demandé l’aide médicale à mourir. Quelques jours plus tard, un avis de décès a été publié sur le site de la maison funéraire mandatée par la famille, le Groupe Garneau. Puis un deuxième avis, légèrement remanié, est apparu sur Echovita.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Jimmy Jolicoeur

On vit un deuil et là, on se fait voler notre avis de décès. Il y a de quoi nous faire enrager noir. On n’a vraiment pas besoin de ça.

Jimmy Jolicœur

Le conseiller en communications Jimmy Jolicœur, qui compte la Corporation des thanatologues du Québec parmi ses clients, connaissait déjà bien Echovita, « mouton noir » de l’industrie funéraire.

CAPTURE D’ÉCRAN TIRÉE DU SITE D’ECHOVITA

L’avis de décès de Patrice Jolicœur sur Echovita

« Personne ne nous a demandé notre autorisation », peste-t-il.

Les bougies numériques, qui se veulent purement symboliques, apparaissent comme l’offre la plus controversée. Voilà une « façon spirituelle et religieuse d’honorer la mémoire de [nom du défunt] et de témoigner chaleureusement votre sympathie », indique le site internet.

CAPTURE D’ÉCRAN TIRÉE DU SITE D’ECHOVITA

Des bougies numériques, qui se veulent purement symboliques

L’allumage virtuel coûte 7,99 $ par mois, 14,99 $ par année ou encore 24,99 $ pour une « bougie éternelle », vantée comme « pure pour l’environnement » comparativement à la chandelle de cire. Une fois qu’il a été développé, ce produit a aussi le mérite d’être pratiquement à coût nul pour l’entreprise.

CAPTURE D’ÉCRAN TIRÉE DU SITE D’ECHOVITA

L’allumage virtuel coûte 7,99 $ par mois, 14,99 $ par année ou encore 24,99 $ pour une « bougie éternelle »

« Vingt-cinq cents, c’est trop cher quand ça ne vaut rien, illustre M. Jolicœur. Que la chandelle ne coûte pas si cher, je m’en fous, c’est le principe. Cet argent-là pourrait aller ailleurs, comme à l’une des fondations ciblées par mon père. »

Feu Patrice Jolicœur avait fait le vœu que l’achat de fleurs soit substitué par un don à la Société de recherche sur le cancer ou au comptoir d’aide alimentaire Le Grenier, à Lévis.

Un robot au cœur lourd

Les arguments de vente – « supporter la famille et les amis en deuil » – et les formulations des avis de décès peuvent laisser croire que les « profits » et les messages sont remis à des proches touchés de près par une mort.

L’algorithme qui reformule les publications a souvent « le cœur lourd », « beaucoup de chagrin » ou encore rappelle qu’il est « difficile de dire au revoir à quelqu’un que l’on aime ».

« Afin de combler votre absence, il est possible de témoigner de sincères condoléances à la famille et leurs proches. Laissez une pensée réconfortante, allumez une bougie en sa mémoire ou envoyez un arrangement floral de votre choix au service funéraire », indique le site.

« Tu as l’impression que l’argent des bougies va aller à la famille ou à une œuvre de charité, mais pas pantoute », fustige Benoit Maillette, qui a vu l’avis de décès de son père être repris par Echovita en 2022.

Ça fait vraiment dur. C’est d’abuser de familles dans un temps de deuil. C’est vraiment bas. D’un point de vue éthique, c’est atroce.

Benoit Maillette

C’est en effectuant une recherche pour savoir si l’avis de décès de la maison Yves Légaré avait été mis en ligne que Benoit Maillette est tombé sur une entrée dans la plateforme concurrente. « Je me suis dit : c’est quoi, cette affaire-là ? On s’est renseignés et on a bien vu que c’était des vautours qui viennent ramasser les restes. C’est choquant. »

Sa sœur, une avocate, a vite envoyé une lettre exigeant le retrait de l’avis, ce qui a été fait au bout de quelques jours.

Nous avons appris à M. Maillette que l’avis de décès de sa mère, envolée en octobre 2023, avait lui aussi fait l’objet d’un repiquage et était toujours en ligne sur le site. « Ça n’a pas de sens, c’est vraiment cheap. »

La très grande majorité des familles ne saura jamais que des « hommages » font l’objet de transactions sur Echovita. Son slogan ? « Là où les êtres chers sont éternels. »

En février dernier, l’Autorité des services funéraires et cimetières de l’Ontario a lancé un avertissement aux consommateurs au sujet d’Echovita et d’entreprises similaires.

Au Québec, la plateforme a fait l’objet de six plaintes pour « pratique trompeuse ou déloyale » à l’Office de la protection du consommateur depuis 2020.

Son fondateur et principal actionnaire, l’entrepreneur Paco Leclerc, n’a pas répondu à nos demandes d’entrevue.

Des milliers pour la petite Rosalie

Des mémoriaux créés au nom de différentes personnalités publiques attisent aussi l’achat de bougies virtuelles, sans l’autorisation des familles. La disparition de Thérèse (Maman) Dion, par exemple, a permis de vendre 300 bougies virtuelles, ce qui représente des revenus entre 2400 $ et 7500 $.

Une page en hommage à Lise Payette, figure de proue de la politique et du féminisme, hébergeait quant à elle 68 lampions symboliques au moment de publier ce reportage.

Dans les deux cas, des membres de la famille nous ont confirmé qu’ils n’ont jamais été informés du processus, encore moins impliqués.

La plateforme a même tiré profit de la mort de Rosalie Gagnon, fillette de 2 ans rouée de coups de couteau par sa mère en 2018. « Rendons un dernier hommage à cet enfant partie trop tôt en laissant des messages de sympathie aux proches », y lit-on.

IMAGE TIRÉE D’UNE CAPTURE D’ÉCRAN

Mémorial de Rosalie Gagnon affiché sur le site d’Echovita

Plus de 650 personnes ont échangé leur numéro de carte de crédit contre une bougie : c’est six fois plus que le nombre de messages laissés sous le véritable avis de décès, sur le site des Services mémorables Harmonia. La famille avait pourtant demandé que « les témoignages de sympathie se traduisent par un don au Centre de pédiatrie sociale de Québec ».

De 6000 $ à 18 000 $ ont été dépensés pour éclairer le néant numérique à la mémoire de la petite Rosalie sur le site d’Echovita.

Des fleurs qui n’arrivent pas toujours

Echovita offre un service de livraison de fleurs par l’entremise de l’entreprise américaine Blooms Today, un entremetteur qui peut facilement passer inaperçu lors de l’achat. Ce site met lui-même en relation des clients et des fleuristes locaux. Cette chaîne d’intermédiaires est propice aux déceptions, si l’on en croit la trentaine d’avis laissés sur le site Trustpilot ; plus d’un commentaire sur deux est coiffé d’une note d’une étoile sur cinq. « Nous avons reçu des plaintes parce que les produits n’étaient pas livrés à temps ou n’étaient pas livrés du tout », indique Dean Van Nort, vice-président de la Piper Funeral Home, dans l’État du Kansas. « Ces personnes arrivent au service funéraire en s’attendant à voir leurs fleurs. Quand il y a des problèmes, c’est nous qui sommes blâmés parce qu’ils pensent qu’ils ont fait affaire avec notre site web. »