Depuis 2021, la plus grande entreprise funéraire en Amérique du Nord, Service Corporation International (SCI), demande à une cour du Texas une injonction pour qu’Echovita cesse ses pratiques.

Le géant américain soutient que l’entreprise de Québec « reproduit sur son site web des notices nécrologiques provenant des sites web de Dignity Memorial [réseau appartenant à SCI] avec des erreurs flagrantes ou des informations incomplètes sur le défunt ». Echovita violerait ainsi les termes et services du site web de l’entreprise de Houston.

La cause, qui a rebondi en cour d’appel l’an dernier pour des enjeux de juridiction, n’a pas été entendue sur le fond.

« Nous tenons à vous avertir qu’une société canadienne opérant sous le nom d’Echovita.com pirate les notices nécrologiques des journaux et des sites web des entreprises de pompes funèbres », avertit quant à elle l’association américaine des directeurs de funérailles (NFDA) depuis 2021.

« Echovita.com n’est pas seulement un site de tromperie, il n’est pas non plus très doué pour fournir des informations exactes », indique la NFDA, qui déplore que les algorithmes génèrent « des informations erronées concernant les noms du défunt ou de ses proches, ou les heures, lieux et dates des services funéraires ».

Echovita, par exemple, a tout récemment repiqué l’avis de décès de Gilles Choquette, d’abord publié par les résidences funéraires Goyer. Dans la retranscription, le site a fait mourir son épouse, Denise Dumoulin, toujours bien en vie.

Ce sont des connaissances qui sont tombées sur la publication erronée et qui ont eu un doute, raconte la fille du défunt, Johanne Choquette. « Echovita a aussi écrit que mon père avait laissé un héritage indélébile », dit-elle. « Ils n’ont pas à écrire ça. »

Des condoléances éparpillées

La Piper Funeral Home, au Kansas, est l’une des nombreuses entreprises funéraires américaines qui ont maille à partir avec la plateforme mise sur pied par l’homme d’affaires québécois Paco Leclerc. Le directeur des funérailles, Dean Van Nort, note qu’il est fréquent qu’un internaute touché par une mort dans la petite municipalité de St. Marys tombe en premier sur l’avis de décès publié par Echovita. Résultat : des messages de condoléances sont détournés du site de la maison funéraire choisie par la famille.

La Piper Funeral Home en est venue à demander à chaque famille si elle souhaitait signer une demande de retrait auprès de la plateforme québécoise. Cette formule a fonctionné pendant un moment.

« J’ai reçu un courriel m’informant qu’Echovita ne supprimerait plus nos nécrologies à moins que la famille ne les contacte directement », se désole M. Van Nort, pour qui « obliger les familles à demander elles-mêmes le retrait d’un avis de décès pendant leur deuil est inacceptable ».

Dean Van Nort entend continuer à demander des suppressions et à documenter les agissements d’Echovita. « Un jour, s’il y a un procès contre eux, j’aurai des preuves de ce que nous avons essayé de faire par rapport à ce qu’ils ont fait », explique-t-il.

Au Québec aussi

Les Services mémorables Harmonia, véritables organisateurs des funérailles de la petite Rosalie Gagnon en 2018, tentent depuis plus de cinq ans de tenir Echovita loin des avis de décès qu’ils publient. En vain.

Les marques de commerce des services funéraires officielles sont affichées au côté des avis de décès d’Echovita, ce qui crée de la confusion, déplore l’entreprise. « La raison sociale de la maison funéraire d’origine apparaît en haut à gauche », explique Yvon Rodrigue, président fondateur d’Harmonia. « J’ai questionné des gens qui pensaient que c’était notre site. »

Une mise en demeure envoyée par Harmonia et le géant ontarien de services funéraires Park Lawn Corporation en 2021 n’a pas eu l’effet escompté. Puisque le site modifie désormais les tournures de phrases, il échappe à la Loi sur le droit d’auteur. Harmonia a tout de même ajouté une mention spécifiquement destinée à freiner Echovita. Sans succès.

« Il est strictement interdit de copier, redistribuer, reproduire, republier ou modifier une information provenant de ce site, notamment afin d’en faire un commercial, sans l’autorisation préalable écrite du propriétaire de ce contenu intellectuel. »

« Selon la loi, nous pouvons publier les faits de base des gens décédés, soit leurs noms, villes et dates », rétorque Echovita dans une foire aux questions publiée sur son site internet. « Nous vous informons des faits et ajoutons du texte, ainsi qu’une liste des proches prédécédés et survivants. » La plateforme assure ne pas publier de photos sans l’autorisation de la famille.

Harmonia n’exclut pas d’entreprendre des démarches judiciaires.

Condamnée en 2019

En 2019, Afterlife Network, plateforme de repiquage d’avis de décès créée par Pascal Leclerc – il a depuis changé son nom pour Paco Leclerc –, a été condamnée par la Cour fédérale à verser 20 millions en dommages pour pratique illégale à l’issue d’une action collective. Les textes et les photos étaient alors copiés à l’identique.

Afterlife a déclaré faillite dans la foulée – lui évitant de dédommager les victimes –, avant de se concentrer sur un commerce similaire nommé Everhere, puis Echovita.

Dans un article du Journal de Montréal paru en novembre 2022, à la fois le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec et l’Office de la protection du consommateur (OPC) ont indiqué que rien n’empêchait Paco Leclerc de poursuivre ses activités commerciales malgré ses déboires judiciaires en Ontario.

« On espère que le Ministère et l’OPC continuent d’analyser le dossier pour enfin mettre fin à ce genre de pratique », affirme Annie Saint-Pierre, directrice générale de la Corporation des thanatologues du Québec.

D’ici là, Harmonia compte envoyer quelque 600 missives par année, soit un après chaque décès qui lui est confié, afin que la plateforme Echovita retire les avis de décès repiqués. Une procédure qu’a tentée la Piper Home Funeral avec un succès mitigé.

C’est que Paco Leclerc semble avoir trouvé un modèle payant qui ne veut pas mourir.

Qui est Paco Leclerc ?

PHOTO TIRÉE DU COMPTE LINKEDIN DE PACO LECLERC

Paco Leclerc, fondateur d’Echovita

Paco Leclerc cofonde Thaï Zone en 2007 et en est président jusqu’en 2013, selon son profil LinkedIn. Il crée l’année suivante un site de repiquage d’avis de décès, Afterlife. Celui-ci, qui contient 1 141 790 articles nécrologiques « au Canada » en janvier 2018, est visé par une action collective. L’entreprise est condamnée par la Cour fédérale à verser 20 millions pour violation du droit d’auteur en juin 2019, mais déclare faillite quelques mois plus tard. Une nouvelle plateforme semblable, Everhere, opère en parallèle et devient Echovita. En 2020, Pascal Leclerc change son prénom pour Paco auprès de la Direction de l’état civil, selon Le Journal de Montréal. Il a récemment mis sur pied l’entreprise Drift Tour, qui permet de monter dans un véhicule de course au côté d’un pilote professionnel. L’entrepreneur exploite aussi les services funéraires Funera, anciennement Funerago, qui permettent d’organiser en ligne des crémations et des cérémonies à bas prix.