« Veux-tu une crème glacée ? », lance Marie-Laurence. Son amie hésite. « Goûtes-y, je l’ai déjà payée », poursuit-elle. L’amie semble accepter à contrecœur. Marie-Laurence se tourne vers la classe de 5e année. « Ça, est-ce que c’est un consentement ? Elle a dit oui. Je ne l’ai pas forcée », demande-t-elle aux élèves.

Les mains se lèvent d’un coup et les réponses fusent dans la classe de madame Amélie. « Tu as insisté ! », lui reproche une jeune fille. « Elle s’est sentie obligée de manger de la crème glacée, alors qu’elle ne voulait pas », renchérit sa voisine de bureau.

« On a fait l’exemple avec la crème glacée, mais quand on parle de gestes de nature intime, ou de touchers, de bisous, ou de se chatouiller, c’est le même principe », explique Marie-Laurence.

Vouloir ou non une crème glacée pour illustrer le consentement sexuel, c’est par de telles mises en scène que MMarie-Laurence Hébert-Trudeau, coordonnatrice du projet La Cour d’école, aborde ce sujet délicat avec des enfants de 10 et 11 ans.

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Me Marie-Laurence Hébert-Trudeau, coordonnatrice du programme, devant une classe de 5e année d’une école de Longueuil

« Il y a juste vous qui pouvez décider ce que vous faites avec votre corps. Personne d’autre ne peut vous dire quoi faire. On parle de gestes de proximité, de bisous, de câlins, ce genre de choses là », conclut la procureure de la Couronne.

Ce jour-là, à l’École internationale du Vieux-Longueuil, c’est la 12e semaine du programme La Cour d’école. MHébert-Trudeau et sa collègue MNaomi Côté-Laporte, toutes deux procureures aux poursuites criminelles et pénales à Longueuil, échangent avec les enfants pendant une heure.

Peu connu du public, le projet La Cour d’école est implanté au Québec depuis huit ans. Dans la dernière année, 172 procureurs ont présenté des formations dans 50 écoles du Québec au bénéfice de 1594 élèves. La popularité du projet est telle que le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) doit refuser des écoles, faute de procureurs disponibles.

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Me Marie-Laurence Hébert-Trudeau, coordonnatrice du programme

D’octobre à avril, pendant 16 semaines, les procureurs démystifient le système de justice pour adolescents et sensibilisent les enfants à prendre de bonnes décisions. Ils leur parlent d’intimidation, de gangs de rue, de stéréotypes, de résolution de conflits, etc. Le programme se conclut par un procès simulé dans une vraie salle d’audience d’un palais de justice (voir texte suivant).

En 5e année, ils sont assez âgés pour comprendre des concepts somme toute complexes, mais ils ont toujours une perspective positive de l’autorité et des intervenants du système de justice.

MMarie-Laurence Hébert-Trudeau, coordonnatrice du projet La Cour d’école

Ne jamais se sentir obligé… même avec grand-maman

Les élèves de madame Amélie écoutent attentivement. Ils sont nombreux à répondre aux questions des deux procureures. Le ton est convivial, malgré le sérieux des sujets. Les procureures évitent les termes trop juridiques, sans infantiliser les jeunes. À la frontière de l’enfance et de l’adolescence, les élèves de madame Amélie sont allumés.

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Me Marie-Laurence Hébert-Trudeau, coordonnatrice du programme La Cour d’école, et Me Naomi Côté-Laporte, procureure du DPCP en jeunesse, dans une classe de 5e année d’une école de Longueuil

« Qu’est-ce que le consentement ? », leur demande Marie-Laurence.

« On doit demander avant de toucher la personne », répond une élève.

« Sur les réseaux sociaux, tu ne peux publier une photo sans la permission de la personne », lâche une jeune fille.

« Est-ce que ça peut être un acte criminel ? », relance Marie-Laurence. Une question accueillie par un « Oui » unanime des enfants.

« Ça vous est déjà arrivé que votre père ou votre mère vous dise : “Va faire un câlin à grand-papa ou donne un bisou à marraine” ? » soulève Marie-Laurence.

« Oui », répondent les jeunes.

« Aimez-vous toujours ça ? »

« Non ! », s’exclament les élèves.

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« C’est toujours correct de s’écouter, de respecter ses limites, ses frontières, peu importe ce que quelqu’un d’autre vous dit », insiste la procureure Marie-Laurence Hébert-Trudeau (au centre).

« On est une nouvelle génération. On va apprendre de nouvelles choses à nos enfants, et on va changer les façons de faire les choses sur plein, plein, plein de sujets. On fait les choses différemment. C’est toujours correct de s’écouter, de respecter ses limites, ses frontières, peu importe ce que quelqu’un d’autre vous dit », insiste la procureure Marie-Laurence Hébert-Trudeau.

Le message est clair : il ne faut pas se sentir obligé de faire quelque chose pour faire plaisir à quelqu’un d’autre. Même un bisou à grand-maman.

« Vous avez le droit d’avoir des limites », insiste la procureure. Même en contexte familial.

« Ça, ça ne veut pas dire d’être impoli ou d’envoyer promener les gens, vous avez quand même l’obligation de dire “bonjour, grand-maman, merci de nous recevoir, merci pour le cadeau, il est bon, ton ragoût de boulettes” », nuance la procureure, alors qu’un petit farceur lance une blague de boulettes.

Changer les mentalités n’est pas une tâche facile. Mais il est important d’apprendre tôt aux jeunes à mettre leurs limites et à résister à la pression des pairs, selon MHébert-Trudeau.

« Il reste un gros travail de prévention. On constate en 2024 un nombre très élevé de dossiers d’agressions sexuelles », affirme la procureure, en entrevue.

Dans la leçon sur les gangs de rue, les enfants doivent réfléchir aux motivations des jeunes à rejoindre un tel groupe pendant une mise en scène.

On ne veut pas juste leur dire : “Ne fais pas ça, ce n’est pas bien.” On veut qu’ils comprennent.

MMarie-Laurence Hébert-Trudeau, coordonnatrice du projet La Cour d’école

La formation sur les dangers des réseaux sociaux résonne particulièrement, alors que des jeunes sont harcelés en ligne 24 heures sur 24. Les cas de leurre sexuel sont aussi fréquents. « Irais-tu seul dans un parc de huit milliards de personnes, sans tes parents ? Non, alors sache comment te protéger », illustre-t-elle aux enfants.

Selon MHébert-Trudeau, il n’y a pas de doute que le projet La Cour d’école contribue à diminuer la criminalité.

« Je suis convaincue que chaque jeune, individuellement, bénéficie du projet. Ça a un impact sur son développement et son cheminement futurs », conclut-elle.