Le phénomène du « pas dans ma cour » est encore bien vivant, peut-être même plus que jamais.

Vous savez, ces voisins, plus ou moins immédiats, qui s’opposent à tous les projets immobiliers dans leur quartier, par crainte de voir la circulation augmenter ou de perdre leur quiétude. Un immeuble de 111 appartements a été abandonné pour cette raison en juillet dernier dans l’ouest de l’île de Montréal, à deux pas d’une station du REM1.

Les exemples du genre s’accumulent. Et tant pis pour la crise du logement.

La donne pourrait bientôt changer. Les municipalités québécoises ont accès depuis un mois à des « superpouvoirs » pour éviter ce genre de situation, en vertu de la nouvelle « loi 31 » sur l’habitation. Elles pourront forcer la construction de bâtiments résidentiels qui seraient autrement bloqués par des référendums locaux.

Une première ville, Magog, s’apprête à y recourir.

Des citoyens commençaient à se mobiliser contre un projet de 20 logements, dans un quartier central. Le conseil municipal a voulu éviter la tenue d’un référendum qui aurait pu le faire dérailler.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE LA VILLE DE MAGOG

Nathalie Pelletier, mairesse de Magog

« Les gens, bien qu’on ait répondu à leurs questions, qu’on les ait rassurés, ils disaient : “c’est un beau projet, mais on ne le veut pas dans notre secteur” », m’a expliqué la mairesse Nathalie Pelletier.

L’utilisation de ce nouveau pouvoir fera des mécontents, elle le sait.

Mais Nathalie Pelletier estime que le bien commun doit avoir préséance sur les frustrations de quelques individus. D’autant plus que le futur immeuble de deux étages, entouré de végétation, n’a rien à voir avec une haute tour bétonnée qu’on plaquerait au milieu d’un quartier de bungalows.

C’est d’abord pour s’attaquer à la pénurie de logements que Magog a choisi cette voie. Le taux d’inoccupation est à 1,3 % dans la ville estrienne de 28 000 habitants, bien en deçà du seuil d’équilibre de 3 %.

Les rares appartements sont de plus en plus chers, et les maisons à vendre, hors de portée pour bien des familles, même celles de la classe moyenne, déplore la mairesse. Le même scénario qu’on voit un peu partout au Québec.

La Ville de Magog s’est dotée d’une politique d’habitation pour densifier ses quartiers centraux et réduire son étalement. Elle vise 220 nouvelles mises en chantier par an, contre 125 en moyenne ces dernières années. Son pari est que l’augmentation de l’offre, avec des projets dans différentes gammes de prix, ramènera une certaine « abordabilité » dans le marché immobilier.

C’est précisément cet objectif qui a présidé à l’inclusion de « superpouvoirs » temporaires dans le projet de loi 31, adopté en février à l’Assemblée nationale. La mesure sera en vigueur pour de trois à cinq ans.

Ces pouvoirs s’appliqueront pour tous les projets de logements sociaux, abordables, ou étudiants, qu’importe la ville. Et pour les immeubles d’au moins trois logements, abordables ou pas, dans les villes de plus de 10 000 habitants où le taux d’inoccupation est en bas de 3 %. L’idée est d’accélérer la construction et de faire gonfler l’offre tous azimuts.

Plusieurs facteurs expliquent la baisse récente des mises en chantier au Québec, dont la hausse des coûts de construction et la lourdeur de la réglementation. De nombreux promoteurs attendent sur les lignes de côté en ce moment.

Il y a aussi, et c’est non négligeable, des administrations municipales qui s’opposent ouvertement à une trop grande densification de leur territoire. Ces villes comme Pointe-Claire ne veulent pas trop de nouveaux logements, même si les besoins sont criants2.

Mais pour les villes qui désirent plus de projets, et elles sont nombreuses, les nouveaux pouvoirs constitueront un outil concret pour presser le pas.

Un pouvoir « anti-pas-dans-ma-cour ». Car le phénomène, comme je l’écrivais d’entrée de jeu, est bien réel.

Dans l’état actuel des choses, une poignée d’opposants peut mettre de sérieux bâtons dans les roues d’un projet immobilier. Il suffit bien souvent que 10 citoyens d’une zone limitrophe demandent la tenue d’un référendum pour que le processus s’enclenche.

Ces consultations permettent parfois de bonifier des projets, on s’entend. Mais dans bien des cas, elles contribuent surtout à les ralentir, lorsqu’elles ne signent pas carrément leur arrêt de mort.

Les nouveaux « superpouvoirs » sont encore tout récents. Les fonctionnaires des villes sont en train de les analyser sous toutes les coutures en ce moment même. Montréal, par exemple, devrait se doter d’un cadre d’utilisation clair d’ici un mois, selon mes informations.

L’Union des municipalités du Québec (UMQ) a donné un webinaire sur le sujet la semaine dernière. L’évènement a attiré plus de 350 participants du milieu municipal. L’intérêt est énorme.

L’UMQ estime que les nouveaux pouvoirs exceptionnels permettront de faire passer à 3 ou 4 mois les délais d’approbation de certains projets, contre 8 à 18 mois selon le cadre traditionnel.

Les gains d’efficacité s’annoncent appréciables, mais l’UMQ prône tout de même la prudence. Elle invite les villes à consulter leurs citoyens autant que possible et à faire preuve d’une grande transparence lorsque des projets seront déposés.

Il faudra voir. Beaucoup craignent des dérapages.

L’Ordre des urbanistes du Québec (OUQ), par exemple, redoute des enjeux d’intégration urbaine, avec la construction de projets qui ne seraient pas adaptés à leur environnement immédiat. L’organisme appelle les élus municipaux à utiliser ce nouveau pouvoir de manière « limitée ».

L’OUQ réclame aussi que Québec dépose un plan global en matière d’habitation, avec une vraie vue d’ensemble, plutôt que des mesures à la pièce comme les « superpouvoirs ».

L’un n’exclut pas l’autre.

Mais je suis d’accord avec l’OUQ sur ce point : il faudra très bientôt que le gouvernement Legault dévoile un plan de match clair et cohérent en matière d’habitation. S’il en a un…

1. Lisez l’article « Un autre cas de “Pas dans ma cour” » 2. Lisez la chronique « Densification urbaine : 50 nuances de gris (et de bisbille) »