J’ai reçu un déluge de témoignages dans la foulée de ma chronique de dimanche sur le mur d’études scientifiques qui montrent que grandir dans les écrans, c’est loin d’être sain1.

Je faisais écho à un article formidable du magazine The Atlantic où Jonathan Haidt a dévoilé un aperçu de son livre sur le recalibrage des cerveaux des jeunes qui n’ont pas connu l’enfance sans l’internet mobile2.

Études et statistiques à l’appui, Haidt montre qu’à la fin des années 2000 et au début des années 2010, quand le téléphone intelligent a pris son envol – y compris dans la vie des mineurs –, on a accéléré des changements radicaux dans la façon dont se vit l’enfance.

Plus d’études seront nécessaires. Mais chez les jeunes, des troubles de l’anxiété à l’automutilation en passant par les suicides, tous ces indicateurs sont partis à la hausse, aux États-Unis3 et ailleurs, avec l’omniprésence des écrans.

Ce qui inquiète des experts, c’est que le temps passé en ligne a mené à une réduction du temps passé dans le réel, face à face, qui a grandement diminué chez les jeunes. Or, depuis toujours, le réel donne aux petits humains des outils qui guident leur développement et leur bien-être.

Coupez ce temps passé en 3D avec d’autres humains, et vous jouez avec des circuits neuronaux façonnés par des milliers d’années d’évolution.

Je cite Jonathan Haidt sur la façon dont les écrans et les réseaux sociaux se sont enracinés dans la vie des enfants occidentaux, il y a environ 15 ans : « Nous n’avions aucune idée de ce que nous faisions. »

Véronique est enseignante dans la grande région de Montréal. Elle m’a demandé l’anonymat pour parler librement et ne pas attirer l’attention sur sa classe.

Récemment, elle a dû intervenir auprès des parents pour leur demander de réfléchir à l’impact de TikTok et Snapchat dans la vie de leurs enfants… et de sa classe.

L’enseignante a raconté aux parents comment le virtuel débordait dans sa classe. Elle leur a dit que sur ces plateformes, des photos circulent, des insultes, des commentaires cinglants. Derrière leur écran, a expliqué Véronique aux parents, les enfants ne réfléchissent pas. Ils disent des choses qu’ils ne diraient pas en 3D.

Toutes ces frustrations virtuelles déboulent à l’école, où des chicanes éclatent dans le réel : « Ça nuit à l’estime des enfants, m’a dit l’enseignante, certains sont très blessés, il y a des commentaires sur leur apparence, des menaces, des insultes. »

Une histoire de photo sur TikTok a créé une sorte de crise parmi les élèves de la classe. Certains ont passé une heure dans le bureau de la technicienne en éducation spécialisée pour parlementer et démêler la chicane créée dans le numérique qui s’est poursuivie à l’école.

La prof : « Leur groupe TikTok est un espace où se disent des commentaires irrespectueux. Ils ont entre les mains un outil qui dépasse leur capacité de jugement. Les enfants sont impulsifs de nature. Ils se retrouvent à avoir envoyé des messages sans réfléchir, des messages dont ils n’estiment pas la portée. »

J’ai oublié un détail : on parle ici d’élèves de 5année, donc… 10, 11 ans.

La communication de Véronique avec les parents a porté ses fruits. Une discussion s’est ouverte. Des parents ont témoigné de l’impact des écrans et des univers virtuels sur l’humeur de leurs enfants.

Un parent a raconté avoir perçu un vague à l’âme chez son enfant depuis qu’il lui avait permis d’aller sur TikTok, pour faire partie de la vie virtuelle de ses camarades de classe. D’enfant heureux, il était devenu triste. Le parent a donc ouvert le compte de son enfant pour voir ce qui s’y passait…

Et il y a fait des découvertes effrayantes : langage vulgaire, propos dégradants. Des enfants que ce parent connaissait, très respectueux dans la vraie vie, disaient des choses qu’ils n’auraient jamais dites en personne, face à face.

Le parent a décidé de fermer le compte TikTok de son enfant. Résultat : il a confié à Véronique avoir retrouvé son enfant d’avant les réseaux sociaux.

Un autre parent a également coupé le TikTok de son enfant, qui était devenu angoissé à cause de ce qu’il vivait dans le virtuel. Aujourd’hui, dit Véronique, cet enfant va mieux.

Au Québec, l’âge légal pour utiliser TikTok est de 14 ans, c’est 13 ans pour Snapchat.

Plusieurs parents m’ont écrit pour me parler de l’impact des réseaux sociaux sur leurs enfants, sur leurs adolescents. Nous sommes au début d’un mouvement d’éveil aux effets sur l’humeur et le développement émotionnel et social des jeunes pour qui les écrans et les réseaux sociaux ont toujours fait partie de leurs vies4.

Au printemps 2023, le directeur du Service de santé publique des États-Unis (surgeon general) a publié une mise en garde portant sur l’effet des écrans sur les jeunes cerveaux5. Citant les taux grandissants de dépression et d’anxiété chez les adolescents, Vivek H. Murthy a eu ces mots : « Il n’est plus possible d’ignorer la contribution potentielle des réseaux sociaux à la douleur ressentie par des millions d’enfants et leurs familles6. »

Le directeur du Service de santé publique des États-Unis note que 40 % des Américains de 8 à 12 ans utilisent malgré tout les réseaux sociaux, bien que l’âge minimum pour s’inscrire soit généralement de 13 ans.

Pour M. Murthy, l’âge minimum de 13 ans pour pouvoir s’inscrire à un réseau social est beaucoup trop bas.

Il n’est pas le seul, j’y reviendrai bientôt.

1. Lisez la chronique « Nos enfants, le téléphone et le virtuel » 2. Lisez l'article de The Atlantic (en anglais) 3. Lisez un article du New York Times (en anglais) 4. Lisez « Protection des enfants : Mark Zuckerberg s’excuse au Sénat américain » 5. Lisez la mise en garde du directeur du Service de santé publique des États-Unis (en anglais) 6. Lisez un article du Washington Post (en anglais)