Je sais que Paul Houde est mort de complications à la suite d’une opération au cerveau, ce titre pourrait paraître indélicat. Mais le cerveau de Paul Houde était hors norme, un ovni, je ne peux pas ne pas parler du cerveau de Paul. Je ne vois pas de meilleur titre pour coiffer cette chronique-hommage.

Sur cette précision, je commence…

Paul Houde savait tout.

Je ne dis pas ça pour faire joli, mais oui, Paul Houde savait tout. Ce n’est pas une façon de parler. Il y avait un côté Rain Man chez Paul, ses connaissances étaient infinies dans une multitude de domaines…

Dans le fin détail des choses.

J’ai parlé à Paul Houde chaque jour pendant six ans, 42 semaines par année, quand il animait Le Québec maintenant au 98,5 FM. J’étais son chroniqueur aux actualités. Tour de table à 17 h 06, chronique à 17 h 15 et on jasait pendant une dizaine de minutes.

Paul savait absolument tout. Aviation, exploration spatiale, olympisme, athlétisme, hockey, Blackhawks de Chicago, météo, système solaire, chanson, politique, histoire, cinéma : on ne parle pas ici d’un homme à la mémoire photographique, on parle d’un homme dont on aurait pu penser qu’il s’était fait implanter l’algorithme de Google dans le cerveau avant la naissance de Google. En ondes, je l’appelais « Mon Wikipédia à deux pattes ». Un polymathe.

Je me suis toujours demandé comment fonctionnait le cerveau de Paul Houde, comment il faisait pour emmagasiner autant de connaissances sur autant de sujets. Paul notait depuis toujours la météo du jour dans des calepins qu’il accumulait, en y ajoutant des détails sur l’actualité du jour. Donc, il y a ça. Mais l’affaire, c’est que vous pouviez lui demander la météo d’un jour donné et…

Et il s’en souvenait !

Et je ne parle pas de la météo de lundi dernier : je parle de la météo d’un jour donné des années auparavant.

Genre : quel temps faisait-il quand tes Blackhawks ont perdu en finale contre le Canadien, Paul ?

Je vous jure : Paul Houde pouvait vous dire, de mémoire, la météo du 18 mai 1971. Paul savait tout.

Il y a des gens qui connaissent beaucoup de choses et qui vous le font savoir comme le culturiste qui flashe ses abdos bien huilés sur la plage. Pas Paul. Il vous récitait des records du monde, des statistiques de hockey, des gagnants des Oscars, des faits lunaires comme si c’était la chose la plus simple du monde, en s’amusant de votre étonnement…

La carrière médiatique de Paul Houde a été à l’image de ses passions, de ses champs d’intérêt, de sa curiosité boulimique. Animateur de radio, oui, la radio fut son premier grand amour. Mais aussi homme à tout faire en télé : animateur de show de service (Tous les matins, à Radio-Canada) ou de quiz (Le cercle à TVA) et chroniqueur absurde avec Marc Labrèche (La fin du monde est à 7 heures, 3600 secondes d’extase). Comme si ce n’était pas assez, il a joué le gardien de but Fern dans la série de films Les Boys… 

Paul Houde a toujours été là – je veux dire que pour beaucoup de gens, Paul a toujours été dans le paysage. J’ai 52 ans et d’aussi loin que je me souvienne, Paul était dans la sphère publique, je pense l’avoir entendu la première fois lors de Jeux olympiques, quand j’étais ado : j’imagine qu’il décrivait alors l’athlétisme, une de ses grandes passions.

Morning man à CFGL, animateur du retour au 98,5 FM, soupape comique à la télé, présence dans Les Boys, aussi à l’aise à parler de hockey avec sa gang de BPM Sports que de la vie avec les petits chenapans de La journée (est encore jeune), à Radio-Canada : pendant des décennies, Paul nous a accompagnés et a marqué des milliers de gens de mille façons… 

Pas étonnant qu’aujourd’hui, sa mort subite à 69 ans soit ressentie pour des milliers de Québécois comme la mort d’un proche. Tout le monde connaissait Paul, tout le monde aimait Paul. Les hommages sont légion depuis l’annonce de sa mort.

Tout le monde aimait Paul Houde, au premier chef ses collaborateurs. J’ai une pensée émue pour ses amis et pour sa famille, bien sûr. Mais j’ai aussi une pensée pour Thérèse Parisien, la grande complice de Paul en ondes, au 98,5 FM, qui était aussi une amie dans la vie. Une pensée aussi pour Kathrine Huet, qui a été bien plus qu’une recherchiste et productrice pour Paul.

En ondes, c’était un animateur tout-terrain, capable de « faire du temps » si un invité tardait à se matérialiser au bout du fil, aussi efficace à interviewer un chef scout qu’un metteur en scène français de passage à Montréal, le témoin d’un carambolage ou une ministre qui venait de sortir d’une conférence de presse.

Derrière le micro, Paul Houde avait un côté givré bien assumé, il pouvait rigoler, cabotiner et imiter, mais il pouvait aussi devenir sérieux comme Pierre Bruneau : quand des islamistes fous furieux ont commis cet épouvantable massacre à Paris le 13 novembre 2015, Paul a tenu l’antenne toute la soirée, bien au-delà de la fin prévue de son émission, à 18 h 30, interviewant experts et témoins du terrain avec un doigté admirable.

Je ne l’ai que rarement côtoyé en privé, je le devinais un brin angoissé, un ami commun m’avait dit, il y a longtemps, que Paul vivait avec la crainte perpétuelle de manquer de boulot…

Il n’en a jamais manqué, bien sûr : à 69 ans, il était encore sollicité. Sollicité, aimé, admiré.

Une anecdote pour illustrer sa mémoire, en terminant. Quand je vous dis que Paul Houde savait tout, ce n’est pas une façon de parler. Un jour, quelqu’un m’a fait une suggestion (j’oublie qui, je n’ai pas sa mémoire…) : celle de poser une question piège bien précise à Paul en ondes à propos des Jeux de Montréal, en 1976…

J’ai donc demandé à Paul :

« Paul, il paraît que tu te souviens du nom du nu-vite qui a perturbé la cérémonie de clôture des Jeux olympiques de Montréal, en 1976… »

La réponse a fusé immédiatement, impossible qu’il ait discrètement demandé une passe sur la palette de Google : « Michel Leduc ! »

Mais l’exploit n’est pas que Paul se soit souvenu sans aide du nom d’un hurluberlu qui squatte une note de bas de page de l’histoire des Jeux de 1976, non, l’exploit, c’est que Paul se souvenait aussi… de l’adresse de son domicile !

Comment savait-il ça et comment s’en souvenait-il, 40 ans plus tard ?

Aucune idée, ça faisait partie des mystères du merveilleux cerveau de Paul Houde.

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