Il était pour le moins ironique d’entendre François Legault reprocher cette semaine au chef du Parti québécois de « faire de la politique » sur un dossier « aussi crucial » que l’immigration. Un peu comme si l’auteur du manuel scolaire Comment gagner ses élections en dix déclarations anti-immigrants faciles reprochait à celui qui avait bien retenu la leçon de faire mieux que lui.

Quelques heures plus tôt, en conférence de presse, quatre ministres caquistes, l’air grave, nous avertissaient qu’il y avait péril en la demeure. Si rien n’est fait par Ottawa, l’identité québécoise pourrait être « menacée » par l’afflux de demandeurs d’asile. Leur arrivée massive fait même craindre au gouvernement une « crise humanitaire ».

« Oui, il y a des choses qui sont menacées, il y a des services qui sont menacés, il y a une manière de vivre qui est menacée lorsque les nombres [de demandes d’asile] sont trop grands. Il faut le nommer », a dit le ministre Jean-François Roberge.

La menace qu’il faut ici nommer me semble ailleurs. Elle est dans ce discours politique de plus en plus normalisé qui transforme le demandeur d’asile en bouc émissaire. Une stratégie de diversion bien commode, puisque l’on s’en prend aux gens parmi les plus vulnérables de notre société qui n’ont ni voix ni droit de vote. Le politicien irresponsable peut dire à peu près tout ce qu’il veut à leur sujet sans avoir à craindre la réaction des principaux concernés.

Même si on énonce des inepties qui transforment ceux dont la vie est menacée en menace, ils ne diront rien. Ils sont juste trop occupés à survivre, s’échinant souvent dans des emplois essentiels que personne d’autre ne veut faire.

Ces gens en quête d’une vie meilleure pour leurs enfants ont bien eu leurs deux minutes de gloire et de dignité quand, en pleine pandémie, on a réalisé que, sans leur contribution dans les CHSLD et les services essentiels, la société était foutue… On les a décorés du titre d’« anges gardiens ». On a régularisé le statut de certains d’entre eux pour les remercier. Mais une fois la pause pandémique terminée, on est vite revenu à la programmation régulière. Les anges d’hier qui ont tenu la main de nos vieux quand plus rien n’allait et contribué à la société de multiples façons ont vite vu leurs ailes coupées. Dans le discours du gouvernement, ils sont redevenus une menace pour nos services publics, pour l’accès au logement, pour notre identité, pour la survie du français au Québec…

Qu’importe si ces personnes qui demandent l’asile représentent 1,8 % de la population québécoise et que le budget qui leur est consacré représente 0,25 % du portefeuille global du Québec, comme l’ont rappelé les organismes communautaires et de défense des droits de la personne qui les soutiennent1. Qu’importe si les réfugiés allophones d’hier et leurs enfants, de Kim Thúy à Ravy Por, sont aujourd’hui des citoyens francophones à part entière qui enrichissent l’identité québécoise et contribuent à la société2. Aux yeux du gouvernement Legault, ces gens seraient une menace.

Ce discours sur les demandeurs d’asile s’inscrit dans une stratégie plus large de politisation de l’immigration qui est l’une des marques de commerce de la CAQ depuis sa création, en 2011. Le rôle que le parti de François Legault a joué dans le changement de ton que l’on a noté sur la question migratoire depuis plus d’une décennie n’est pas mineur. Selon les chercheuses Mireille Paquet et Catherine Xhardez, qui ont analysé la façon dont l’immigration est traitée dans les plateformes électorales des partis politiques québécois de 1991 à 2018, la CAQ a été « l’agent de la politisation de l’immigration » au Québec, notamment en proposant à partir de 2012 de réduire les seuils3.

Ultimement, tout est politique, bien sûr. L’immigration aussi. Je ne suis pas en train de dire qu’il ne faudrait jamais discuter d’enjeux migratoires à l’Assemblée nationale, réfléchir à comment on peut revoir ou améliorer nos politiques d’accueil, faire mieux en matière de francisation, talonner Ottawa pour les ratés, s’assurer qu’il y ait une répartition plus équitable des demandes d’asile au pays.

Mais tout est dans la manière. Et celle qu’a choisie le gouvernement caquiste est la plus inquiétante qui soit.

« Dire que ‟l’identité québécoise” est menacée par les personnes demandeuses d’asile s’apparente dangereusement à un appel à la haine, à la xénophobie », a écrit, sur le réseau social X, France-Isabelle Langlois, directrice générale de la section francophone canadienne d’Amnistie internationale.

« Que le Québec suive la tendance extrêmement inquiétante du populisme xénophobe observé partout, notamment en Europe, préoccupe au plus haut point @AmnistieCA ».

Et pour cause. C’est un jeu dangereux qui piétine la belle tradition d’accueil du Québec et constitue une réelle menace pour l’avenir de toute société juste et inclusive.

1. Consultez le communiqué de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes 2. Lisez le portrait de Ravy Por, fille de réfugiés cambodgiens 3. Lisez l’article de L’actualité « Quelle immigration pour le Québec ? »