C’est eux qui s’en vont en bus à l’aube travailler dans les abattoirs. Eux qu’on a envoyés soigner les malades dans les CHSLD pendant la pandémie. Mal payés. Exploités.

Ils attendent de savoir si leur histoire sera considérée comme suffisamment tragique pour leur valoir le statut de réfugié politique.

On veut qu’ils travaillent en attendant, ah, ça oui. On ne veut pas qu’ils vivent « aux crochets de la société », n’est-ce pas ? On a besoin de gens pour déplumer nos poulets, décarcasser nos porcs, prendre soin de nos malades et laver nos hospices.

Mais pour faire garder leurs enfants ? Qu’ils s’arrangent.

C’est juridiquement ce que dit notre gouvernement aux demandeurs d’asile, malgré deux jugements des tribunaux expliquant en quoi cette exclusion est injuste, discriminatoire envers les femmes.

Plusieurs migrantes arrivent ici seules, avec de très jeunes enfants. Après avoir traversé le continent, payé des passeurs, risqué leur vie, etc.

On ne veut pas qu’elles vivent de l’aide sociale… Mais on ne veut pas de leurs enfants dans nos CPE, nos garderies subventionnées.

Pour l’école, pas le choix : c’est obligatoire. Leurs enfants iront. Mais quand il s’agit de services de garde, qui devraient au fond être dans la continuité du système scolaire, c’est comme si on parlait d’un privilège.

On veut qu’ils s’intègrent à la société québécoise. Mais pour ça, sortez l’argent et envoyez-les en garderie privée. Alors que ce serait la meilleure porte d’entrée possible au Québec.

Pourtant, au Québec, si vous êtes officiellement réfugié, immigrant reçu, travailleur temporaire, étudiant étranger ou simple titulaire d’un permis de séjour, vous pouvez envoyer vos enfants en CPE.

Vous êtes « demandeur d’asile », même avec un permis de travail ? C’est non.

Dans un jugement unanime rendu il y a deux semaines, la Cour d’appel a dit que cette pratique est discriminatoire envers les femmes, car elle les affecte de manière disproportionnée. J’ajouterais : envers leurs enfants aussi.

Mardi, le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a annoncé que le gouvernement contestera cette décision devant la Cour suprême. Je ne miserais pas trop sur ses chances de succès.

La ministre de la Famille, Suzanne Roy, a dit que son gouvernement était « sensible à la situation des demandeurs d’asile », mais que « nous devons être réalistes et conséquents. Il faut prendre en considération les impacts financiers et humains. Le Québec accueille 55 % des demandeurs d’asile du Canada même s’il ne représente que 22 % de sa population ».

Car il y a une question d’argent, évidemment. On dénombre un peu plus de 8000 enfants de demandeurs d’asile en âge d’aller en CPE. Sur quelque 150 000 places, en incluant les garderies subventionnées, ce n’est pas la mer à boire.

Il n’y a pas de doute que le Québec, pour des raisons géographiques, accueille plus que sa part canadienne des demandeurs d’asile. Il va de soi aussi que le gouvernement fédéral manque à ses obligations de trois manières : en ne dédommageant pas adéquatement le Québec, qui absorbe le gros de coûts, en n’aidant pas assez à la relocalisation et en faisant attendre des gens des années avant d’obtenir leur réponse.

Ce n’est pas une raison pour en faire payer le prix à ces enfants et à leurs parents.

« Il ne faut pas oublier que les enfants des demandeurs d’asile ont accès aux services de garde non subventionnés », dit la ministre Roy avec commisération.

Encore chanceuses !

Mais à 40 $ avec beaucoup de chance, ou 50 $ par jour pour un enfant, qui en a les moyens ? Il reste le loyer et la nourriture…

Plusieurs étrangers jouissent pourtant du droit au service de garde, s’ils cochent la bonne case du formulaire (une politique qui date des libéraux, en passant, simplement poursuivie par la CAQ). Le Procureur général a plaidé que ces distinctions visaient à aider les gens qui ont « un lien suffisant avec le Québec ». Plusieurs pourtant ne sont que de passage, et bénéficient quand même de cet accès.

Il manque de places ? C’est vrai. Tout ce que ces familles veulent, c’est de se mettre en ligne avec tout le monde pour en avoir une. Certaines, comme Aliancia Mercredi, citée par mes collègues Hugo Pilon-Larose et Suzanne Colpron, travaillent même dans un CPE !

Résultat de cette politique : plusieurs ne peuvent tout simplement pas travailler pour cette raison précise, ce qui n’est certainement pas avantageux budgétairement parlant pour le Québec. Certains les traiteront de profiteuses, n’en doutez pas.

On n’imagine pas de faire payer les demandeurs d’asile pour l’école de leurs enfants. Il n’y a pas de raison valable de les exclure de ce système de garde public dont nous sommes si fiers. Ni de se priver de cet outil puissant d’intégration sociale.

Il n’y a pas de raison juste, en tout cas.