François Legault n’aime pas le jugement obligeant le gouvernement du Québec à ouvrir la porte des places de garde subventionnées aux demandeurs d’asile.

Son procureur général a annoncé mercredi son intention de s’adresser à la Cour suprême pour que ça n’arrive pas. Je ne suis pas d’accord, je l’ai écrit jeudi, mais c’est bien son droit. La position du gouvernement de la CAQ (et des libéraux en 2018) est connue depuis longtemps : il manque déjà de places subventionnées, on va laisser les Québécois passer d’abord, et les enfants des réfugiés en attente de statut dehors. Il oublie de dire que des étrangers, notamment des étudiants et des travailleurs temporaires, ont accès à ces services de garde, mais bon, on a compris sa position.

Sauf qu’encore une fois, il ne s’est pas contenté de répondre à l’argument de fond (l’exclusion de ces enfants est discriminatoire pour les migrantes). Il a attaqué personnellement les juges ayant rendu cette décision.

Car les trois juges de la Cour d’appel ayant signé le jugement du 7 février portent la tache originelle d’avoir été « nommés par Ottawa ».

Ironiquement, tous les partis de l’opposition à Québec, dont deux sont souverainistes, ont comme position d’ouvrir les places de garde subventionnées aux demandeurs d’asile. Le Parti libéral, Québec solidaire et le Parti québécois. Tous trouvent que cette exclusion est indigne d’une société comme le Québec.

Celui qui a fait rugir François Legault est Paul St-Pierre-Plamondon – l’homme qui lui fait faire de mauvais rêves et de mauvais sondages. PSPP a osé demander au chef du gouvernement pourquoi il en appelait de ce jugement.

Voici la réponse courroucée du premier ministre du Québec, mesdames et messieurs :

« [Le chef du PQ] sait que les juges de la Cour d’appel sont nommés par le gouvernement fédéral et il dit qu’il a plus confiance dans la Cour d’appel qu’au gouvernement du Québec pour décider si on est obligé ou non de donner des services de garderies subventionnés. C’est incroyable. C’est le chef du PQ qui est à plat ventre devant le fédéral. »

Décortiquons tranquillement ceci si vous le voulez bien.

a) « Les juges de la Cour d’appel sont nommés par le gouvernement fédéral » ?

C’est vrai. Faut-il en déduire que dans l’esprit de M. Legault, ces juges sont redevables au gouvernement fédéral ? Faut-il, dans la même logique, comprendre que les juges de la Cour du Québec, ou du Tribunal administratif du Québec, eux, « penchent » en faveur des positions du gouvernement du Québec ?

J’ose espérer que non. Non, en fait.

Ce serait ne rien comprendre à la séparation des pouvoirs et à l’indépendance judiciaire. Les juges ne sont les employés d’aucun gouvernement. Ils doivent arbitrer des litiges, mais aussi, parfois, décider de la validité constitutionnelle des lois et des actions du pouvoir législatif ou exécutif. Oui, la Loi constitutionnelle aussi émane d’Ottawa, et celle de 1982 n’a pas été signée par le Québec. Mais la très québécoise « Charte québécoise des droits et libertés de la personne » dit essentiellement la même chose. La plupart des démocraties constitutionnelles confient aux juges le contrôle de la validité des lois. Même les Britanniques ont abandonné l’antique idée de « suprématie du Parlement ».

b) Même en acceptant l’idée fausse que les « juges nommés par le fédéral » obéissent à leur « créateur », comme disait Duplessis, l’analyse se complique quand on observe qu’ils ont été nommés par différents gouvernements. Les conservateurs de Stephen Harper, qui ont nommé le juge Robert Mainville (un des trois juges), n’avaient pas la même politique face aux demandeurs d’asile que les libéraux, qui ont nommé les deux autres juges dans ce dossier : l’ancien professeur de droit Benoit Moore et la juge Julie Dutil, autrice du jugement. Un jugement unanime.

c) Cette cour dont les juges ont été nommés par le fédéral a régulièrement donné raison au gouvernement du Québec dans ses conflits avec le gouvernement d’Ottawa. Dans le cas de l’aide médicale à mourir. Dans le cas de la tentative de créer une commission fédérale des valeurs mobilières. Dans plusieurs autres cas également. On pourrait ajouter que la Cour suprême, même quand la majorité des juges avaient été nommés par Stephen Harper, a régulièrement invalidé des lois du gouvernement conservateur. Etc.

d) Ce n’est pas « avoir davantage confiance » à la Cour d’appel qu’au gouvernement du Québec que de trouver qu’elle a raison dans cette affaire. Le système démocratique est fondé sur un équilibre des pouvoirs, pas sur la domination de l’un d’entre eux. M. Legault s’est souvent opposé aux décisions de l’Assemblée nationale comme expression de la volonté populaire aux décisions de « juges non élus », comme si ces dernières étaient moins légitimes. Les gouvernements ne sont pourtant presque jamais élus par la majorité absolue. Et même s’ils l’étaient, les tribunaux sont indépendants justement pour décider sans tenter de plaire à la majorité, sans crainte de perdre leur job. Et pour protéger les droits des minorités, des gens impopulaires… et des demandeurs d’asile.

e) En 2019, donc pendant que la CAQ était au pouvoir, la très québécoise Commission des droits de la personne et de la jeunesse du Québec (CDPJQ) s’est jointe à la cause des demandeurs d’asile. Les dirigeants de cet organisme sont pourtant nommés par l’Assemblée nationale. La commission devrait-elle pour cela obéir au gouvernement ? Évidemment non, elle est indépendante. Peu importe sous quel gouvernement ses membres ont été nommés, elle tente de défendre les droits fondamentaux.

f) Ce n’est pas être « à plat ventre » devant qui que ce soit que de respecter une décision judiciaire. C’est par contre une pente dangereuse, quand on détient le pouvoir législatif, d’attaquer la crédibilité de l’institution judiciaire quand une décision ne fait pas notre affaire. Les juges ne sont pas au-dessus de la critique, évidemment. Mais quand on est premier ministre, on doit mesurer ses attaques et débattre sur le fond des enjeux. Pas en tentant de disqualifier des magistrats personnellement du fait de leur nomination.