Même si la décision n’est pas encore prise, elle paraît inévitable. Tout indique que le retour au déficit zéro sera reporté au-delà de 2027-2028.

« C’est possible », a admis François Legault dimanche. Il a surtout rappelé que toutes les autres options sont écartées. Pas de hausse d’impôt. Pas « d’austérité ». Et peu importe ses prières, aucun développement économique miraculeux ne fera pleuvoir des milliards dans les prochains mois.

« Les derniers arbitrages seront faits dans les prochaines semaines », a ajouté M. Legault. Mais autant sur le plan politique que financier, la décision paraît claire.

Le paysage politique a changé. Le Parti conservateur est le seul à prôner le conservatisme fiscal, mais il n’a pas de député. À l’Assemblée nationale, aucun parti de l’opposition ne se battra pour rééquilibrer le budget d’ici cinq ans, comme c’était initialement prévu. Lors de la dernière campagne électorale, les libéraux projetaient même des déficits plus élevés que ceux de la Coalition avenir Québec (CAQ).

Les péquistes et les solidaires accuseront M. Legault d’avoir réduit sa marge de manœuvre en allégeant les impôts. La CAQ se défend en disant qu’elle a financé cette baisse par une diminution des versements au Fonds des générations. C’est vrai, mais ce sont des vases communicants. Cette économie aurait pu être utilisée pour financer davantage les services publics.

En fait-on assez ? La réponse à cette question dépend du niveau d’analyse, comme le montre le mémoire soumis par Luc Godbout et ses collègues de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques dans le cadre de la consultation prébudgétaire⁠1.

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Le chercheur principal de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques, Luc Godbout

De façon macro, la réponse ressemble à un « oui ». Les dépenses de l’État comptent pour 24,8 % du produit intérieur brut (PIB). C’est plus qu’à l’arrivée au pouvoir de M. Legault. Et plus aussi que tous les budgets depuis l’an 2000. Cette hausse s’explique entre autres par l’ajout de programmes depuis 2018, comme le Soutien aux aînés, le crédit pour maintien à domicile des aînés, le crédit remboursable pour personnes aidantes, l’Allocation famille, l’Allocation logement, le crédit remboursable pour frais de garde d’enfants et le programme de revenu de base. On ne peut donc pas dire que la CAQ réduit la taille de l’État, au contraire.

Pour équilibrer le budget, le ministre des Finances, Eric Girard, avançait en novembre dernier que les revenus devaient dépasser les dépenses de 1 milliard de dollars, chaque année, jusqu’à 2027-2028. Ce sera encore plus difficile que prévu.

Depuis l’automne, l’économie a ralenti et les nouvelles conventions collectives coûteront au net 2,9 milliards par année en 2027. Et ce chiffre n’inclut pas les mesures consenties dans les ententes sectorielles.

On se doute que lors de sa déclaration en novembre, M. Girard se gardait des coussins. Il avait probablement un peu sous-estimé ses revenus ou surestimé ses dépenses, afin de se garder des marges pour donner plus d’argent aux syndicats que la première offre sur la table.

Reste que même si c’était bel et bien le cas, cette manœuvre ne change rien au constat général : si rien ne change, au lieu de se résorber, l’écart va se creuser.

Mais il y a une autre façon de répondre à la question de savoir si le gouvernement en fait assez. Elle se fait en analysant non pas les finances publiques, mais plutôt l’état des services sur le terrain. Là-dessus, la conclusion est claire : la population est insatisfaite.

Voilà en gros le casse-tête budgétaire du Québec : on ne dépense pas assez et on dépense trop. Mais à l’Assemblée nationale, c’est l’état des services publics qui est dénoncé. La pression sur M. Legault vient de ce front.

Bien sûr, on pourrait hausser des revenus. Puisque M. Legault exclut d’augmenter les impôts, il reste peu d’options. L’idéal serait évidemment de lancer de nouveaux projets de développement économique, mais ce n’est pas comme si ce gouvernement, ou ses prédécesseurs, n’essayait pas.

Au minimum, un ménage dans l’aide aux entreprises paraît souhaitable. Le mémoire de M. Godbout cible quelques économies possibles, mais elles ne suffiraient pas à équilibrer le budget.

Lors du caucus de présession à Sherbrooke, le 25 janvier, M. Girard annonçait déjà que les déficits dépasseraient les prévisions.

Dimanche, M. Legault tenait une grande conférence de presse avec le ministre de l’Éducation et la présidente du Conseil du trésor, qui visait notamment à préparer les esprits au prochain budget.

Les lois sur le déficit zéro et la dette viennent tout juste d’être changées, en décembre. Il faudrait à nouveau décaler les cibles.

Ce sera la portion facile. Même si on reporte un peu l’échéance, le cœur du problème demeure. Comment assurer les services de l’État alors que les dépenses croissent plus vite que les revenus ? Et alors que la santé et l’éducation grugent proportionnellement une part de plus en plus grande des dépenses ?

L’automne dernier, on prévoyait une hausse famélique de 1,6 % des dépenses en 2024-2025. Soit nettement moins que la hausse des coûts de système en santé et en éducation, estimée à plus de 4 %. Et ça, c’était avec le ralentissement économique.

On ne s’en sortira pas. Il faudra un plan. La loi le requiert, et les prêteurs sur les marchés l’exigeront également. Pour la CAQ, le casse-tête s’intensifie. Et il rattrapera aussi les autres partis, qui seront pris avec les mêmes dilemmes quand ils présenteront leur vision à la prochaine campagne électorale.

1. Lisez le mémoire de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques