« C’est quoi ça ? C’est-tu ça, mon Québec de 2023 ? »

Ce cri du cœur de la mairesse de Gatineau a tourné en boucle dans les médias, en septembre dernier, quand elle a exhorté le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, à « faire sa job » dans le dossier de l’itinérance. La réponse a été cinglante : « Baissez le ton. »

France Bélisle n’a jamais baissé le ton, mais elle a baissé les bras.

Elle a annoncé jeudi matin sa démission immédiate. À cause du climat toxique au conseil municipal. À cause de l’intimidation. À cause des menaces de mort. À cause de l’impact de tout ça sur sa santé…

Ce qu’elle a décrit fait mal au cœur. « Son » Québec, le mien et le vôtre, devrait prendre un instant pour se regarder dans le miroir.

Une urgente réflexion collective s’impose.

Le départ de France Bélisle causera une onde de choc dans sa ville de 291 000 habitants. Le climat politique a été tendu depuis son élection comme mairesse indépendante, en 2021. Il y a eu des coups bas, de l’intimidation, de la partisanerie extrême.

Une élection sera déclenchée pour la remplacer, et peut-être que ce scrutin permettra d’assainir un peu l’air à l’hôtel de ville.

Mais les contrecoups dépasseront de loin les frontières de l’Outaouais. C’est le monde municipal dans son ensemble qui est en crise au Québec, et rien ne pointe vers une amélioration des choses.

Pire : ce qu’a décrit France Bélisle pour justifier sa démission est un (triste) reflet de notre société dans son ensemble, je trouve. Les gens sont de plus en plus impulsifs, grossiers, violents. Souvent dans l’anonymat des réseaux sociaux, mais aussi dans la vie de tous les jours. À l’épicerie, au restaurant, en pleine rue…

Les élus municipaux sont aux premières loges pour recevoir toute cette hargne, au quotidien, lorsqu’ils vivent leur vie ou exercent leurs fonctions.

« Les gens s’attendent à ce qu’on ait de grosses carapaces, mais ça devient extrêmement difficile », m’a résumé Martin Damphousse, président de l’Union des municipalités du Québec (UMQ) et maire de Varennes.

Les carapaces commencent à se fissurer, lorsqu’elles ne s’effritent pas complètement.

Il y a les critiques légitimes des citoyens, qui ont tous les droits de talonner leurs élus, tant que c’est fait avec respect. Mais il y a aussi de plus en plus d’incivilité entre politiciens, dans les mairies.

Lisez l’article « Un coup de torse secoue l’hôtel de ville de Québec »

Dernier cas en lice : une foire d’empoigne à l’hôtel de ville de Québec, entre deux conseillers municipaux, pour une histoire de mentions « j’aime » sur Facebook. L’un accuse l’autre de l’avoir « chesté », donc de lui avoir donné un coup de torse. Eh oui.

De la moronnerie à l’état pur, qui ne fait que dégrader encore un peu plus l’image des politiciens. Et un autre exemple qui risque de décourager les aspirants candidats à sauter dans l’arène pour les élections municipales de novembre 2025…

« Vous me permettrez de m’inquiéter des dérapages, de la perte de noblesse associée au rôle de politicien et du service public qui n’a plus la cote », a noté jeudi France Bélisle pendant sa conférence de presse.

Ses craintes sont bien fondées.

Les statistiques confirment la lourdeur du climat dans les villes et villages du Québec. Presque 10 % de tous les maires et conseillers municipaux ont démissionné depuis les plus récentes élections, en 2021.

On parle de 762 élus sur un total de 8062 !

À la même période, quatre ans plus tôt, 542 élus avaient démissionné en cours de mandat, selon les chiffres que m’a fournis le Directeur général des élections du Québec. L’écart est significatif et témoigne d’une dégradation du climat en quelques années à peine.

Le nombre de démissions est « historique », souligne le président de l’UMQ. Et on n’a peut-être encore rien vu. Il redoute une vague de départs à partir de novembre prochain.

Pourquoi cette date ? Parce que les maires et conseillers qui démissionnent à moins d’un an de la tenue d’élections municipales savent que cela n’entraînera pas le déclenchement automatique (et coûteux) d’un scrutin. Plusieurs endurent leur peine en attendant novembre 2024.

Le harcèlement vécu par les élus municipaux a plus d’une conséquence, on s’en doute. Les ravages du phénomène ont été documentés dans une étude de la professeure en communications publiques Mireille Lalancette, de l’Université du Québec à Trois-Rivières.

Parmi ceux-ci : « l’assignation au silence » des personnes visées. En gros, les élus vont souvent choisir d’encaisser les attaques sans rien dire, lorsqu’ils ne démissionnent pas carrément.

Une politicienne m’a raconté les menaces et l’intimidation dont elle a été victime il y a quelques années, de la part d’un collègue et rival. Elle a contacté la police, à l’époque. Mais jamais il ne lui serait passé par la tête de dénoncer publiquement cette situation, m’a-t-elle admis.

Elle se réjouit, si on peut utiliser une telle expression, de voir que les choses commencent à être nommées. Qu’on pense à la sortie de France Bélisle, ou encore à l’ouverture dont ont fait preuve plusieurs maires par rapport à leurs problèmes de santé physique ou mentale ces derniers mois : Valérie Plante à Montréal, Évelyne Beaudin à Sherbrooke, Jean Lamarche à Trois-Rivières…

Les langues se délieront-elles à partir de maintenant, pour dénoncer les situations inacceptables ? Les citoyens et politiciens prendront-ils une grande respiration avant de s’envoyer paître ou de se cogner le chest ?

Il sera « important que certains changements s’opèrent de l’intérieur des conseils avec une volonté sincère et au bénéfice des citoyens », a fait valoir jeudi la ministre des Affaires municipales Andrée Laforest.

Lisez l’article « Les villes doivent opérer des changements, selon la ministre Laforest »

Gros contrat.

À court terme, je pourrais suggérer ceci aux plus crinqués : une bonne psychothérapie.