Faites ce que je dis, pas ce que je fais.

Voilà, en gros, l’avenue choisie par Québec pour l’aménagement de son « hôpital du futur » dans Vaudreuil-Soulanges, à l’ouest de Montréal. L’établissement de 2,6 milliards de dollars sera à la fine pointe de la technologie, mais tout autour, ce sera un retour aux années 1960.

Pour réduire la facture, Québec a revu ses plans initiaux. Le stationnement ne sera pas souterrain ni même étagé. Plutôt : en surface. Un océan de béton, grand comme cinq terrains de football, construit sur des terres agricoles en friche.

La Ville, la chambre de commerce, la MRC, l’Union des municipalités : toutes les instances sont aux abois depuis l’annonce de ce changement. Mais voilà qu’on apprend, sous la plume de ma collègue Ariane Krol, que la Direction régionale de santé publique de la Montérégie a elle aussi émis une sérieuse mise en garde.

Pas à cause de la laideur de ce stationnement ni de son aspect anachronique.

Non : cette mer de bitume constituera un gigantesque îlot de chaleur, néfaste à la fois pour l’environnement et pour la santé des humains à proximité. Humains qui sont de plus en plus nombreux, puisque la région de Vaudreuil-Dorion connaît un boom démographique sans précédent.

En prenant cette décision à courte vue, le gouvernement du Québec viole l’un des grands principes de sa Politique nationale de l’architecture et de l’aménagement du territoire, dévoilée pas plus tard qu’en juin 2023.

Au cœur de cette politique se trouve le devoir « d’exemplarité de l’État ».

Je cite un extrait du plan de mise en œuvre : « L’État joue un rôle structurant dans le développement des territoires et du cadre bâti. Le gouvernement s’engage ainsi à mettre en place les mécanismes nécessaires pour assurer la durabilité de ses interventions ainsi que le renforcement de l’expertise au sein des différents ministères et organismes concernés. »

Dans le cas du stationnement géant de l’hôpital de Vaudreuil, les « mécanismes » existaient, mais ils ont été ignorés. Tout comme « l’expertise » des ministères impliqués, visiblement.

Quant à la « durabilité des interventions », tout dépendra de la qualité du bitume utilisé. S’il est aussi médiocre que celui utilisé sur les routes, la durée de vie du mégastationnement pourrait être assez courte.

IMAGE TIRÉE DU SITE DE L’HÔPITAL DE VAUDREUIL-SOULANGES

Une image de synthèse du futur hôpital de Vaudreuil et de son stationnement.

Mauvaise blague à part, Québec manque à son devoir d’exemplarité sur toute la ligne. Même si la raison évoquée – économiser 50 millions sur le stationnement plutôt que dans l’hôpital lui-même – peut se comprendre, sur le plan comptable.

Ça demeure une économie de bout de chandelle, déplorable sur le plan environnemental et épouvantable sur le plan urbanistique. Les 1000 arbres qui seront plantés çà et là dans le parking ne feront pas mieux passer la pilule à Vaudreuil.

Cette décision est d’autant plus stupéfiante qu’elle va exactement à l’inverse de tout ce qui est préconisé par les experts (et le gouvernement) depuis des années en matière d’aménagement urbain.

La tendance est à la densification et à la conversion des stationnements de surface. On essaie, du moins dans le secteur privé, de rentabiliser chaque mètre carré. En enfouissant, dans la mesure du possible, ou en érigeant des structures étagées les plus compactes possible.

Il y a un projet en ce sens au Quartier DIX30, à Brossard, sur la Rive-Sud de Montréal. Le propriétaire veut remplacer 10 000 cases de stationnement par 4000 logements1.

Même scénario aux Galeries d’Anjou, dans l’est de l’île. Une portion de l’énorme stationnement sera transformée en quartier résidentiel, là où aboutira la station finale de la ligne bleue du métro. On parle de 10 000 logements, à terme ! Idem au centre commercial Fleur de Lys, à Québec, où 3500 appartements sont prévus2.

Il y a de la résistance à d’autres endroits, comme à Pointe-Claire.

La municipalité de l’Ouest-de-l’Île s’oppose à la densification dans le mégastationnement du centre Fairview Pointe-Claire, où se trouve pourtant une station du Réseau express métropolitain (REM)3. Le modèle choisi par Québec pour l’hôpital de Vaudreuil, à quelques kilomètres, n’encouragera certainement pas le maire Tim Thomas à changer son fusil d’épaule…

Exemplarité, disais-je.

Il n’y a pas besoin de chercher bien loin pour trouver un autre cas tout frais du manque d’exemplarité de l’État québécois.

Le futur pont de l’Île-aux-Tourtes, lui aussi situé à quelques kilomètres de Vaudreuil, n’aura pas de voies réservées exclusivement au transport collectif.

Il n’y aura pas, non plus, d’espace réservé sur le tablier pour un éventuel prolongement du REM, dont la station terminale est à proximité. Un projet de 2,3 milliards « aberrant et inconcevable », a dénoncé le maire de Vaudreuil-Dorion, Guy Pilon4.

Cette place marginale faite au transport collectif est en effet incompréhensible.

Car si CDPQ Infra, le promoteur du REM, ne prévoit pas pour l’instant prolonger son train léger vers Vaudreuil-Dorion, cela pourrait devenir nécessaire dans 10, 15 ou 20 ans. La région se développe à une vitesse fulgurante, après tout. Et la santé de la planète ne va pas en s’améliorant…

Mais bon, pourquoi bâtir pour l’avenir quand on peut ignorer le problème dès aujourd’hui ?

« On verra rendu là. » La nouvelle devise du Québec.

1. Lisez «  Immobilier : “Le DIX30 est mûr pour évoluer” » 2. Lisez « Le futur quartier Fleur de Lys dévoilé » 3. Lisez la chronique « Densification urbaine : 50 nuances de gris (et de bisbille) » 4. Lisez « Nouveau pont de l’Île-aux-Tourtes Le projet est “aberrant” pour le transport collectif, dit un maire »