Cela aurait pu être un fiasco monumental, voire un embarras international pour Montréal, mais la reconstruction annoncée du Stade olympique pourrait en fin de compte constituer un moment charnière dans la manière de réaliser de grands projets d’infrastructures au Québec.

Un moment porteur de renouveau, oserais-je même dire.

La ministre du Tourisme, Caroline Proulx, espère que ces travaux de 870 millions de dollars permettront d’attirer au Stade des mégaconcerts de vedettes internationales comme Taylor Swift. Elle a mentionné le nom de la chanteuse plusieurs fois pendant une conférence de presse foisonnante, lundi.

On verra pour Taylor Swift, d’autant que les travaux s’étaleront au moins jusqu’en 2028. On verra aussi pour la venue d’équipes sportives, loin d’être assurée.

Mais à très court terme, on peut déjà prédire que le projet du Stade sera un laboratoire extraordinaire en matière de gestion de projet.

Pourquoi ?

La Société de développement et de mise en valeur du Parc olympique, qui pilote le projet, et le consortium retenu pour les travaux, formé de Pomerleau et de Canam, travailleront main dans la main selon une « approche collaborative ».

Tout le monde sera assis autour de la même table à chaque étape, et tout le monde partagera les risques financiers en cas de dépassements de coûts – ou les économies si les travaux sont moins chers que prévu.

La chose a l’air d’un détail technique, mais c’est loin d’en être un.

Cette façon de faire est à des années-lumière de la méthode traditionnelle utilisée au Québec, très rigide et codifiée. Dans bien des projets publics, le donneur d’ouvrage prépare d’abord des plans et devis, puis fait un appel d’offres dans l’espoir d’attirer des entreprises intéressées à bâtir le projet « à forfait ».

Ce mode d’attribution des contrats a montré ses limites immenses ces dernières années.

Certains grands projets publics, qui se chiffrent en milliards, n’ont généré aucune soumission. D’autres, comme le prolongement de la ligne bleue du métro de Montréal, ont attiré un seul consortium – ce qui pose des problèmes évidents de concurrence.

D’autres encore ont été carrément annulés, comme le tramway de Québec, en raison de l’écart gigantesque entre la facture estimée au départ et le montant final des soumissions.

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Dans le cas du Stade, c’est par nécessité, en quelque sorte, que l’approche « collaborative » a été préconisée.

Après l’analyse de plusieurs scénarios, tous mis au rancart, le Parc olympique a lancé un nouvel appel de qualification en 2019 dans l’espoir d’avoir au moins trois soumissionnaires pour concevoir une nouvelle toiture. Un seul groupe a levé la main.

La situation était déjà loin d’être idéale, mais les analyses menées depuis ont révélé que l’anneau technique, qui supporte la structure, devra lui aussi être remplacé. De toute urgence.

C’est dans ce contexte que le Parc olympique a décidé l’été dernier d’attribuer un contrat de gré à gré au consortium Pomerleau-Canam pour réaliser le chantier, plutôt que de tenter de trouver un autre groupe par les canaux traditionnels. On en a appris un peu plus lundi sur « l’approche collaborative » qui sera mise de l’avant entre ces deux parties.

J’ai parlé à deux experts qui saluent la méthode de partage des risques préconisée.

C’est la voie de l’avenir.

Maude Brunet, professeure agrégée en gestion de projet à HEC Montréal

Le projet a sans doute déjà été « bien ficelé », souligne-t-elle, puisque ce sont les acteurs déjà autour de la table qui ont eux-mêmes fait les estimations pour en arriver au prix cible de 870 millions. Ce chiffre n’est pas sorti d’un chapeau.

Les constructeurs ont tout avantage à limiter les dépassements de coûts, m’a pour sa part souligné Erik Poirier, professeur en génie de la construction à l’École de technologie supérieure (ETS). Car ils ne pourront pas facturer des extras à profusion, comme cela est souvent le cas dans les projets publics.

En contrepartie, les bonis à la performance encourageront les deux parties à être les plus efficaces possibles. « Si le bateau coule ou si le bateau flotte, tout le monde est ensemble. »

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Il y a tout un spectre dans le mode d’attribution et de réalisation des projets publics. C’est un monde fascinant et très technique que je vous présenterai par fines tranches au cours des prochains mois.

À une extrémité, on trouve la méthode la plus traditionnelle, où chacun travaille en vase clos. À l’autre bout, les projets sont pleinement intégrés entre toutes les parties, des premières esquisses jusqu’à la livraison.

La réfection du Stade olympique se situe quelque part entre les deux. Ce qui rend le projet aussi significatif, comme je l’écrivais plus haut, est son ampleur et sa visibilité. Tout le monde scrutera ses moindres avancées – et revers – à la loupe.

Dans tous les cas, ce chantier s’inscrit dans un virage majeur amorcé par la Société québécoise des infrastructures (SQI) – le bras immobilier du gouvernement. La SQI, qui accompagne le Parc olympique dans le dossier du Stade, tendra de plus en plus vers des approches collaboratives pour les projets publics, m’a confié lundi sa PDG, Caroline Bourgeois.

« C’est un changement de paradigme entre la position d’un donneur d’ouvrage et celle d’un contractant, où souvent, on n’a pas les mêmes intérêts, m’a-t-elle expliqué. Il y en a un qui veut avoir le maximum pour son argent, et l’autre qui veut faire le plus d’argent possible. Souvent, on est en confrontation, et il y a un gagnant et un perdant. »

L’objectif de la SQI est qu’à terme, les seuls « gagnants » soient les projets publics eux-mêmes. On ne peut que l’espérer, puisqu’il y en a pour des dizaines de milliards sur la planche à dessin.

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Maintenant : les 870 millions consacrés au toit représentent-ils de l’argent bien investi ou de la pure folie ?

Tout est relatif. Rappelons-nous, pour donner un ordre de grandeur, que la Société de transport de Montréal (STM) dépensera 600 millions pour un garage d’autobus, rue de Bellechasse. Deux fois plus cher que prévu et des années en retard.

Le gouvernement Legault estime que les retombées générées par la tenue d’évènements au Stade pourraient plus que doubler, après les rénovations, à 150 millions par année. Par contre, cet investissement retardera l’agrandissement du Palais des congrès, puisque les sommes imparties par Québec à la métropole ne sont pas infinies.

Pas évident.

Dans tous les cas, la décision est prise. Le tataouinage est fini.

La méthode de partage des risques choisie pour le Stade a un mérite non négligeable : celui de limiter les risques de gouffre financier pour les contribuables.