Les emmerdes, ça vole toujours en escadrille, aurait dit Jacques Chirac. Et en ce moment à Québec, c’est brun partout dans le ciel.

L’opposition – surtout les péquistes et les solidaires – a réussi à gâcher la rentrée parlementaire de François Legault en alléguant que la CAQ vend un accès à ses ministres pour amasser de l’argent.

En garrochant de la bouette, vous salissez toute la classe politique, ont répliqué les caquistes.

M. Legault a, comme on ne dit pas encore à Paris, « snappé ». Vous dénoncez le financement politique ? Très bien, on arrête d’en faire, et vous devriez aussi nous imiter. Plus de dons pour personne. Fini, le scandale.

L’affaire mérite d’être analysée à la fois sous un angle politique et médiatique.

La pluie, comme la boue, ne se met pas à tomber par elle-même. Il y a un cycle qui l’alimente. De toute évidence, des maires ont rendu publiques des invitations à un cocktail de financement. Certains pouvaient être en froid avec la CAQ. D’autres se sont déjà présentés pour des partis politiques adverses.

Ce qu’on leur faisait miroiter n’était pas clair. Un don de 100 dollars était-il requis pour rencontrer un ministre, ou même pour faire avancer un dossier ? Il s’agit autant de faits que de perceptions. On est dans le gris, dont les nuances varient selon votre humeur politique…

Qu’on cautionne ou non les méthodes de la CAQ, une chose semble claire : cette histoire n’est pas la priorité de la population. Alors pourquoi en parle-t-on autant ? La réponse courte : parce que les autres en parlent.

À l’Assemblée nationale, les élus débattent d’une multitude de sujets. Mais à la période des questions, le temps est limité et les partis de l’opposition doivent choisir leurs priorités. Cette semaine, le financement politique en faisait partie. Une première personne a commenté, puis une deuxième et une troisième. Plus il y a d’opinions qui circulent, plus il y a de choses à analyser ou à rectifier.

Cela crée des bulles, et elles sont encore plus grosses quand le sujet est émotif. Or, rien ne suscite autant de passion qu’une bonne vieille attaque contre l’intégrité.

Pourquoi l’opposition ne s’intéresse-t-elle pas à autre chose ? Par exemple, à la crise du logement qui fait rage ? Selon le rapport de la SCHL déposé mercredi, le Québec subit la plus grande hausse des loyers depuis 30 ans.

À cela, les solidaires répondront : on n’a jamais arrêté de parler de logement depuis notre fondation ! Ce qui fluctue, c’est plutôt l’intérêt du public.

L’hiver politique s’annonce chargé. Il y aura un affrontement avec les syndicats pour décloisonner les métiers de la construction, un débat sur l’avenir d’Hydro-Québec, une réflexion sur la gestion des projets de transport collectif et l’atterrissage périlleux des réformes en éducation et en santé, sans oublier le débat sur le possible report du déficit zéro.

Avec sa décision intempestive, M. Legault veut chasser la « distraction » du financement politique pour revenir à l’essentiel. Et ce n’est pas une simple trêve. Même si la commissaire à l’éthique blanchit la CAQ, cette dernière ne recommencera pas à solliciter des dons.

D’abord, parce que les rapports qui disculpent un élu font rarement la manchette. Le déclenchement d’une enquête attire hélas plus l’attention que le rapport lui-même quand il est disculpatoire.

Ensuite, parce que les députés caquistes sont plutôt soulagés. Personne n’aime faire du financement.

Et enfin parce que la CAQ n’a pas tant besoin de cet argent. Comme pour les autres partis, environ 75 % de sa cagnotte vient de l’État. Elle reçoit près de 5 millions par année. C’est suffisant pour mener la bataille, d’autant plus que les dépenses électorales sont plafonnées. Selon son calcul, l’argent qu’elle aurait dépensé en pub n’aurait pas suffi à compenser la couverture négative de ses cocktails de financement.

Cette attaque contre les dons privés risque d’affaiblir le militantisme. Et même d’exposer l’État à des poursuites – comme le rappelle mon collègue Tommy Chouinard, la Commission des droits de la personne jugeait en 2012 que l’interdiction des dons était une atteinte à la liberté d’expression.

Échaudé par le Parti québécois, M. Legault s’est réclamé de René Lévesque en disant vouloir concrétiser son œuvre sur le financement populaire. En abolissant les dons privés, il ferait toutefois le contraire.

Pour 100 dollars, n’importe qui peut militer dans un parti et y faire valoir ses idées. Ce système permet aussi à des citoyens de lancer un nouveau parti.

L’automne dernier, le directeur général d’Élections Québec suggérait de revoir la participation des ministres à des activités de financement.

Une réflexion dépassionnée – dans le sens de : technique et plate – serait pertinente pour resserrer au besoin les règles sur les publicités préélectorales et la présence de ministres lors des activités de financement.

La CAQ pourrait aussi dissiper le malaise en précisant dans les invitations à ses cocktails que les gens doivent donner par conviction, et non par intérêt.

Mais tout cela, on pourrait le faire sans sacrifier l’actuel système de financement qui est populaire, dans le sens noble du terme.

Précision
Une précédente version de ce texte affirmait que les dons politiques donnent droit à un crédit d’impôt. C’est vrai au fédéral et au municipal mais pas au provincial. Mes excuses.