Le Stade olympique a longtemps été ma résidence secondaire.

J’y ai vu plus de 200 parties des Expos. D’abord sous les étoiles, puis sous le toit.

J’étais dans les gradins du champ gauche pour le premier départ de Denis Boucher. J’étais sur la galerie de presse pendant les années de déchéance. J’étais en larmes lorsque Claude Raymond a pris le micro après le dernier match local.

Le but de Cameron Porter ? J’étais là. La fois où la Machine de Montréal s’est fait écraser 44-0 ? Présent. L’incroyable triomphe des footballeurs de la Gambie contre ceux du Portugal à la Coupe du monde U20 ? Itou. Lorsque j’ai collaboré à l’écriture du polar d’été de La Presse, il y a deux ans, où pensez-vous que j’ai situé l’affrontement entre les policiers et les terroristes ?

Eh oui.

Dans le Stade.

Je suis le portrait type du Montréalais qui devrait applaudir les rénovations à venir. Qui devrait se réjouir des améliorations. Qui devrait féliciter le gouvernement pour son courage. J’en suis incapable. C’est que l’investissement pharaonique annoncé lundi – 870 millions – n’est rattaché qu’à une seule certitude : la réfection du toit et de l’anneau technique.

L’enceinte, la surface de jeu, l’acoustique, les sièges, les loges, les coursives, tout cela restera inchangé. C’était déjà un enjeu pour l’ambiance en 1998. Imaginez en 2028.

Est-ce que la modernisation de l’anneau technique et l’ajout d’un puits de lumière seront suffisants pour attirer les compétitions sportives les plus prestigieuses ? Est-ce que Taylor Swift voudra venir chanter dans un stade qui sonne parfois comme une station de radio AM ? Rien n’est garanti.

C’est un peu comme si vous achetiez 500 $ de leurres pour aller pêcher sur un lac duquel jamais personne ne sort de gros poisson. Peut-être attraperez-vous un esturgeon de deux mètres. Mais peut-être pas, non plus.

Passons en revue les locataires sportifs potentiels. Le coup de circuit, ce serait un club des ligues majeures de baseball. Ça assurerait au moins 81 évènements par année. Sauf que le commissaire Rob Manfred a signifié clairement aux Montréalais, en 2022, que la porte était verrouillée à double tour. Cessez de cogner, on ne vous ouvrira pas. Le projet est au point mort.

Le CF Montréal est déjà locataire du Stade olympique. Il l’utilise l’hiver pour ses entraînements, ainsi que pour un match ou deux, avant la fonte des neiges. Le club n’a toutefois pas l’intention de s’y installer de façon permanente. « Notre maison, c’est ici », nous a confirmé son président, Gabriel Gervais, en octobre dernier, en nous montrant le terrain du stade Saputo.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Le CF Montréal utilise le Stade olympique pour ses entraînements pendant l’hiver.

Les Alouettes ? C’est une possibilité, quoique ses dirigeants apprécient le charme vieillot du stade Percival-Molson, qu’ils qualifient en privé de Fenway Park montréalais.

La Coupe du monde de soccer ? Trop tard. Elle passera en Amérique du Nord en 2026. La prochaine fois, ça risque de n’être que dans les années 2040. Les Jeux olympiques ? Lorsque j’ai sondé les élus sur cette question, l’été dernier, le projet n’avait aucune traction. Des épreuves d’athlétisme ? Il faudrait construire une piste. Ce n’est pas dans les budgets.

En conférence de presse, lundi, la ministre Caroline Proulx a évoqué des parties de la NFL. Montréal a soumis sa candidature, à l’automne 2022, pour accueillir une ou deux parties de la Série internationale par année. Les promoteurs souhaitent une entente d’un an, suivie d’une prolongation de deux ans. C’est réaliste. La NFL a déjà présenté des matchs hors concours au Stade olympique. On peut aussi penser que la Ligue canadienne souhaiterait y présenter la Coupe Grey. Après, entendons-nous, aucun État n’investit l’équivalent du coût d’un stade neuf pour deux ou trois évènements sportifs de plus par année.

C’est pourquoi le gouvernement du Québec mise beaucoup sur d’autres secteurs d’activité. Il a ciblé les grandes tournées d’artistes. Les foires commerciales, notamment, surtout en hiver. Ça permettrait de libérer des dates au Palais des congrès, qui est surchargé. En revanche, de janvier à mars, il pourrait y avoir des enjeux de cohabitation avec le CF Montréal.

L’annonce de lundi a évidemment suscité de fortes réactions. La facture préliminaire de 870 millions passe mal. Très mal. Plusieurs lecteurs m’ont demandé si la Coalition avenir Québec avait d’autres options.

Il en existe deux.

La démolition et l’abandon.

Contrairement à une idée répandue, oui, c’est possible de détruire le Stade, même si la ligne verte du métro passe en dessous. Possible, mais extrêmement compliqué. En raison des nombreux édifices présents dans le même quadrilatère (la tour, les piscines, le métro, le Biodôme, le stade Saputo, le cinéma, le centre Pierre-Charbonneau, l’aréna Maurice-Richard), il faudrait défaire le stade un morceau à la fois. Ah oui, il y a aussi de l’amiante sur le site. La démolition s’étendrait sur des années, et coûterait au bas mot 2 milliards de dollars, selon les estimations du Parc olympique.

À terme, on se retrouverait avec un trou de 30 mètres dans un terrain en pente, sous le plus bel observatoire de la ville…

L’autre option, c’est d’abandonner le Stade, tout simplement. « Si rien n’est fait d’ici un an ou deux au mieux, a expliqué la ministre Caroline Proulx, il faudra démanteler la toiture. Hiverniser le stade. Mener à une fermeture définitive et complète du Stade olympique. Impensable quand on réalise que ce monument est l’une des pierres angulaires du développement économique et touristique pour le Québec et pour l’est de Montréal, qu’il est négligé. » On ferait donc le minimum pour que ça ne s’écroule pas, jusqu’au jour où ça ne tiendrait plus, et qu’un nouveau gouvernement soit pris avec la patate chaude.

Voilà où nous en sommes rendus.

À choisir, entre trois poisons, celui qui goûte le moins amer.