Si le spermatozoïde pouvait parler, il dirait : « Vous savez, la vie d’un spermatozoïde n’est pas de tout repos. Quelques minutes après notre sortie, la très grande majorité des participants sont en train d’agoniser, cuits par l’acidité des voies génitales féminines. Et vous avez beau vouloir faire l’amour et pas la guerre, jamais vous ne pourrez éviter ce génocide cellulaire.

Pour celui d’entre nous qui espère porter le maillot jaune, pédaler rapidement et franchir le col de l’utérus devient la seule solution. En fait, le seul instant de bonheur dans la vie d’un spermatozoïde comme moi, c’est quand il attend en rang serré avec ses copains que votre pistolet ne tire son coup final. Autrement dit, les gars, si vous ne voulez pas faire durer les caresses pour faire plaisir à votre partenaire, faites-le au moins pour rallonger les derniers sourires de vos millions de locataires. Les préliminaires sont aux spermatozoïdes sur le bord du corridor ce que le dernier repas est au condamné dans le couloir de la mort. »

Évidemment, j’ironise ici dans la forme, car il y a beaucoup de mythe dans cette histoire, si populaire soit-elle dans notre imagination collective. Cette fameuse course, souvent présentée comme une entrevue à 100 millions de CV pour un seul poste à pourvoir, porte une vision très phallocratique de la reproduction. Ici les spermatozoïdes forment une équipe conquérante et l’ovocyte est présenté comme une belle très passive qui attend sagement de voir arriver le vainqueur sans avoir son mot à dire. Le tout se déroule aussi dans l’appareil reproducteur féminin assimilé à un simple parcours du combattant. Même dans les cours de sciences de ma jeunesse, on nous a professé cette représentation presque caricaturale qui se perpétue encore.

Aujourd’hui, on sait que le corps de la femme joue un rôle majeur dans la sélection, la maturation, le déplacement, l’orientation et même le choix et le guidage du spermatozoïde qui va entrer dans l’ovocyte. On sait également que les spermatozoïdes se déplacent bien plus à la faveur des contractions des muscles lisses de l’utérus et des oviductes qu’en misant sur les simples battements de leur flagelle.

Autrement dit, au lieu de se vanter d’avoir été le meilleur combattant sur 100 millions, on devrait parfois dire : « Si haut perché que tu sois dans la vie, sache qu’il y a des millions de gens qui se sont sacrifiés pour te donner cette chance. »

Cette précision posée, permettez-moi de quitter la physiologie reproductive et d’arriver au cœur de ma chronique qui mélange politique et chromosome Y. Le temps des souhaits de début d’année est presque terminé, mais je voulais quand même vous parler de ces combinaisons génétiques qui permettent à leur porteur de partir à une enjambée de la ligne d’arrivée. Sur quelque arbre que ton père soit monté, si tu ne peux grimper, mets au moins la main sur le tronc, dit le proverbe africain. Mais pour aider la descendance à atteindre plus facilement le sommet de l’État, il y a la « domocratie », un terme inventé par les Sénégalais pour désigner cette forme d’alternance où le fils (« dome » en wolof) prend le pouvoir après le départ du papa. De ce fait, détenir la bonne carte génétique donne souvent une longueur d’avance sur le visionnaire qui n’a pas le bon nom de famille.

Au moins, dans les systèmes monarchiques, le culte de la famille régnante qui est là pour l’éternité a le mérite d’être bien clair. C’est ainsi, par exemple, que je suis devenu un sujet de Charles III qui a profité de ce privilège bien loin d’une véritable méritocratie. Cependant, dans nos systèmes dits démocratiques, même si on aime nous fredonner une certaine égalité des chances d’accéder au pouvoir, les fréquentes alternances domocratiques nous rappellent que ce n’est pas toujours le cas.

En Afrique par exemple, Ali Bongo au Gabon, Uhuru Kenyatta au Kenya, Faure Gnassingbé au Togo, Joseph Kabila en République démocratique du Congo et Mahamat Idriss Déby au Tchad sont tous des fils d’anciens chefs d’État qui ont gouverné ou sont encore en poste.

La domocratie est aussi pratiquée aux États-Unis, terre de prédilection du culte des familles régnantes. Pensons au clan des Kennedy, mais aussi à celui des Bush. Au Canada, elle nous a amené Justin Trudeau et prépare aussi le terrain pour le fils de Jean Charest.

Antoine Dionne Charest bénéficie dernièrement d’une couverture médiatique démesurée et d’un engouement qui, il faut l’avouer, doit beaucoup au fait qu’il est le fils de l’autre.

Entendons-nous bien, même si cette excellente visibilité m’interpelle, je n’ai rien contre ce jeune homme et je lui souhaite toutes les chances du monde. Je crois aussi qu’il prendra le temps de faire ses classes, car il a un indéniable sens du discernement. Cependant, comme Justin Trudeau avant lui, le pouvoir semble plus solidement « codé » dans son chromosome Y. Que voulez-vous ? On n’a pas vraiment besoin de souhaiter à un éléphanteau d’être gros quand il sera grand, disait mon grand-père.

Tous les êtres humains ne naissent pas libres et égaux en dignité et en droits. Il faut simplement regarder le sort réservé aux migrants pour s’en convaincre. À mon avis, il n’y a pas de plus grosse bullshit planétaire que cet article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Le continent, le pays, le quartier, la famille et même le spermatozoïde d’où l’on vient déterminent en grande partie les chances et les privilèges auxquels on aura droit dans cette course pour la vie et pour le pouvoir politique aussi.