(Saguenay et Alma) L’aire de restauration de Place du Royaume commence à grouiller de monde. Il sera bientôt midi.
Tout autour, les boutiques du plus grand centre commercial du Saguenay–Lac-Saint-Jean affichent des soldes d’après les Fêtes.
Il n’y a pas que le prix des articles de fin de saison qui sont à la baisse, la popularité de la Coalition avenir Québec (CAQ) aussi. Et le Parti québécois (PQ) espère en profiter pour reconquérir ses anciennes forteresses.
Le pays des bleuets en fait partie.
« Ça se peut que dans la région, ça revire de bord et, connaissant la région, c’est surtout [pour le] PQ. » Le bébé de Danaé Tremblay se dandine sur la table pendant que la jeune maman accepte de jaser politique.
[François Legault] l’a échappé un peu. Les grèves, on dirait que ça n’avançait pas pantoute. Juste Jean-Talon, tout d’un coup, qu’il ressorte le troisième lien, j’ai trouvé ça gênant.
Danaé Tremblay
En 2022, la CAQ a complètement rayé de la carte le PQ au Saguenay–Lac-Saint-Jean, une région qui avait pourtant envoyé au moins un représentant péquiste à l’Assemblée nationale depuis 1973.
L’automne a depuis été désastreux pour le gouvernement Legault. Pour la première fois depuis 2018, la CAQ est passée deuxième dans les intentions de vote (Pallas Data, Léger), derrière le Parti québécois. Quant à elle, la formation souverainiste a le vent dans les voiles depuis le dernier scrutin.
Danaé Tremblay ressent la remontée du PQ dans sa région et l’appui favorable à Paul St-Pierre Plamondon.
« Ça ne change pas grand-chose de mon bord, mais je sais que ma grand-mère est en amour avec ! », rigole-t-elle.
Près des restaurants rapides, Huguette Girard n’y va pas par quatre chemins : « Tout le monde est déçu de la CAQ. » Elle sirote avec ses amies un café chaud en cette froide journée de janvier.
« Il s’est voté un 30 % de salaire et quand c’est du monde de la classe moyenne, ses employés, c’est non », poursuit l’aînée avec aplomb, évoquant la hausse du salaire des députés, une décision du gouvernement qui est mal passé dans l’opinion populaire.
Deux tables plus loin, Marc Tremblay et Gilles Vallée discutent de tout et de rien. La politique ? « C’est du pareil au même », disent-ils. Ces deux ex-sympathisants péquistes appuient maintenant la CAQ.
Ils n’étaient « pas d’accord » avec la subvention controversée pour la venue des Kings de Los Angeles à Québec, mais rien pour ébranler jusqu’à présent leur confiance envers le parti de François Legault.
Rentrer au bercail
C’est là l’un des défis du Parti québécois : convaincre les péquistes qui ont déserté, séduits par le « nationalisme » de la CAQ, de rentrer au bercail. Les sondages d’opinion tendent à démontrer que c’est ce qui se produit depuis le printemps dernier.
Le transfert des intentions de vote de la CAQ vers le PQ est « le seul mouvement important » de la dernière année, affirme l’agrégateur de sondages et analyste Philippe J. Fournier. « La CAQ a perdu une quinzaine de points qui sont allés au PQ », assure-t-il.
Le Saguenay–Lac-Saint-Jean est « une région baromètre » de la bataille CAQ-PQ. « Si la CAQ est à égalité ou derrière le PQ là-bas, ça veut probablement dire que la CAQ est en train de perdre toutes les régions », illustre le créateur du site de projections Qc125.
Les deux partis sont des vases communicants, un phénomène encore plus marqué dans les régions comme le Saguenay–Lac-Saint-Jean, l’est du Québec ou la Côte-Nord, selon lui. « C’est comme si les électeurs avaient prêté leur vote à la CAQ parce que ce sont des régions péquistes », dit-il.
Caucus à Alma
Ce n’est pas un hasard si le PQ a réuni la semaine dernière son caucus à Alma. Le Saguenay–Lac-Saint-Jean clignote sur son radar pour 2026.
Paul St-Pierre Plamondon a monté les attentes : il vise « cinq en cinq » et veut reprendre des mains de la CAQ l’ensemble des circonscriptions de la région (Chicoutimi, Dubuc, Jonquière, Roberval et Lac-Saint-Jean).
Si les élections générales avaient lieu demain, le PQ remporterait ce pari ambitieux, selon Qc125.
Dans les faits, la dernière réalisation d’un tel exploit remonte à 2012, lorsque Pauline Marois a pris le pouvoir.
Or, battre la CAQ au Saguenay–Lac-Saint-Jean n’est pas non plus une mince affaire, nuance Philippe J. Fournier, qui rappelle les « marges écrasantes » enregistrées en 2022.
Dans Chicoutimi, la ministre Andrée Laforest a obtenu la plus forte majorité caquiste au Québec avec 62,28 % des voix, loin devant la candidate péquiste. « Même si le parti chute, il faudrait que la CAQ chute vraiment beaucoup pour perdre ses sièges », précise l’analyste.
Une foule enthousiaste
Galvanisé devant un parterre de militants à Alma, le chef péquiste ne semblait guère s’en inquiéter : « Le Saguenay–Lac-Saint-Jean, il est gravé au cœur de l’histoire du Parti québécois », a-t-il lancé à la foule rassemblée mercredi à la microbrasserie Le Lion Bleu.
L’endroit était bondé. Près de la porte, la propriétaire surveillait le nombre de clients pour ne pas excéder la limite de son permis, fixée à 180. Une scène qui contraste avec les rassemblements vus pendant la campagne électorale alors que la survie du PQ était menacée.
Maxime Pinard vient de recevoir son burger. Il ne s’en cache pas : il a voté pour la CAQ en 2018 et il est revenu au PQ en 2022.
« La CAQ, c’était un peu comme l’Anakin Skywalker de Star Wars, un élu qui arrivait avec de belles promesses, mais au fur et à mesure, tu te rends compte que ce n’est pas ce qui arrive et qu’il embrasse le côté obscur du fédéralisme », résume de manière colorée cet ex-militaire de Jonquière.
Le « style de leadership » de Paul St-Pierre Plamondon plaît aux militants rencontrés par La Presse mercredi, tout comme le fait qu’il a remis l’indépendance au premier plan.
Travail de reconstruction
Malgré l’enthousiasme, tout reste à faire pour le Parti québécois qui n’a fait élire que trois députés en 2022, son pire résultat depuis sa fondation. Et bien que la campagne nationale ait été remarquée, sur le terrain, les associations locales étaient encore affaiblies au lendemain du scrutin.
Dans Chicoutimi, l’exécutif « était à peu près inexistant », relate le nouveau président, Pierre Fortin.
« Il a fallu reconstruire », ajoute son vis-à-vis de Jonquière, Marc Sénéchal. Le départ du député Sylvain Gaudreault, qui s’est retiré de la vie politique à la fin de son mandat en 2022, après avoir perdu la course à la direction en 2020, a laissé des traces.
On a perdu, selon moi, la moitié des gens à l’exécutif. Avant les élections de 2022, il a fallu monter une équipe pour soutenir notre candidate, ç’a été difficile. Là, ça va mieux.
Marc Sénéchal, président de l’exécutif du PQ de Jonquière
Les postes sont maintenant pourvus et il est plus facile de pourvoir les postes jeunesse, rapportent-ils. Dans Chicoutimi et Dubuc, les objectifs de financement de 2023 ont été dépassés. Le PQ ne rend pas publiques ses cibles de financement par circonscriptions. À l’échelle nationale, le parti a récolté 1,14 million, selon les données préliminaires de 2023.
En ce qui concerne les membres, les chiffres s’améliorent depuis 2022. Le parti est passé de 32 000 membres avant le déclenchement des élections à quelque 36 000 aujourd’hui. C’est environ le nombre de membres qu’il comptait au moment de la course à la direction remportée par Paul St-Pierre Plamondon, en 2020.
Occuper l’espace
Les associations locales de Dubuc, Jonquière et Chicoutimi ont d’ailleurs choisi de réactiver leur instance régionale pour accroître leur visibilité médiatique et leur présence sur le terrain.
« On veut devenir un peu l’opposition officielle de la CAQ dans la région », illustre M. Sénéchal, qui affirme que les députés caquistes sont peu présents dans les médias. « La seule personne qui parle publiquement, c’est la ministre Laforest ; le reste, on n’en entend jamais parler », dit-il.
Fait peu commun, les députés Éric Girard (Lac-Saint-Jean) et Yannick Gagnon (Jonquière) ont affiché ouvertement leur mécontentement après l’annonce de la subvention aux Kings. Les députés sont finalement rentrés dans le rang en votant contre une motion visant l’annulation de l’aide de Québec.
C’est l’ex-directrice du bureau du député du Bloc québécois Mario Simard qui a pris la tête de la nouvelle association régionale. En 2024, le mandat est « d’aller revoir la base » péquiste, explique la présidente, Caroline Dubé.
« On veut créer des échanges, c’est facile de dire “on les appelle pour aller chercher des dons” […], mais on veut leur parler, connaître leurs opinions », soutient celle qui était sur les rangs dans Jonquière, en 2022.
L’engouement attire aussi de nouveaux militants. Conseiller municipal de l’arrondissement de Jonquière, Jimmy Bouchard a pris sa carte de membre au printemps.
« J’avais vraiment besoin de me trouver une niche politique », résume celui qui s’est aussi intéressé autrefois à Québec solidaire. Il milite maintenant pour le PQ et espère que sa notoriété pourra contribuer à mousser l’intérêt pour la formation dans la région.
« Je pense que la prochaine élection risque d’être une fenêtre d’opportunité intéressante pour le Parti québécois. Ça prend des militants, des gens qui y croient, qui y adhèrent. Des gens qui s’affichent aussi ! », s’exclame l’élu municipal de 40 ans.
Il affirme même que « c’est une possibilité » qu’il tente sa chance comme candidat en 2026.