Au conseil général libéral à Victoriaville, en mai 2012, Jean Charest tenait à rassurer ses troupes. Sur le fond, il n’avait rien cédé dans l’entente de principe avec les associations étudiantes.

« Le gouvernement maintient intégralement les hausses », assurait-il dans un courriel envoyé à ses députés. Malheureusement pour lui, il y a eu une fuite. Sans surprise, l’entente a été rejetée.

Les gouvernements n’ont jamais intérêt à crier victoire au terme d’une négociation. Mais la prudence ne garantit pas le succès. En septembre dernier, les policiers de la Sûreté du Québec ont rejeté une entente de principe qui leur offrait une hausse salariale de 21 % sur cinq ans. Soit plus que les 17,4 % qui seraient consentis au Front commun.

Cela explique la sage discrétion de la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel. Elle en dit le moins possible sur les ententes de principe avec le Front commun (420 000 employés) et avec la Fédération autonome de l’enseignement (66 500 enseignantes). D’autant plus que seul le volet salarial est connu.

Tout ce qui concerne les conditions de travail demeure confidentiel. Les syndicats attendent les assemblées pour les présenter à leurs membres afin d’éviter les erreurs d’interprétation et la perte de contrôle du message.

Autre élément de complexité : les centrales syndicales ne forment pas un bloc. Chacune a ses propres mécanismes de vote. Et dans une centrale, il peut y en avoir plusieurs. Par exemple, en 2015, la Fédération de la santé et des services sociaux, qui relève de la CSN, avait fait bande à part en rejetant l’entente.

Les dirigeants syndicaux, eux aussi, patinent sur une glace mince. Ils ne veulent pas trop monter les attentes. Ni paraître paternalistes en faisant pression sur leurs membres. Ils disent respecter leur autonomie et leur intelligence.

En attendant de connaître le contenu de l’entente de principe, une seule chose semble claire : cette négociation fut pénible…

Lundi, le président de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), Éric Gingras, a déploré le « psychodrame » des derniers mois.

Malheureusement, les solutions miracles n’existent pas.

En Ontario, un arbitre tranche si les parties ne se sont pas entendues après une échéance prédéterminée. Or, ce mécanisme déplaît autant aux syndicats qu’au gouvernement.

Québec ne veut pas qu’un non-élu gère les fonds publics. Et les syndicats veulent garder leur droit de grève jusqu’au bout si nécessaire.

Règle générale, les gouvernements jugent inutile de céder trop tôt. Ils se disent que peu importe la teneur des discussions, les chefs syndicaux n’ont pas le choix de déclencher une grève pour prouver à leurs membres qu’ils ont été jusqu’au bout de leur rapport de force avant de s’entendre.

Mais chez les syndicats, on y voit une excuse qui justifie l’habituelle lenteur.

Ce n’est pas la première fois qu’au terme d’une négociation, quelqu’un s’exclame : « Plus jamais ! » Les précédentes rondes étaient aussi longues. Et comme d’habitude, elles se sont réglées à minuit moins une, à l’approche d’un congé qui accentuait le sentiment d’urgence.

Ce qui était différent toutefois, c’est le décalage de Québec face au contexte économique. En décembre 2022, l’offre initiale était une hausse de 9 % sur cinq ans, avec un versement forfaitaire de 1000 $ et une possibilité de hausses ciblées. Avec l’inflation, cela équivalait à une baisse du pouvoir d’achat. Et avec la rareté de la main-d’œuvre, c’était aussi un obstacle au recrutement et à la rétention du personnel.

Le Front commun avait quant à lui une demande exigeante : 23 % en trois ans, évaluait-on à l’époque en fonction des prévisions de l’inflation.

La fonction publique est une immense machine. On ne trouvera jamais une façon simple et rapide de s’entendre avec plus de 600 000 personnes qui travaillent dans autant de professions différentes.

Mais sans changer le régime de négociation, Québec pourrait baisser la pression en discutant en continu avec les syndicats. Cela se fait déjà. Mais pas assez, de toute évidence.

Au privé, c’est plus fréquent, selon plusieurs intervenants à qui j’ai parlé. Les deux parties pourraient s’en inspirer. Pour donner un aperçu de leurs priorités, régler les éléments consensuels et écarter les demandes qu’elles prévoient de toute façon abandonner vers la fin.

Un exemple : tout le monde savait que des ouvriers spécialisés comme les plombiers du public devaient être mieux payés, à cause de l’écart avec ceux du privé. Et pourtant, c’est seulement autour du 20 décembre que le sujet a été abordé sérieusement à la table. On se le gardait pour l’habituel faux suspense de la dernière ligne droite.

Cette pièce de théâtre, elle est de moins en moins populaire, surtout auprès de ceux confinés au rôle de spectateurs.