Mathis, 15 ans, est mort d’une surdose provoquée par une pilule achetée sur le marché noir. Christian Boivin veut que la mort de son fils provoque des dialogues dans les familles.

Comment commencer une entrevue avec un père qui vient de perdre son fils de 15 ans en raison d’une surdose, à cause d’une pilule achetée sur le marché noir ?

Le mieux que j’ai pu dire, quand Christian Boivin a répondu au téléphone, hier, fut :

« Comment ça va, ce matin ?

— Ce matin, c’est tough. L’école recommence… »

La voix de Christian Boivin a légèrement cassé entre les deux syllabes centrales du mot « recommence », précisément entre les deux « m ».

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Christian Boivin dans la chambre de son fils Mathis

Mais ce fut le début d’un long monologue où je n’ai à peu près pas posé de questions.

« Les pompiers, les ambulances, les policiers sont arrivés… Il y a eu une enquête toxicologique avec ce que j’ai trouvé dans ses choses. C’est là que j’ai fait une sortie sur Facebook, sur LinkedIn1, pour sauver du monde. Je voulais que le message passe. Je l’ai dit, je vais le redire : j’ai pas de cause. Je donne, tout le temps. Aux 24 heures de Tremblant pour les enfants malades. Quand il y a une tragédie dans le monde, je donne. Là, ma cause, je l’ai… Cette cause-là, ce sera la prévention…

« J’ai regardé les séries sur les opioïdes. Le pharmacien, Painkiller. Je vais regarder Dopesick. C’est pas moi qui vais arrêter ça, c’est une esti de grosse machine. Ça a commencé, quoi, en 1997 ? »

On regarde ça, la crise des opioïdes, tu te dis : ça n’a pas de bon sens… Mais tu comprends pas jusqu’à ce que ça te frappe, toi. Quand tu fais partie de la statistique, tu comprends…

Christian Boivin

« J’ai tellement de messages de soutien. Mon message sur LinkedIn a été vu 300 000 fois depuis quatre jours. Plein de gens m’écrivent, me disent : ça a ouvert un dialogue avec mes enfants. Mathis est mort, mais ça met un nom sur les dangers de ces pilules. C’est niaiseux, mais c’est ce que ça prend, des fois.

« Mathis, je lui avais parlé de la drogue. Il expérimentait. Il avait eu des essais avec la dope, depuis six mois. Dans la pandémie, il s’était isolé. Mais depuis six mois, il avait changé. Il s’était fait des amis, il allait dans les parcs, il avait changé. On trouvait ça bien. Mais en même temps, il essayait des affaires… Je lui avais dit, l’automne dernier : touche pas aux pilules bleues.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Mathis avait 15 ans quand il est mort de cette surdose, juste avant Noël.

« Ce soir-là, Mathis venait de finir son tutorat en maths. Il est venu manger de la pizza avec nous autres, dans la cuisine. Je venais de tomber en vacances. C’était une journée tout à fait normale. Puis, il est monté se coucher. Il a pris une pilule, il était seul… On a su après qu’il a dit à un ami s’être senti en train de s’endormir.

« Scuse. Je te garroche plein d’affaires en même temps…

« À 15 ans… J’aurais eu le même risque. Tu sais, on les regarde, nos enfants, pis c’est fâchant comment ils nous ressemblent. Quand je lui parlais de ça, de la dope, il me disait : ‟Oui, oui, papa, c’est correct. » Il se sentait invincible. On a fait des échanges avec lui. Il prenait du pot. Je lui ai dit : ‟Bon, OK, le produit est légal… Je vais te l’acheter. Tu vas pas l’acheter dans la rue. À la SQDC, ils ont pas 15 sortes de pilules à te vendre en plus du pot. À la station de métro, dans les parcs… Oui. »

« Ton enfant se couche, ton ado se couche. Tu vas pas le shaker pour voir s’il est correct. Même quand il se couche de bonne heure. Moi, je me lève tôt. Longue histoire, mais 4 h 30, c’est mon heure. Je sais pas si j’aurais pu faire de quoi pour lui, mais même à ça… Tu vas pas shaker ton enfant à 4 h 30 du matin pour voir s’il est correct ! Quand c’est arrivé, quand il a fait sa surdose, sais-tu ce qui est sournois ?

— Quoi ?

— J’étais à trois mètres de lui, dans la maison. Ça n’a pas de bon sens… T’es juste à côté de ton enfant. »

Mathis avait 15 ans quand il est mort de cette surdose, juste avant Noël. Il pensait avoir acheté de l’oxycontin, il avait acheté de l’isotonitazène, un opioïde de synthèse plus puissant que le fentanyl.

Une pilule bleue, comme celle de la mise en garde de Christian, l’automne dernier, marquée d’un « M » d’un côté et d’un « 30 » de l’autre.

PHOTO FOURNIE PAR CHRISTIAN BOIVIN

Mathis pensait avoir acheté de l’oxycontin, mais il avait acheté de l’isotonitazène, un opioïde de synthèse plus puissant que le fentanyl.

En écoutant Christian Boivin, j’ai repensé à cette série formidablement informative et particulièrement terrifiante publiée à l’automne 2022 dans La Presse, « Surdoses : l’épidémie invisible »2. Le journaliste Philippe Mercure expliquait comment les surdoses frappent n’importe qui, au mépris de toutes les certitudes et les préjugés qu’on peut entretenir sur les personnes qui font des surdoses.

J’écoutais Christian Boivin et c’est n’importe quel parent d’ado de mon entourage qui aurait pu avoir les mots de ce père, à propos de discussions sur les dangers de la drogue.

« Je dis aux parents : dialoguez. Mais en même temps, je le sais… On ne peut pas tout le temps tout checker. Et il faut qu’ils expérimentent avec l’autonomie.

« On a gardé les enfants à la maison, aujourd’hui. Frédérike et Olivier ne sont pas allés à l’école. Les écoles sont bonnes pour gérer tout ça, mais… Mais on sentait que c’était mieux comme ça.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Christian Boivin et sa famille

« Sais-tu quoi ? C’est ma fête, aujourd’hui. J’ai 51 ans. Je vois des vœux de bonne fête sur ma page Facebook… Je peux te dire que j’ai pas le cœur à la fête.

« Y a des gens qui me disent : ‟T’es courageux d’en parler, y a du monde qui aurait honte. » J’ai zéro honte. Ça peut arriver à tout le monde. Mathis, ses amis… Ah ! Ça a fait du bien de les voir, au salon. Mathis aimait le Coke. J’ai acheté 300 canettes, j’en ai tellement bu que j’ai pas dormi, ce soir-là.

« Je te remercie d’écrire sur Mathis. Je veux vraiment en sauver le plus possible. C’est pas moi qui vais arrêter les méchants… Pis c’est qui, les méchants ? Le jeune de 20 ans qui ne savait pas ce qu’il vendait ? L’enquête de la police est en cours. Certains seraient pressés qu’ils pognent un coupable. Moi, je suis prêt à attendre, qu’ils aillent plus haut, qu’ils démantèlent un réseau, un labo…

« Je vais utiliser l’histoire de Mathis pour parler de cette cause-là. Vais-je aller dans les écoles pour parler de Mathis ? On va voir. Mais je suis habitué de faire des conférences, pour la job.

« Je le texte encore. Même s’il n’est plus là. C’est ma façon de… Je ramène notre conversation en haut de ma liste de textos. J’aime ça voir sa face, tsé…

— Sa face, Christian ?

— Oui, y a sa photo dans la conversation de textos. »

1. Voyez la publication de Christian Boivin sur LinkedIn 2. Lisez notre reportage « Surdoses : l’épidémie invisible » Lisez notre texte sur l’isotonitazène