Vous ai-je déjà dit, chers lecteurs, combien vous êtes généreux ? Et je ne suis pas la seule à le penser. Je connais une famille ukraino-russe qui a la même opinion.

Vous vous souvenez peut-être d’elle. En février dernier, j’ai raconté en long et en large l’histoire d’Artiom Prilepski, un ami de longue date originaire d’Ukraine, de sa femme Natalia Guskova et de leurs deux enfants, des Moscovites pur jus. Profondément opposée à la guerre et à toute la haine qui l’accompagne, la famille est venue s’installer à Montréal en octobre 2022.

Lisez la (longue) chronique sur la famille Prilepski-Guskova

Comment vont-ils aujourd’hui ? Plutôt bien. Et c’est en partie grâce à vous ! Vous avez été nombreux à m’écrire après la parution de l’article pour leur proposer de l’aide. De l’aide vraiment concrète.

Des professeurs de français m’ont écrit pour leur offrir des cours particuliers.

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La famille Prilepski-Guskova, en février dernier

Copropriétaire de deux succursales de Pizzéria No 900 à Montréal, Richard Gélinas a offert d’embaucher le couple. Artiom a passé un mois et demi à préparer des pizzas l’été dernier.

Un autre lecteur, Louis Ménard, qui avait l’habitude d’envoyer des vélos usagés retapés en Haïti avec l’organisation Action-Haïti, mais qui peine à se rendre dans le pays des Antilles depuis que la situation sécuritaire s’y est dégradée, a offert quatre bicyclettes à la famille ukraino-russe. « Pour avoir du plaisir, on fait du vélo en famille. Ça nous a permis de découvrir Montréal », me dit Artiom, enthousiaste.

Le premier don de vélo n’a été que le début de la relation avec M. Ménard. Depuis, ce dernier a apporté 25 vélos chez les Prilepski-Guskova dans le quartier Côte-Saint-Paul. Artiom les a redistribués parmi les nouveaux arrivants ukrainiens et leurs familles.

Et ça ne s’arrête pas là. Lors de ma dernière visite chez mes amis, pour le 16e anniversaire des jumeaux Svetozar et Iaroslava, nous avons dégusté un gâteau aux fruits du temps des Fêtes apporté par M. Ménard. « C’est vraiment une bonne personne. Il nous envoie des courriels très gentils », lance Artiom, touché par ces délicates attentions.

Mon entrevue de mise à jour avec le couple se passe en français du début à la fin. Un français hésitant – laborieux par moments –, mais de plus en plus fonctionnel. Les jumeaux sont toujours dans une classe d’accueil à l’école secondaire Saint-Henri. Natalia – qui suit un programme intensif de français au cégep André-Laurendeau – a fait des progrès renversants au cours des six derniers mois.

Pendant qu’elle consacre toutes ses énergies à l’apprentissage de la langue, Artiom, lui, travaille dans un atelier de sculpture qui donne vie aux œuvres d’artistes urbains. Il quitte la maison à 6 h 30 le matin pour revenir à 19 h. Pour se faire l’oreille au français « international », il écoute la radio de Radio-Canada en travaillant. Et pour les spécificités québécoises ? « Nous regardons les Têtes à claques en famille ! », s’exclame Natalia. Un des épisodes de cette série de capsules humoristiques bien connue, relatant les péripéties d’une équipe de hockey de Sainte-Thérèse à Stalingrad, en Russie, les a fait rire aux éclats.

Considérant l’ampleur des efforts qu’il déploie pour apprendre la langue de Vigneault, le couple ne comprend pas pourquoi le gouvernement Legault estime que les immigrants sont aptes à recevoir des services de l’État en français seulement six mois après leur arrivée.

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Artiom Prilepski, en février dernier

Nous commençons seulement à pouvoir soutenir une conversation. Six mois, c’est rêver en couleurs !

Artiom Prilepski

À ce jour, son plus grand choc d’adaptation a été de se frotter aux services publics d’ici. Et pas seulement pour une question de langue. Se butant aux ratés de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), il attend patiemment depuis un an pour obtenir un permis de conduire. « C’est de la violence administrative ! », dit Natacha en riant.

En fait, le couple a bien peu de doléances sur sa nouvelle vie. Ce n’est pourtant pas facile tous les jours. « Nous gagnons assez pour payer le loyer, les téléphones, l’internet, l’électricité et une partie de la nourriture. Les banques alimentaires nous ont beaucoup aidés », confie un Artiom reconnaissant et qui en a vu d’autres.

S’ils sont contents d’avoir laissé la Russie et son climat guerrier derrière, plusieurs de leurs proches leur manquent. « Et quand on les appelle, on ne parle pas de politique et de la situation en Russie. Tout le monde se sent écouté, même sur WhatsApp », dit Artiom.

Natalia ne s’ennuie pas le moindrement du stress de la vie moscovite.

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Natalia Guskova, en février dernier

Qu’est-ce qui me manque ? Les musées, les amis… et les pharmacies. Quand on est malade en Russie, on va directement à la pharmacie chercher ce dont on a besoin. On n’est pas obligé d’aller voir un docteur.

Natalia Guskova

Et Artiom ? Il trouve surtout que la vie va vite au Québec. Il s’ennuie des copains qui débarquent à la maison et restent à coucher après avoir parlé jusqu’aux petites heures. « Les gens sont toujours occupés ici », note-t-il. (Message reçu cinq sur cinq.)

Mais tout ça n’est rien par rapport aux chantiers des possibles qu’ils sont en train d’échafauder en famille. « Quand tu travailles bien et que tu étudies bien ici, tu récoltes beaucoup plus qu’en Russie. De jour en jour, je comprends qu’il y a un monde d’occasions à saisir devant nous », lance Natalia.

Chers lecteurs, vous n’êtes pas étrangers à ce constat. Que 2024 soit à la hauteur de la bienveillance que vous avez démontrée à l’égard des Prilepski-Guskova. Et qu’elle soit douce pour les dizaines de milliers de nouveaux arrivants qui, comme Artiom, Natacha, Svetozar et Iaroslava, ont décidé de refonder leur vie au Québec. Par choix ou par nécessité.