Le mois dernier, mon amoureuse est revenue de l’épicerie avec cinq sacs de denrées – et deux grosses boîtes de carton pleines de documents.

« Euh… C’est quoi ? »

Les archives d’un ancien journaliste de La Presse, retrouvées dans le logement d’une voisine. Il y avait des calepins. Des photos. Des journaux. Deux bouteilles de vin du centenaire du journal. Toutes les conventions collectives de 1958 à 1985. Un carton d’invitation pour une conférence de presse de Fidel Castro. Et au fond d’une des boîtes, un petit guide avec une couverture souple : le bottin de l’Union canadienne des journalistes de langue française, édition 1961.

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C’est une liste des reporters de l’époque, avec leur adresse et leurs champs de couverture. Ce qui m’a frappé, ce sont les beats qui ont disparu avec le temps. Chroniqueur religieux. Journalistes affectés au monde ouvrier, à la mécanique ou aux incendies. Je lisais ces titres à voix haute lorsque mes enfants m’ont fait remarquer que mon premier beat au journal, celui du baseball, avait disparu après le départ des Expos…

Dans un média généraliste comme La Presse, les rubriques sont le reflet des intérêts des lecteurs. Il y a 25, 50, 100 ans, nous n’avions pas de journalistes affectés au soccer ou à l’environnement. À l’opposé, aujourd’hui, nous ne couvrons plus la crosse ni la philatélie.

Retour sur une douzaine de rubriques qui ont jadis trouvé leur public.

Les Canadiens des États-Unis

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La rubrique « Les Canadiens des États-Unis » était remplie de nouvelles très, très, très locales de compatriotes expatriés au sud de la frontière.

À la fin du XIXsiècle, des centaines de milliers de Québécois se sont exilés aux États-Unis pour trouver de l’emploi. La Presse donnait de leurs nouvelles dans une rubrique récurrente, « Les Canadiens des États-Unis ». Ça ratissait large. De la mort d’Eusèbe Roy au New Hampshire aux succès scolaires de Célina Benoit à Woonsocket, sans oublier le menu exact offert au banquet de la Société des artisans canadiens-français d’Holyoke. (Oui, oui, il y avait des huîtres.)

Les nouvelles maritimes

À la même époque, Montréal était le cœur de l’activité industrielle au pays, et le fleuve Saint-Laurent, son aorte. Toute l’activité au port était racontée dans la rubrique « Nouvelles maritimes ». Quand j’écris toute, c’est vraiment toute : la liste des bateaux de passage, les noms des capitaines, la nature des cargaisons, et ce, autant pour les grands navires que pour les barques et les goélettes.

Le courrier de Colette

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« Le courrier de Colette » fut l’une des chroniques les plus populaires de La Presse pendant 50 ans.

Une chronique archipopulaire, tenue de 1903 à 1953 par la journaliste Édouardina Lesage. Colette – son nom de plume – était considérée comme la « conseillère exemplaire ». Elle recevait jusqu’à 400 lettres par jour. Ses réponses occupaient plusieurs colonnes du journal. « Colette évitait de pleurnicher avec les adolescentes », a écrit Roger Champoux dans un hommage posthume. « Elle détestait la sottise et la friponnerie chez les femmes noircissant toujours le mari pour mieux masquer leurs propres fautes. Si elle acceptait le romantisme des fillettes, elle rejetait les chimères des jeunes filles en fleur. »

  • D. — « J’ai 15 ans et j’aime un jeune garçon de mon âge, mais ma mère n’aime pas que je sorte avec lui, que me conseillez-vous de faire ?
R. — Je vous conseille d’obéir à votre mère. Une petite fille de 15 ans ne doit pas penser aux garçons si elle ne veut pas être croquée par le loup comme le petit chaperon rouge.

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    D. — « J’ai 15 ans et j’aime un jeune garçon de mon âge, mais ma mère n’aime pas que je sorte avec lui, que me conseillez-vous de faire ?
    R. — Je vous conseille d’obéir à votre mère. Une petite fille de 15 ans ne doit pas penser aux garçons si elle ne veut pas être croquée par le loup comme le petit chaperon rouge.

  • D. — Est-ce qu’une jeune fille de 25 ans peut épouser un jeune homme de 22 ans, sans craindre que la différence d’âge soit un obstacle à son bonheur ? — Suzanne
R. — Cette différence n’est pas assez considérable pour devenir un obstacle sérieux.

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    D. — Est-ce qu’une jeune fille de 25 ans peut épouser un jeune homme de 22 ans, sans craindre que la différence d’âge soit un obstacle à son bonheur ? — Suzanne
    R. — Cette différence n’est pas assez considérable pour devenir un obstacle sérieux.

  • D. — Lorsque notre médecin de famille nous envoie sa carte au jour de l’an, est-on tenu de répondre ? — QUI VEUT BIEN FAIRE LES CHOSES
R. — Si vous connaissez sa femme, vous lui enverrez votre carte et celle de votre mari ; sinon, vous pourrez vous dispenser de répondre.

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    D. — Lorsque notre médecin de famille nous envoie sa carte au jour de l’an, est-on tenu de répondre ? — QUI VEUT BIEN FAIRE LES CHOSES
    R. — Si vous connaissez sa femme, vous lui enverrez votre carte et celle de votre mari ; sinon, vous pourrez vous dispenser de répondre.

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L’autrice Geneviève Pettersen a aussi tenu un courrier du cœur dans les premières années de La Presse+, avec son personnage de Madame Chose.

Les prix du marché

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Quelques-uns des prix affichés au marché Bonsecours, le 15 septembre 1917

Presque tous les jours pendant la Première Guerre mondiale, et plus sporadiquement par la suite, La Presse publiait les prix des denrées dans les marchés publics de Montréal.

Les échecs

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Yves Boisvert a été le responsable de la chronique d’échecs pendant trois ans. En 1989, il a glissé ce poisson d’avril sans en parler à ses patrons. « Ce jour-là, j’ai failli me faire mettre à la porte. »

Une rubrique qui a vécu plus d’un siècle, sous différents formats. Ce furent d’abord des problèmes à résoudre, puis une chronique en bonne et due forme. Mon collègue Yves Boisvert l’a signée, de 1988 à 1991. « En Amérique du Nord, le match Fischer-Spassky de 1972 a changé la donne, explique-t-il. Bobby Fischer était une immense star. Il était à la une de tous les magazines. Dans les grands journaux, la chronique d’échecs est alors devenue incontournable. » La chronique était souvent confiée à de grands maîtres internationaux. C’était le cas à La Presse, avec Jean Hébert.

Yves Boisvert lui a succédé après son stage d’été au journal. « Mon expérience ? J’avais déjà joué dans un club au cégep. » Mais Yves savait raconter des histoires, et c’est ce que la direction recherchait. Yves a notamment couvert le quart de finale du Championnat du monde disputé à Québec, en 1989. « Je devais écrire pour le cahier des sports tous les jours, même lorsqu’il n’y avait pas de match ! »

Son article le plus célèbre – du moins auprès de ses collègues – restera son poisson d’avril de 1989, dans lequel il a annoncé la présentation d’un match entre Bobby Fischer et Garry Kasparov à l’aquarium de Montréal. Le hic ? Yves n’avait pas avisé ses patrons, qui l’ont découvert en lisant les cahiers préimprimés du week-end, le vendredi. Trop tard. « Ce jour-là, j’ai failli me faire mettre à la porte », raconte-t-il aujourd’hui en riant.

Le poker

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Le journaliste Simon Gravel s’est occupé pendant deux ans de la chronique poker, qui a été publiée dans la section des sports à partir de 2006.

Pendant le lock-out de la Ligue nationale de hockey, en 2004-2005, le poker est devenu un produit vedette des chaînes sportives québécoises. « C’était vraiment populaire », se souvient Simon Gravel, qui a écrit la rubrique pendant deux ans. « Tous mes amis qui jouaient aux échecs s’étaient reconvertis au poker, avec l’espoir de faire de l’argent. » Simon s’était notamment rendu à Las Vegas pour couvrir les Séries mondiales, auxquelles prenait part René Angélil. « Il s’était rendu tellement loin qu’il était actif dans deux tournois en même temps ! »

Le bridge

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Un exemple de la chronique de bridge, avec un problème à résoudre qui embêtait parfois les jeunes journalistes au pupitre.

Une rubrique qui a eu une longue vie. Elle a été tenue successivement par Arsène Desrochers, Émile Quintal et André Trudelle. Il y était question de stratégies, de résultats de compétitions, mais aussi d’histoires humaines, comme l’ouverture du premier club de bridge LGBTQ+ au Québec, ou l’intérêt des Africains pour ce jeu de cartes. Pour les jeunes pupitreurs qui ne maîtrisaient pas les codes du jeu, la mise en page des problèmes à résoudre posait parfois un défi. Un fait d’ailleurs souligné par André Trudelle dans sa dernière chronique, en 2003 : « Il y a eu plusieurs erreurs techniques ces dernières années. Je tiens à m’en excuser. Ces impairs m’ont valu moult plaisanteries et de nombreux reproches pas toujours indulgents. »

À tire-d’aile

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La première des 1000 chroniques « À tire-d’aile » que Pierre Gingras écrira sur une période de 20 ans.

Ça fait 50 ans cette année que Pierre Gingras écrit dans La Presse. Pendant ce demi-siècle, il s’est occupé de plusieurs rubriques, notamment de celle des oiseaux. « Tout a commencé en 1987, raconte-t-il. Ça faisait deux ans que j’étais responsable de la chronique ‟Chasse et pêche ».

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre Gingras, qui écrit dans La Presse depuis un demi-siècle, a tenu la chronique « À tire-d’aile » pendant 20 ans.

Les chasseurs et les pêcheurs ne m’écrivaient pas beaucoup. Je recevais une ou deux lettres par année. Mais quand j’écrivais sur les oiseaux, de façon un peu biologique, je recevais beaucoup de courrier. » Son collègue Robert Duguay lui suggère de remplacer une de ses deux chroniques hebdomadaires de chasse par une autre sur l’ornithologie. Le premier mois, Pierre a reçu 157 lettres. De quoi lui donner des ailes pour écrire 1000 chroniques de plus, pendant 20 ans.

Les courses de chevaux

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Pendant des décennies, La Presse publiait les résultats des courses de chevaux présentées à l’hippodrome de Montréal.

Pendant des décennies, La Presse publiait les résultats des courses de chevaux de l’hippodrome de Montréal, ainsi que ses prédictions pour les courses du jour. « J’accomplissais ce travail avec beaucoup de sérieux », raconte Gaétan Lauzon, qui était aussi journaliste au pupitre des sports. « Je faisais des entrevues avec des conducteurs, des entraîneurs et des propriétaires au téléphone ou en me rendant à l’hippodrome », se souvient-il. Michel Magny, qui avait déjà travaillé dans ce milieu, et André Trudelle participaient aussi à la rubrique. « Je faisais presque une maladie quand mes sélections étaient erronées. L’erreur est quand même fréquente, un peu comme un bon frappeur au baseball présente une moyenne de ,330 dans les ligues majeures. »

Les feux d’artifice

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Le journaliste George Lamon, à gauche, lors d’une soirée hommage soulignant sa couverture assidue des compétitions de feux d’artifice présentées à La Ronde

Dans les années 1980-1990, le concours de feux d’artifice de La Ronde, c’était une grosse affaire. Tellement que La Presse couvrait l’évènement comme une compétition sportive, avec des prépapiers et des analyses. Le journaliste Georges Lamon a écrit plus de 250 articles sur le sujet. Avec le temps, son expertise unique lui permettait d’apprécier – ou de critiquer – le travail des artificiers. Aussi se désolait-il, en 1992, de l’étalement du calendrier des feux pendant tout l’été. « Ça donne l’impression d’une simple série de spectacles, plutôt qu’une véritable compétition de calibre international. »

Les restaurants insalubres

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Pendant près de 10 ans, le journaliste Raymond Gervais a signé une rubrique sur les commerces insalubres de Montréal.

La rubrique des coquerelles ! Pendant près de 10 ans, jusqu’en 2003, le journaliste Raymond Gervais scrutait les décisions de la Cour municipale de Montréal pour trouver les pires cas de commerces insalubres. Imaginez l’horreur, dans la salle de rédaction de La Presse, lorsque Raymond a révélé que notre restaurant vietnamien préféré du boulevard Saint-Laurent avait écopé d’amendes de 11 000 $ pour des infractions répétées. La rubrique se prêtait bien à des titres accrocheurs, comme « Extraordinairement sale », « Ultra-moderne, extra-sale », et mon préféré, « On ne “sourit” pas avec l’hygiène ».

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