Quand le gouvernement fédéral a fermé le chemin Roxham en mars dernier, les responsables des organismes en immigration ont soupiré de toutes leurs forces. Ils n’y voyaient pas une solution à quoi que ce soit, mais plutôt un gros pelletage en avant. Et ils ont eu raison.

Les chiffres publiés par ma collègue Suzanne Colpron jeudi le démontrent. Le Québec, principal point de chute au pays, a accueilli plus de nouveaux demandeurs d’asile au cours des 11 premiers mois de 2023 que pendant toute l’année 2022, soit près de 60 000.

Et pourtant, le fameux chemin Roxham – celui que le gouvernement Legault a accusé de tous les maux – est bel et bien fermé à triple tour. Tous ceux qui décident d’emprunter ce petit chemin de terre entre l’État de New York et la Montérégie sont refoulés. Les édifices d’accueil que le gouvernement fédéral y avait construits à grands frais ont été démantelés.

En fait, ce n’est pas au chemin Roxham qu’on a mis fin, mais bien à la possibilité de demander l’asile après être entré au pays entre deux postes-frontières officiels. Roxham n’était que le plus célèbre de ces points de passage. Le plus organisé. Et le plus prévisible pour les migrants comme pour les autorités canadiennes.

Qu’est-ce que les experts en immigration avaient prédit ? Que les migrants trouveraient d’autres voies pour entrer au pays – des voies potentiellement dangereuses – et que des réseaux de passeurs allaient profiter de la manne. Qu’on déshabillait Paul pour habiller une Pierrette douteuse.

Ce n’est pas en regardant dans une boule de cristal qu’ils ont eu cette vision, mais bien en regardant les flux migratoires partout sur la planète. En Europe, en Afrique, en Asie, à la frontière entre les États-Unis et le Canada.

Les autorités ferment une porte pour en voir de nouvelles apparaître quelques mois plus tard. Immanquablement.

Ici, c’est vers les aéroports que nombre de demandeurs d’asile se sont tournés. Si, en 2022, 17 165 personnes ont réclamé l’asile en descendant de l’avion, ils ont été 36 970 à agir de la sorte de janvier à la fin de novembre cette année.

La décision du fédéral de délivrer des visas temporaires plus rapidement et avec moins de restrictions a beaucoup contribué à la chose. La levée des visas pour les Mexicains désireux de visiter le Canada fait aussi partie de la donne.

Une récente enquête de Radio-Canada a révélé que des organisations criminelles, dont le cartel de Sinaloa, délivrent de faux passeports mexicains à leurs clients, réussissent à les faire entrer au Canada par la grande porte et facilitent ensuite la traversée clandestine de certains d’entre eux aux États-Unis par la frontière canado-américaine. Une frontière de 9000 kilomètres, pleine de chemins Roxham moins connus.

Et que dire des nouvelles règles qui permettent à toute personne qui entre au Canada de manière irrégulière de demander l’asile 14 jours après son arrivée sur le territoire canadien ? Une absurdité invérifiable.

On a vraiment fermé un petit chemin pour en ouvrir une tonne d’autres. Le nombre de demandeurs d’asile au pays est passé de 91 740 en 2022 à 128 685 en 11 mois en 2023.

Qu’on le veuille ou non, la hausse de la migration est un phénomène international. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés annonce de nouveaux chiffres record chaque année. Les conflits, les changements climatiques, les inégalités et la répression politique obligent de plus en plus de femmes, d’hommes et d’enfants des quatre coins du monde à chercher l’asile. Et les conventions internationales que le Canada a signées nous obligent à avoir un système adéquat pour entendre les demandes qui se rendent jusqu’à nous.

Dans ce contexte, le principal problème n’est pas le nombre de demandeurs d’asile que le Canada reçoit en ce moment et qui sera appelé à augmenter, mais bien leur répartition à la grandeur du pays et l’organisation des services.

C’est là que le bât blesse et c’est là qu’il faut agir. En construisant des logements qui profiteront à toute la population, en planchant sur un réel plan de répartition entre provinces qui enlèvera de la pression au Québec, en délivrant avec diligence des permis de travail aux demandeurs d’asile, en décidant rapidement d’accorder ou non le statut de réfugié et en traînant en justice les réseaux illicites qui profitent de la misère humaine. Tout cela est plus utile que de dépenser de l’énergie à fermer – illusoirement – des voies d’accès.

Les autorités du pays – fédérales comme provinciales – doivent démontrer à la population canadienne qu’elles maîtrisent la situation. Non pas le contraire.

Lisez l’article « Encore une année record, malgré la fermeture du chemin Roxham »