La fermeture du chemin Roxham devait permettre de freiner le flux de migrants. C’est plutôt le contraire qui s’est produit. Les demandes d’asile ont poursuivi leur lancée, et déjà dépassé, en novembre, le record établi en 2022.

Les données publiées mercredi, portant sur les 11 premiers mois de l’année, montrent que le Québec a accueilli 59 735 demandeurs d’asile, contre 51 635 pour la même période en 2022, une hausse de 16 %. Pour toute l'année 2022, 58 805 demandeurs d'asile ont fait leur arrivée au Québec.

Le Québec est toujours le principal point de chute des demandeurs d’asile, avec 46 % des demandes totales du Canada. L’Ontario est la deuxième destination en importance, avec 43 %. Le rattrapage de l’Ontario est spectaculaire. En 2022, la province voisine accueillait plus de deux fois moins de demandes que le Québec, soit 26 % contre 64 %. Cette année, elles sont presque à égalité.

Ce renversement de tendance s’explique largement par le mode d’entrée des demandeurs, qui arrivent au Canada par avion plutôt que par voie terrestre.

La pression exercée en 2023 par ce nouveau mode d’entrée devrait toutefois s’atténuer parce que le ministère de l’Immigration du Canada a annoncé, le 15 décembre, qu’il mettait fin à un programme qui consistait à accélérer la délivrance de visas de visiteur pour les pays où les délais étaient très longs. Le résultat a été une hausse subite du nombre de demandes d’asile à la sortie d’avion.

Mais pour l’instant, les pressions sont toujours aussi fortes sur les organismes d’aide, et le nombre de demandeurs d’asile en situation d’itinérance augmente dans la région de Montréal.

Des sites remplis

« On a énormément de demandes chaque jour de gens qui sont à risque d’itinérance », affirme Eva Gracia-Turgeon, directrice de Foyer du monde, une maison d’hébergement pour demandeurs d’asile, à Montréal.

La route est différente et le portrait socio-économique des demandeurs est un peu différent, mais la pression est toujours là.

Eva Gracia-Turgeon, directrice de Foyer du monde

Stephan Reichhold, directeur de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI), estime que de 5000 à 10 000 demandeurs s’ajoutent chaque mois au Québec.

Avec une capacité d’accueil de 1150 personnes, les deux sites gérés par le Programme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile (PRAIDA) affichent complet depuis le début de l’année. L’organisme, qui relève du gouvernement du Québec, a accueilli 10 976 personnes en 2023, moins que les 16 204 de l’année dernière, mais « la durée des séjours était plus longue que les deux, trois semaines habituelles », signale le porte-parole, Carl Thériault.

Pour loger ceux qui n’ont pas d’endroit où aller, le fédéral continue de louer des chambres dans des hôtels de la métropole. Mais tous ces hébergements ne sont que temporaires. Les gens doivent partir au bout d’un mois ou deux, pour se retrouver au cœur d’une crise du logement.

« Il va falloir réfléchir à de l’hébergement, pas juste temporaire, mais à moyen terme », estime Stephan Reichhold, du TCRI, qui cite le projet de construction d’un centre d’accueil de 800 places pour demandeurs d’asile près de l’aéroport Pearson, en Ontario.

La peur de se faire expulser

Au Québec, depuis la fermeture du chemin Roxham, les demandes d’asile ont explosé à l’aéroport Montréal-Trudeau : 2780 en novembre 2023, comparativement à 1420 en novembre 2022.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Le chemin Roxham, le jour de sa fermeture, le 25 mars dernier

Un petit nombre de migrants continue à entrer par la frontière terrestre, en se frayant un passage dans les bois, selon plusieurs organismes consultés. Le protocole additionnel à l’Entente sur les tiers pays sûrs, conclu entre Ottawa et Washington, leur permet de présenter légalement une demande d’asile au Canada dans les 14 jours suivant leur entrée « irrégulière » au pays.

Les gens ne disent pas trop comment ils sont arrivés au Québec parce qu’ils ont peur de se faire expulser. Ils attendent 14 jours et après, ils se manifestent. Mais c’est très difficile pour eux d’avoir accès à des services d’aide. Ils échappent au système.

Stephan Reichhold, directeur de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes

« On crée des lois qui précarisent davantage les gens et qui les rendent de facto inadmissibles à ce qui, normalement, aurait été accessible pour eux », déplore Eva Gracia-Turgeon, de Foyer du monde.

Aucun rôle pour le Québec

Selon les données du PRAIDA, les demandeurs d’asile arrivés cette année sont en majorité issus du Mexique, dont les citoyens peuvent entrer au Canada sans visa, de la Colombie, d’Haïti, de la Turquie et du Venezuela.

Pour avoir le statut de réfugié, donnant accès à la résidence permanente, ces derniers doivent déposer une demande au gouvernement fédéral et fournir tous les documents requis : pièce d’identité, données biométriques, etc. Le processus, qui va de l’entrevue d’admissibilité à la délivrance éventuelle du statut de « personne à protéger », peut prendre plus de deux ans. Le Québec ne joue aucun rôle dans ce processus décisionnel.

Selon les données disponibles, portant sur la période de janvier à septembre, le fédéral a accueilli positivement 26 658 des 36 931 demandes en 2023, soit un taux d’acceptation de 72 %.

Trois projets pilotes

Pour intégrer en emploi les demandeurs d’asile, le gouvernement du Québec a mis sur pied trois projets pilotes cette année. Les deux premiers visent à intégrer 4500 demandeurs d’asile dans le secteur de la santé et du tourisme d’ici trois ans. L’autre projet, piloté par le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI), consiste à attirer 1000 demandeurs d’asile dans la ville de Québec, d’ici 2027, en leur fournissant une foule de services : mesures d’employabilité, formation, allocations de francisation, hébergement, etc.

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  • 58 805
    Nombre total de demandes d’asile déposées au Québec en 2022
    Source : Immigration Canada