Le métier, les médias, la salle de rédaction de La Presse, et vous

On lit souvent sur la plateforme X que les médias n’ont qu’eux-mêmes à blâmer pour la crise des médias : plus personne ne les croit, donc plus personne ne les consulte.

Il n’y a rien de surprenant à retrouver cette affirmation sur un réseau social qui attire comme un aimant tous ceux qui détestent les journalistes. J’avoue toutefois avoir été un peu plus surpris quand j’ai entendu une interprétation plus polie, mais néanmoins similaire, de la crise des médias par le ministre de la Culture du Québec.

Vous en avez lu des extraits dans « Un café avec Mathieu Lacombe » qu’a récemment publié Isabelle Hachey dans la section Contexte1. Extraits qui émanaient d’une conférence plus large que le ministre avait donnée devant les membres de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec à la mi-novembre.

En pleine crise des médias, M. Lacombe avait alors livré le fond de sa pensée sur la responsabilité qui incombe aux journalistes. Il avait évoqué « la crise de confiance envers les médias », la « perte de confiance du public » et la « désaffection à plusieurs visages ».

Ouch.

Remarquez, s’il y a un élu à Québec qui a toute la légitimité pour aborder le sujet, c’est bien le ministre de la Culture. C’est lui, après tout, qui a la responsabilité des médias, de l’aide publique, des programmes.

Non seulement il a droit à son opinion sur l’écosystème médiatique, mais il a le droit de la partager.

Mais j’avoue quand même ressentir un grand malaise. Le même malaise que je ressens quand on importe au Québec des problèmes d’ailleurs comme s’ils étaient les nôtres.

D’abord, mettons une chose au clair : il n’y a AUCUN lien entre la « crise des médias » et la confiance du public.

Aucun.

La crise des médias est une crise de revenus, de publicité, d’innovation.

Pensez aux journaux papier qui voient leurs annonceurs fuir vers le web. Pensez aux géants du web qui siphonnent les revenus qui allaient aux journaux. Pensez à la télé généraliste qui écope de la baisse de popularité du câble. Pensez aux modèles d’affaires qui n’ont pas évolué malgré un contexte qui oblige à sortir des sentiers battus.

On n’est donc pas du tout dans la confiance du public, mais bien dans la nécessité du virage numérique, dans les changements rapides de comportement et dans la transformation constante des habitudes et rituels de consommation de l’information.

D’ailleurs, si ça peut servir d’indice, le tirage papier de La Presse pouvait atteindre les 200 000 exemplaires la semaine et 350 000 exemplaires le samedi. Alors qu’aujourd’hui, toutes plateformes confondues, on dépasse facilement le million d’appareils uniques atteints… chaque jour de la semaine.

« Désaffection », vraiment ?

Cela dit, le plus lourd de sens est ailleurs : y a-t-il, oui ou non, crise de confiance du public à l’endroit des médias ?

La question se pose en effet quand on consulte les sondages. Mais la réponse est loin d’être claire, avec des taux de confiance qui oscillent entre 30 et 60 %, selon les sources.

Il y a donc lieu de s’interroger sur ce qui tire cette confiance par le bas depuis quelques années. Mais d’évoquer une « crise de confiance à l’endroit des médias » ? Au Québec ?

Je ne vois pas comment on peut en arriver à une telle conclusion, sinon en passant trop de temps sur X…

On sent bien une défiance plus forte depuis un certain temps, même au Québec. Mais celle-ci dépasse largement les médias et s’exprime contre les institutions : les élus, les gouvernements, les villes.

Les journalistes reçoivent peut-être des roches, mais Justin Trudeau et François Legault aussi, de même que les maires.

D’ailleurs, la dernière fois que la firme Edelman a sondé le Québec2, elle a conclu que la confiance y était bien plus grande qu’ailleurs dans le monde, et même plus grande qu’au Canada. Et elle révélait que 59 % des Québécois font confiance aux médias… alors qu’ils sont 60 % à faire confiance au gouvernement.

Donc de deux choses l’une : ou bien à 60 % il n’y a pas de crise de confiance, ou bien il y en a une, et elle touche toutes les institutions démocratiques. Ce qui amène une réflexion bien différente de celle de Mathieu Lacombe.

Je peine donc à comprendre dans ce contexte, surtout au moment où se multiplient les fermetures et licenciements dans les médias, que le ministre invite la confrérie journalistique à réfléchir au rehaussement des « critères déontologiques », à l’élargissement du mandat du Conseil de presse et aux « formats de reportage » à privilégier.

Ces questions, sauf le respect qui lui est dû, ne regardent pas le gouvernement, d’abord. Et surtout, le péril existentiel qu’affronte l’industrie médiatique n’est pas du tout le moment approprié pour lancer de grandes questions déontologiques soufflées par le pouvoir politique.

Autrement dit, on peut bien – et on doit, même – s’interroger sur cette confiance ébranlée, mais elle n’a rien à voir avec les licenciements récents et fermetures de médias. L’urgence, qu’a bien comprise le gouvernement par ailleurs, est à la sauvegarde de cette industrie cruciale.

1. Lisez « Un café avec Mathieu Lacombe : comment rétablir la confiance envers les médias ? » 2. Consultez le Baromètre de confiance Edelman Écrivez à François Cardinal