« Comment réduire le stress lié aux devoirs : conseils pour les étudiants », est titré l’article publié en décembre 2022. L’un de ces conseils a de quoi faire sursauter : « EduBirdie propose de prendre en charge vos devoirs en contrepartie d’une rémunération. »

On s’en doute, le contenu fort discutable de ce « reportage » a été payé par EduBirdie, une entreprise ukrainienne qui fait de la tricherie organisée son fonds de commerce. Mais ce n’est pas le plus incroyable ni le plus choquant, dans cette histoire.

Le plus incroyable, c’est que le texte en question est signé Patrick White, nul autre que le directeur du programme de journalisme de l’UQAM !

Sur son site personnel, PatWhite.com, le professeur a signé au moins 113 articles ainsi commandités, dont plusieurs mènent à des sites de casinos en ligne. L’un d’eux mène directement à une agence d’escortes ukrainiennes !

  • Cet article publié sur le site web PatWhite.com prétend dévoiler le « Top 3 des meilleures salles de sport avec piscine de Berlin ».

    CAPTURE D’ÉCRAN TIRÉE DU SITE WEB PATWHITE.COM

    Cet article publié sur le site web PatWhite.com prétend dévoiler le « Top 3 des meilleures salles de sport avec piscine de Berlin ».

  • À même l’article se trouve cependant un lien vers un site web d’escortes ukrainiennes.

    CAPTURE D’ÉCRAN TIRÉE DU SITE WEB PATWHITE.COM

    À même l’article se trouve cependant un lien vers un site web d’escortes ukrainiennes.

  • La plateforme héberge aussi un article censé donner des conseils pour les devoirs des étudiants.

    CAPTURE D’ÉCRAN TIRÉE DU SITE WEB PATWHITE.COM

    La plateforme héberge aussi un article censé donner des conseils pour les devoirs des étudiants.

  • Un lien contenu dans l’article mène à un service de rédaction fantôme destiné à la communauté étudiante.

    CAPTURE D’ÉCRAN TIRÉE DU SITE WEB PATWHITE.COM

    Un lien contenu dans l’article mène à un service de rédaction fantôme destiné à la communauté étudiante.

  • Cet article sur l’art urbain contient un lien menant à un casino en ligne.

    CAPTURE D’ÉCRAN TIRÉE DU SITE WEB PATWHITE.COM

    Cet article sur l’art urbain contient un lien menant à un casino en ligne.

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Le manque de jugement du professeur, dans cette affaire, est aussi affligeant qu’incompréhensible. Patrick White n’est pourtant pas né de la dernière pluie. Depuis des années, on l’invite à commenter les rouages des médias sur toutes les tribunes. Il a été journaliste et cadre à l’agence Reuters, à La Presse Canadienne, au Journal de Québec, à CTV News, au Huffington Post…

Mais voilà qu’on découvre que, journalistiquement parlant, ce communicateur d’expérience a commis une erreur de débutant. Pire, il a commis un crime de lèse-majesté. Il a été payé pour signer des reportages commandités. Même si, en réalité, ce n’est pas lui qui rédigeait ces textes-là, il a accepté de mettre son nom et son visage sur des dizaines d’articles qui n’avaient rien de journalistique.

C’était juste de la publicité. Du « contenu de marque », comme on dit. Des articles promotionnels, distribués par des régies publicitaires francophones d’Europe et du Canada.

Certains textes, signés PatWhite.com, étaient accompagnés d’un dessin représentant le professeur. D’autres, signés Patrick, étaient accompagnés de sa photo. Une mention « contenu de marque » chapeautait les articles commandités, qui ont été retirés du site au cours des dernières semaines.

Je lui ai avoué, jeudi, que je ne comprenais pas comment il avait pu se prêter à ce jeu-là. Je lui ai demandé : « Ça ne te dérangeait pas de mettre ton nom là-dessus ?

— Ce n’était pas mon nom, c’était le nom du site.

— Oui, mais le nom du site… c’est ton nom ! PatWhite.com !

— Oui, absolument, je comprends. C’est une zone grise, les contenus commandités. Et je comprends que ces contenus-là en particulier, ce n’était pas l’idée du siècle, effectivement. C’est pour ça qu’il n’y en aura plus jamais et que le site va fermer dans les prochains jours. »

Patrick White se retirera également de la direction du programme de journalisme de l’UQAM à la fin de l’année. Puis, en 2024, il prendra un congé sans solde pour réfléchir à son avenir au sein de l’université.

C’est le professeur Jean-Hugues Roy qui a découvert le pot aux roses en visitant le site de Patrick White, le mois dernier. « Ce que j’ai vu, ça m’a jeté à terre. Des dizaines et des dizaines de contenus commandités, qu’il signait lui-même. » Il a consulté une autre professeure, Kathleen Lévesque, ancienne journaliste d’enquête à La Presse. Elle a eu la même réaction que lui. « Franchement, dit-elle, la mâchoire m’est tombée. »

Le texte faisant la promotion d’EduBirdie, en particulier, l’a estomaquée. Il conseille carrément aux étudiants de payer des « techniciens » afin qu’ils fassent leurs devoirs à leur place. « C’est une incitation au plagiat », s’insurge-t-elle. Une faute impardonnable, dans une université comme en journalisme.

Un autre texte prétend dévoiler le « Top 3 des meilleures salles de sport avec piscine de Berlin ». Plutôt niché, comme sujet, vous me direz. Ça ne s’arrange pas à la lecture de l’article : « Si vous cherchez à allier remise en forme et plaisir de nager, Berlin est l’endroit idéal pour vous. C’est l’occasion rêvée d’y emmener votre compagne après une rencontre femme ukrainienne [sic] sur des sites à l’instar de Ladadate pour un moment de détente. » Un hyperlien mène au site de cette agence d’escortes ukrainiennes…

D’autres textes sur le coureur automobile Gilles Villeneuve, le cinéaste Philippe Falardeau ou l’art urbain mènent quant à eux à des sites de jeu en ligne. Tout cela est proprement sidérant.

« Il y a beaucoup d’automatisation des bannières publicitaires, m’a expliqué Patrick White. Il y a certains [articles] que je n’ai pas vus, il y en a que j’ai vus, c’était dans une zone grise, effectivement, et si c’était à refaire, je referais cela complètement différemment aujourd’hui. » Les contenus commandités ne l’ont pas enrichi, affirme-t-il, puisqu’ils ont uniquement servi à financer le site web.

N’empêche. Ça ne se fait tout simplement pas, en journalisme. C’est toute notre crédibilité qui est en jeu. C’est la confiance du public qu’on risque de perdre, avec des histoires pareilles. Heureusement, des étudiants en journalisme de l’UQAM ont eu le courage de dénoncer la situation, jeudi soir, dans le Montréal Campus, le journal étudiant de l’université. Il y a de l’espoir pour l’avenir de la profession.

Lisez l’article du Montréal Campus « Du jeu en ligne dissimulé sur le site de Patrick White »

Lundi, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec a suspendu d’urgence la carte de membre associé de Patrick White. Elle décidera en janvier si elle la révoquera.

Pris dans la tourmente, le directeur de l’École des médias de l’UQAM, Pierre Barrette, souligne tout de même que Patrick White n’est plus journaliste, mais prof de journalisme. La nuance est subtile, mais importante, estime-t-il.

On peut poser un geste qui est douteux journalistiquement, mais qui du point de vue professionnel n’entraînera pas de sanction. On est dans cette zone floue là.

Pierre Barrette, directeur de l’École des médias de l’UQAM

Si Patrick White était prof, disons, de biologie, et s’il avait diffusé du contenu commandité sur son site personnel, ça n’aurait pas fait autant sourciller. Soit. Mais bon, Patrick White est bel et bien prof de journalisme. Il enseigne à de futurs journalistes la déontologie. L’éthique journalistique. Le b. a.-ba du métier.

Et pendant qu’il leur enseigne tous ces beaux principes, il se fait payer pour des articles sur de la tricherie organisée, sur des casinos en ligne et sur plein de bébelles à vendre…

Comme m’a dit Jean-Hugues Roy : « Tu ne monnayes pas ta crédibilité pour du mobilier de jardin. » C’est l’évidence. Ça ne prend pas un cours de journalisme 101 pour comprendre ça.