« On prend la leçon 10 de la méthode. En position ! », lance Hervé Treille, qui dirige le programme de musique cordes de l’école Saint-Luc depuis 25 ans.

Au centre de services scolaire de Montréal, trois écoles secondaires publiques offrent un programme de musique-études. L’école Saint-Luc, située dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce, est cependant la seule à le rendre accessible à tous. « Il n’y a pas de sélection, pas d’audition, ni de prérequis en musique », souligne M. Treille.

Sauf exception – dont l’ajout d’une harpiste cette année –, le programme est composé de 200 élèves en cordes et de 300 en vents.

Une grosse partie de la classe n’a jamais joué d’instrument, ou à peu près, comme Racim Djenane, arrivé à Montréal il y a six ans de son Algérie natale et qui a à peine joué de la flûte à l’école primaire.

Le programme a fait naître chez lui une réelle vocation d’altiste. L’an prochain, il part faire ses études collégiales à Vincent-d’Indy. « Plus tard, j’aimerais bien faire partie de l’Orchestre Métropolitain. »

La musique comme facteur d’intégration

Certains, comme une jeune Ukrainienne violoniste et une jeune Mexicaine contrebassiste – qui ont toutes deux immigré il y a un an –, sont au contraire arrivés à l’école Saint-Luc avec un solide bagage musical.

Ne s’ennuient-elles pas un peu, parmi beaucoup de débutants ? Elles assurent que non, que peu importe le niveau, elles se sentent privilégiées de faire partie d’un orchestre.

« Leur connaissance de la musique, qui leur permet d’aider les autres, a été un facteur d’intégration pour elles », estime M. Treille, qui souligne au passage qu’une troïka ukrainienne sera incluse au prochain concert de Noël.

Chacun a son instrument attitré. Violonistes et violoncellistes apportent leur instrument à la maison, tandis que l’école prête des contrebasses à la maison aux élèves plus vieux.

L’approche pédagogique est celle de la pratique musicale collective.

Le programme est axé sur le plaisir de jouer. Il tient compte du rythme de chacun des élèves. Ceux qui ont un plus grand intérêt et un plus grand potentiel reçoivent une attention particulière pour pouvoir occuper les premières chaises et jouer des partitions en solo.

Hervé Treille, qui dirige le programme de musique de l’école Saint-Luc depuis 25 ans

Des professeurs à la leçon – dont une prof de harpe, cette année – viennent aussi de l’extérieur presque toutes les semaines travailler avec les élèves.

  • Skander Aïssa trouve que de jouer du violon, « ça relaxe le cerveau ». « Je ne savais pas lire les notes, je pensais que ça serait difficile, mais j’ai appris ça rapidement, en fait. »

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Skander Aïssa trouve que de jouer du violon, « ça relaxe le cerveau ». « Je ne savais pas lire les notes, je pensais que ça serait difficile, mais j’ai appris ça rapidement, en fait. »

  • Dariia Lezhnina a immigré de l’Ukraine il y a un an, forte de sept ans de cours de violon. « J’aime venir manger dans notre local. Mes amis m’ont demandé de les aider, on pratique ensemble. Ça me plaît, je prends toujours plaisir à jouer. »

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Dariia Lezhnina a immigré de l’Ukraine il y a un an, forte de sept ans de cours de violon. « J’aime venir manger dans notre local. Mes amis m’ont demandé de les aider, on pratique ensemble. Ça me plaît, je prends toujours plaisir à jouer. »

  • « Ma famille est hot, on a carrément déménagé ici pour que Saint-Luc soit mon école de quartier et que je puisse m’inscrire dans le programme de musique », lance Agathe Chabot, qui fait de la contrebasse depuis neuf ans. Elle y a été initiée par l’organisme communautaire Le garage à musique, dans Hochelaga-Maisonneuve.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    « Ma famille est hot, on a carrément déménagé ici pour que Saint-Luc soit mon école de quartier et que je puisse m’inscrire dans le programme de musique », lance Agathe Chabot, qui fait de la contrebasse depuis neuf ans. Elle y a été initiée par l’organisme communautaire Le garage à musique, dans Hochelaga-Maisonneuve.

  • « Ma passion pour le violon est née ici, à l’école Saint-Luc », raconte Racim Djenane, qui est né en Algérie et qui est arrivé ici à 6 ans. Il veut devenir musicien professionnel.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    « Ma passion pour le violon est née ici, à l’école Saint-Luc », raconte Racim Djenane, qui est né en Algérie et qui est arrivé ici à 6 ans. Il veut devenir musicien professionnel.

1/4
  •  
  •  
  •  
  •  

Un répertoire éclaté

Sur les murs des locaux, les photos des spectacles de Noël et de fin d’année rendent compte d’un plaisir partagé de la musique, dans un très vaste répertoire.

Il y a eu ce programme avec de la musique de films japonais de Joe Hisaishi, avec projection à l’arrière-scène d’extraits de dessins animés. Pour d’autres concerts, ç’a été The Wall, de Pink Floyd (hymne officiel de la rébellion estudiantine de tout temps), ou une suite orchestrale de chansons québécoises (Gilles Vigneault, Claude Léveillée, Harmonium, Beau Dommage, Jean Leloup, etc.).

L’année dernière, la classe d’accueil s’est jointe à l’orchestre pour apprendre la chanson On écrit sur les murs, en version chorale et cordes. « Plusieurs élèves ne parlaient encore pas un mot de français, raconte M. Treille. Un mot à la fois, on leur a appris la chanson, avec la bonne prononciation. »

Le spectacle de juin dernier a été particulièrement émouvant. C’était le dernier spectacle de fin d’année pour M. Treille, qui prend sa retraite en décembre, un départ planifié de longue date pour ne bousculer d’aucune façon les élèves.

« Plusieurs anciens élèves sont venus assister au dernier concert dirigé par Hervé. Certains anciens ont même joué dans l’orchestre. Tout le monde avait la larme à l’œil », raconte Mariane Charlebois-Deschamps, enseignante de musique.

Une relève assurée

Les minutes ont passé, les élèves de 3secondaire viennent d’entrer en classe. Mme Charlebois-Deschamps se dirige au pupitre pour les diriger.

« Très beau crescendo ! », leur lance-t-elle en pleine répétition du Tango Traicionero, de Kirt Mosier.

« Regardez-la ! La relève est assurée », chuchote M. Treille en entrevue.

Puis, d’ajouter en écoutant les élèves : « Quand ils jouent, ils y vont pour vrai ! »

Hervé Treille se dit impressionné par le niveau musical atteint par ces élèves qui ne font de la musique que depuis la 1re secondaire. Il le dit sans qu’on puisse le soupçonner de chercher par là à s’en accorder le crédit.

Il est plus du genre à insister fortement pour qu’on mentionne que c’est Robert Jodoin qui a fondé le programme de musique, il y a une cinquantaine d’années (Luc Girard ayant particulièrement développé les cordes).

Mariane Charlebois-Deschamps s’étonne elle aussi du talent et de l’attitude des jeunes. « Ils sont gentils, respectueux, travaillants. »

Leur musique est belle, mais très secondaire pour leurs enseignants, comprend-on, surtout quand M. Treille laisse échapper qu’il déteste les évaluations, manifestement très loin de ses priorités.

Ce qui compte pour lui, « c’est la transmission des valeurs derrière l’orchestre : l’épanouissement personnel, le respect, la démocratie, la solidarité, l’engagement et l’autonomie ».