À quelques jours de l’entrée en vigueur de la loi C-18, qui vise à forcer les géants du web à indemniser les médias d’information pour le partage de leur contenu, Meta demande une exemption afin de retirer le blocage qu’il exerce sur Facebook et Instagram.

Le mot « arrogance » est tout de suite apparu en grosses lettres sous mes yeux.

Non, mais, il faut avoir du front tout le tour de la tête ! Meta bloque les nouvelles depuis quatre mois dans le but de contourner une loi qui l’obligerait à verser de l’argent pour aider les médias canadiens en difficulté et, à la surprise générale, annonce du haut de son trône impérial qu’elle est prête à revenir sur sa décision à condition d’obtenir une exemption en ce qui a trait au « journalisme local ».

D’abord, il faudrait expliquer à Meta que la crise que connaissent les médias canadiens touche tout le monde, sans exception. Il serait mal venu d’exclure un groupe de la négociation.

Cette proposition a été faite mercredi par Rachel Curran, la cheffe des politiques publiques de Meta au Canada, alors qu’elle témoignait devant le comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique de la Chambre des communes.

C’est une question du député bloquiste René Villemure qui nous a permis de prendre conscience du culot du géant américain. « Si nous étions exclus de la Loi sur les nouvelles en ligne, de sorte que les exigences de cette législation ne s’appliquent pas à nous, s’il y avait une exclusion pour le journalisme local, nous pourrions le ramener sur nos plateformes », a dit Mme Curran.

Wow ! Merci de nous offrir un tel privilège !

Attendez, ce n’est pas tout ! Rachel Curran a précisé que ce contenu actuellement bloqué (les nouvelles) n’a pas de « valeur commerciale » aux yeux de Meta !

Cette énormité s’ajoute à une autre de Rachel Curran qui a déclaré en juin dernier que les médias d’actualité obtiennent une grande valeur en visibilité marketing sur les plateformes de Meta et que cela était évalué à 230 millions de dollars.

Un peu plus et Meta demande aux médias de payer afin de permettre aux utilisateurs de partager le contenu qu’ils produisent sur Facebook et Instagram.

Si le contenu créé par les centaines de journalistes professionnels au pays n’a pas de valeur pour Mme Curran, pourquoi ouvre-t-elle alors la porte au retour du journalisme local sur ses plateformes ?

Cette demande saugrenue de Meta survient deux jours après la parution d’une enquête de NETendances pour le compte de l’Académie de la transformation numérique sur nos habitudes de consommation de l’information et les effets du blocage de nouvelles par Meta⁠1.

On y découvre que la proportion des adultes québécois qui font confiance aux nouvelles et aux actualités diffusées sur les réseaux sociaux est passée de 38 % en 2022 à 31 % en 2023. En revanche, la proportion de la population québécoise qui fait confiance aux médias d’information traditionnels est demeurée stable à 73 %.

Toujours dans cette étude, on constate en 2023 une baisse de 4 points de pourcentage (de 42 % à 38 %) chez les adultes qui utilisent les réseaux sociaux comme source d’information et un gain de 4 points de pourcentage (de 36 % à 40 %) est observé du côté des sites web offrant des contenus d’information.

On peut supposer que cette baisse observée de l’utilisation des réseaux sociaux comme principale source pour s’informer sur les nouvelles et les actualités est liée au blocage des nouvelles par Meta depuis le 1er août 2023.

Extrait du rapport de NETendances

Dans une chronique⁠2, je vous disais que la meilleure façon de riposter à l’affront de Meta était d’aller puiser l’information directement à la source. Il semble que certains ont pris ce chemin.

Par ailleurs, ce sondage, réalisé du 5 au 30 septembre 2023, indique qu’un adulte québécois sur cinq détenant un compte Facebook a l’intention (très ou assez probable) de fermer celui-ci si le blocage des nouvelles en ligne par Meta devait se poursuivre.

Pascale St-Onge, ministre du Patrimoine canadien, jongle maintenant avec l’idée de commander une étude approfondie à l’échelle nationale pour avoir un portrait plus précis. Bonne idée !

Cette situation donne un avantage à la ministre dans sa négociation avec les géants américains. Il ne faut surtout pas qu’elle abandonne un soupçon de la fermeté qu’elle affiche depuis son arrivée en poste l’automne dernier.

J’avoue que j’ai bien aimé la façon dont elle s’en est tirée avec Google. Le géant n’avait pas envie de négocier à la pièce avec les médias canadiens ! Une entente a été conclue afin que Google verse 100 millions par année à un collectif qui se chargera de redistribuer l’argent aux médias.

C’est un pas dans la bonne direction, mais c’est nettement insuffisant. Il faut augmenter cette somme de manière substantielle. En s’appropriant environ 80 % des revenus publicitaires (avec Google), il me semble que Meta pourrait mieux contribuer.

Depuis des mois, j’entends dire que Meta ne reviendra jamais sur sa décision. Ces indices nous permettent de croire que ce n’est peut-être pas tout à fait le cas.

1. Consultez le rapport de NETendances Actualités en ligne, réseaux sociaux et balados (2023) 2. Lisez la chronique « Évènements de presse sur Facebook : veut-on mener le combat ou pas ? » Vous ne voyez plus nos contenus sur vos médias sociaux ?
Voici comment vous assurer de ne rien manquer.