Un homme qui poursuivait La Presse sans raison valable a été déclaré « quérulent » vendredi à Drummondville.

Si l’on définit la quérulence comme la « manie des querelles, des procès », la liste des quérulents pourrait être longue.

Mais la marche est haute pour être qualifié de quérulent ou « vexatoire ». Car une fois identifiée comme telle, une personne ne peut avoir recours à la justice que sur permission. Il faut avoir abusé solidement pour faire partie de ce club sélect.

Son nom vous dit peut-être quelque chose, car il a été une sorte de vedette d’une frange du mouvement complotiste pendant la pandémie. Il s’appelle Mario Roy. Il est un de ceux qui ont bloqué le pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine pour protester contre les mesures sanitaires. Déjà incarcéré 121 jours, il risque une peine de prison.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

L’ancien leader des « Farfadaas », Mario Roy, en juin dernier

Mais cela n’est qu’une des péripéties judiciaires de l’ancien leader des « Farfadaas » dont le collègue Tristan Péloquin a raconté les aventures.

M. Roy n’a pas apprécié. Il a poursuivi le journaliste et La Presse pour 300 000 $. Sa cause a été rejetée pour cause de prescription. Il a en plus perdu le droit de poursuivre La Presse sans la permission de la juge en chef.

Il faut dire qu’il y a tout juste un an, la Cour supérieure rejetait une autre poursuite de Roy contre un autre collègue, Philippe Teisceira-Lessard. Le journaliste n’a commis aucune faute, avait conclu la cour. Mais la juge Sophie Picard a refusé de déclarer cette première poursuite « abusive ». Roy s’estimait sincèrement lésé, il avait le droit de poursuivre. Subodorant peut-être que ce ne serait pas le dernier mot judiciaire de Roy, elle avertissait que s’il persistait à poursuivre sans raison, ça pourrait devenir officiellement de l’abus…

C’est ce qu’a conclu une deuxième juge vendredi. Il est abusif, mais jusqu’à maintenant, seulement envers La Presse. Pour toute autre procédure, il n’a pas besoin de permission.

Il est donc un quérulent… partiel.

D’une poignée il y a quelques années, leur nombre augmente chaque année. Aux dernières nouvelles, on en comptait officiellement 336 au Québec, tous tribunaux confondus1. Ils – ce sont presque toujours des hommes – sont soumis à diverses conditions, mais en général, ils ont carrément besoin d’une permission pour le moindre geste judiciaire.

On devine que les super-revendicateurs qui déposent une poursuite pour un oui ou pour un non (surtout pour un non) sont un vrai problème. Les cinq journées de cour inutiles consacrées à rejeter une poursuite sans mérite contre le journaliste Teisceira-Lessard, et à se demander si c’était de l’abus, sont du temps de cour volé à des gens qui sont en ligne devant le palais de justice.

Mais d’une certaine manière, les quérulents finissent par régler par eux-mêmes les ennuis qu’ils causent ; on les repère assez vite et on finit par les cadrer, même si c’est au terme de précieuses heures perdues.

Mais que dire des causes mal fondées, inscrites pour nuire ou gagner du temps, épuiser financièrement un adversaire… « écœurer » l’autre, en somme ?

Rien de vraiment cinglé, aucun abus officiel du système, mais juste ce qu’il faut d’inutilité pour qu’on veuille crier en pleine cour : êtes-vous sérieux ? Êtes-vous vraiment en train de monopoliser le temps de cour pour ça, quand des gens attendent de se faire dédommager pour un accident, attendent qu’on détermine une garde d’enfant, se font congédier illégalement ?

Si les hôpitaux fonctionnaient comme les palais de justice, il y a des chirurgiens qui mettraient une semaine à faire trois points de suture.

Je ne parle pas ici de la lenteur dans l’exécution des tâches. Je parle de ces causes sans véritable mérite, ou qui pourraient tellement se régler autrement, et qui occupent des juges pendant de précieuses heures, journées, semaines.

Je parle du triage des sujets.

Il y a en ce moment en Cour supérieure une demande d’injonction de voisins qui se plaignent que l’ancien presbytère Saint-Viateur d’Outremont soit devenu un CPE. Plus précisément : il y a des enfants qui jouent dans la cour et ça les dérange énormément.

Êtes-vous sérieux ?

Non, non, je ne vous traite pas de quérulents. Je vous demande seulement : vous voulez vraiment aller devant un juge pour le droit fondamental de ne pas entendre un enfant de 3 ans jouer dehors ?

L’autre jour, mieux encore, Vidéotron était en Cour supérieure pour réclamer 45 000 $ de frais de téléphonie à Julie Snyder, pour des frais d’itinérance attribués au cellulaire d’un des enfants du couple. Julie Snyder réclamait des dommages pour abus de procédure à son endroit. Quand la juge, à juste titre impatientée, a demandé à Pierre Karl Péladeau combien cette affaire avait coûté en frais d’avocats, l’affaire s’est réglée, j’allais dire illico2.

Non mais, êtes-vous sérieux ? On va en cour pour ça quand il y a tant de vraies injustices à redresser ?

Au Royaume-Uni, celui qui perd une poursuite rembourse les frais de l’autre partie. Ici, on fait comme si la cour ne coûtait rien, comme si le temps était gratuit.

L’abus ordinaire n’est jamais sanctionné.

1. Consultez les données de la professeure Sylvette Guillemard et du psychologue Benjamin Lévy, citées dans l’article du Soleil « Les quérulents, malades de justice » 2. Lisez l’article « PKP admet avoir fait suivre Julie Snyder »