(Ottawa) La Cour suprême du Canada a invalidé les peines minimales obligatoires de prison pour les crimes de leurre d’enfants.

Dans une décision à six voix contre une rendue publique vendredi, le plus haut tribunal du pays conclut que de telles peines minimales obligatoires violent le droit garanti par la Charte canadienne qui protège « contre tous traitements ou peines cruels et inusités ».

« Les périodes obligatoires d’incarcération s’appliquent à une gamme de comportements si exceptionnellement vaste que des peines exagérément disproportionnées sont infligées dans des scénarios raisonnablement prévisibles », peut-on lire dans le jugement.

Les juges se sont penchés sur ces peines minimales obligatoires en référence à deux affaires judiciaires spécifiques. Ils soulignent d’entrée de jeu que leur décision intervient à un moment où « les moyens modernes de communication, notamment l’internet, permettent à ceux qui les utilisent d’avoir un accès sans précédent et non supervisé à des enfants ».

« Les enfants, qui passent désormais beaucoup de temps en ligne, sont de plus en plus susceptibles d’être victimes d’exploitation et d’abus en ligne », indique la décision majoritaire, rédigée par la juge Sheilah Martin.

« Les dangers liés à la sexualisation des enfants sont de mieux en mieux documentés, et l’on comprend davantage aujourd’hui les dommages que cause la victimisation de ceux‑ci. »

Dans ce contexte, le fait que l’infraction de leurre soit déclenchée par « n’importe quelle plateforme de télécommunication » montre son « ampleur considérable », mais aussi « la question du support et de son effet sur le message », affirme la décision.

« Par exemple, certaines applications en ligne exigent que les utilisateurs indiquent qu’ils sont majeurs et assez vieux pour être présents sur la plateforme. Toutefois, les utilisateurs mineurs peuvent contourner cette exigence en cliquant sur un bouton », a écrit la juge Martin.

Les utilisateurs d’autres sites « non conçus à des fins prédatrices » pourraient engager à tort une conversation avec un mineur qui constitue un leurre « sans faire de leur mieux pour vérifier l’âge des autres utilisateurs avec lesquels ils interagissent en ligne ».

Cela ne veut pas dire que les personnes qui interagissent sexuellement avec des enfants en ligne ne sont pas « moralement condamnables », a estimé le tribunal.

« Cependant, dans certains cas, la conduite incriminée peut ne pas entraîner à juste titre une peine de prison. »

Le député conservateur Rob Moore, porte-parole du parti en matière de justice, a déclaré dans un communiqué, vendredi, qu’il trouve la décision de la Cour suprême « choquante et décevante ».

Le ministre libéral de la Justice, Arif Virani, examine la décision « de près », a affirmé la porte-parole Chantalle Aubertin, dans une déclaration écrite.

Elle a qualifié les infractions sexuelles contre les enfants, y compris le leurre, de « crimes odieux », ajoutant que « ceux qui les commettent devraient être punis en conséquence ».

Les appels examinés par la Cour suprême

L’un des deux appels examinés par la Cour suprême concernait un homme qui avait plaidé coupable de leurre d’enfants et de contacts sexuels après avoir eu des relations sexuelles avec une fille à quatre reprises en deux ans, à partir du moment où elle avait 13 ans et lui 22.

Lors de la détermination de la peine, l’inculpé a contesté la constitutionnalité de la peine minimale obligatoire d’un an prévue pour leurre d’enfants, qualifiée de « cruelle et inusitée ». La juge au procès a plutôt imposé cinq mois d’emprisonnement pour ce chef d’accusation.

Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont ensuite confirmé à la fois la peine et la conclusion selon laquelle la peine minimale obligatoire était inconstitutionnelle. La Couronne s’est alors tournée vers la Cour suprême pour contester ces décisions.

Or, même si la Cour suprême conclut que le caractère obligatoire de la peine minimale est inconstitutionnel, elle ordonne une peine d’un an de prison dans ce cas précis, en appliquant « le principe de proportionnalité » dans la détermination d’une peine.

L’autre appel concernait un autre accusé qui contestait la peine obligatoire de six mois requise dans les cas où l’infraction est punissable par déclaration sommaire de culpabilité, une approche que la Couronne peut décider de suivre dans les cas moins graves.

L’accusé dans cette affaire avait plaidé coupable après avoir complimenté les fesses et les seins de sa nièce et de son filleul de 16 ans lors d’un souper de famille chez lui, alors qu’ils étaient seuls, puis d’avoir envoyé des textos à caractère sexuel au cours des 10 jours qui ont suivi.

Après un appel, la Cour supérieure du Québec a modifié la peine à quatre mois de prison.

La Couronne avait demandé à la Cour suprême de déclarer la peine obligatoire prononcée dans cette affaire comme étant constitutionnelle. Finalement, cet appel a été rejeté.

« Simplement dit, les éléments constitutifs de l’infraction de leurre d’enfants sont si vastes et sans contrainte qu’ils englobent des comportements qui ne se rattachent que vaguement à l’essence même de l’infraction », peut-on lire dans la décision.

« C’est ce qui en bout de ligne rend les dispositions prévoyant les peines minimales obligatoires suspectes sur le plan constitutionnel. »

Les juges ont déclaré que le Parlement aurait pu concevoir la peine obligatoire de manière à permettre aux juges d’appliquer une exemption à de telles peines dans les cas où ils estiment qu’elles violeraient la disposition de la Charte protégeant contre les châtiments cruels.