Le patron de Québecor, Pierre Karl Péladeau, a admis en cour avoir chargé la firme Garda de prendre en filature l’animatrice Julie Snyder, à l’été 2016. Il avait nié publiquement cette information à l’époque.

M. Péladeau a fait cette admission inattendue dans le cadre d’un procès intenté par Vidéotron contre Productions J, l’entreprise de production télé de Mme Snyder. L’affaire s’est réglée à l’amiable vendredi. Les termes de l’entente sont secrets.

Vidéotron est la plus importante filiale de Québecor, dont M. Péladeau est l’actionnaire de contrôle.

L’objet du litige était une facture de 45 000 $ que Vidéotron réclamait depuis 2016 à Mme Snyder pour des frais d’itinérance sur un téléphone qu’elle avait fourni au fils du couple Péladeau-Snyder.

Mme Snyder, alors en procédure de divorce avec M. Péladeau, considérait cette poursuite de Vidéotron comme une forme d’abus judiciaire et réclamait 300 000 $ en dommages punitifs à M. Péladeau et ses entreprises.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

La présidente des Productions J, Julie Snyder, jeudi au palais de justice de Montréal

Mme Snyder a soutenu lors de son témoignage que même si M. Péladeau était chef du Parti québécois et de l’opposition officielle au moment où ces frais de téléphonie ont été engagés, il aurait très bien pu les faire annuler.

« Les liens entre Vidéotron, Pierre Karl et Québecor ont perduré pendant sa période politique. De son propre aveu, de ce que je comprenais, c’est que la fiducie [sans droit de regard] » dans laquelle M. Péladeau avait placé ses entreprises pendant qu’il dirigeait le PQ, « c’était du pipeau » et une « patente à gosses », a témoigné Mme Snyder.

« On a même pris le jet privé de Québecor pendant qu’il était député. Pire que ça, il y avait le vice-président aux affaires juridiques de Québecor à bord » lors d’un voyage vers les Îles-de-la-Madeleine, a-t-elle ajouté. M. Péladeau a affirmé dans son témoignage ne pas se souvenir de cet évènement, mais qu’il était probable qu’il se soit produit.

Une facture au montant « pharaonesque »

La facture de téléphone d’un « montant faramineux, pharaonesque », selon M. Péladeau, est en grande partie due à des frais d’itinérance encourus alors que M. Péladeau était en vacances avec son fils en Europe, en 2016.

La ligne, initialement ouverte chez Telus par Mme Snyder, a été transférée chez Vidéotron par un de ses employés. M. Péladeau l’aurait assurée que lui et sa famille bénéficiaient d’un « tarif VIP » leur donnant accès à tous les services de l’entreprise gratuitement, et qu’il assumerait d’éventuels frais.

Or, quelques mois plus tard, Vidéotron réclamait à Productions J la somme impayée de 45 000 $.

M. Péladeau dit avoir été avisé de la situation « par courtoisie » par la direction de Vidéotron avant le dépôt de la poursuite pour récupérer la somme, mais affirme qu’il ne pouvait rien faire.

Premièrement, [j’étais] en situation de conflit d’intérêts indéniable. Ensuite, je ne vois pas pourquoi j’interviendrais pour tel ou tel compte délinquant qui n’a pas été payé.

Pierre Karl Péladeau, président de Québecor, se justifiant devant la juge Karen Rogers

Mme Snyder, dont l’entreprise faisait alors face à la faillite en raison, dit-elle, de la fin abrupte de ses contrats au sein des médias de Québecor, soutient ne pas avoir vu passer la facture. « Je me suis entendue avec 200 créanciers, que j’ai tous fini de rembourser au printemps 2021. On s’est entendus avec chacun d’entre eux, sauf un [Vidéotron], ceux qui nous poursuivent aujourd’hui », a-t-elle déploré, lors d’un témoignage très émotif.

Série d’objections de M. Péladeau

Mme Snyder soutient qu’elle était aussi, au moment où les factures ont été acheminées, préoccupée par une filature dont elle a découvert qu’elle était la cible, un épisode qui l’a forcée à obtenir une injonction en Cour supérieure pour connaître l’identité du commanditaire, connu jusqu’ici sous le pseudonyme générique « John Doe ».

M. Péladeau, à l’époque, avait nié dans une déclaration transmise à La Presse être le commanditaire de la filature : « M. Péladeau est très surpris de cette supposée filature. Il l’apprend », avait alors dit l’homme d’affaires, par la voix de son porte-parole André Bouthillier.

L’avocat de Mme Snyder, MHugo St-Laurent, cherchant à attaquer la crédibilité de M. Péladeau, lui a alors demandé pourquoi il avait fait une telle déclaration « mensongère » publiquement, notamment à La Presse, alors qu’il avait été forcé par la Cour, en 2016, d’admettre privément à Mme Snyder « que c’était lui qui la faisait suivre ».

M. Péladeau a fait valoir qu’il n’avait pas reconnu une telle chose et que l’identité du mandataire, jamais révélée publiquement, faisait l’objet d’un interdit de publication.

« Il n’y a pas d’ordonnance de confidentialité, rien, lui a souligné la juge Karen Rogers. Vous devez répondre. »

La personne qui a mandaté Garda pour faire suivre Mme Snyder, c’est moi.

Pierre Karl Péladeau, président de Québecor

« Je ne pensais pas que c’était une bonne idée qu’on puisse savoir que c’était moi, le mandant », a ajouté l’homme d’affaires. Il a justifié cette surveillance en disant qu’il s’inquiétait du passé d’un homme que Mme Snyder fréquentait à l’époque.

« Ils se sont fait justice à eux-mêmes »

La poursuite, initialement déposée par Vidéotron en 2017, impliquait également Musique Sélect.

En 2020, cette filiale de Québecor devait 93 000 $ à Productions J pour des droits d’auteur et des redevances, soutiennent Mme Snyder et ses avocats. Ils alléguaient que Musique Sélect avait pris cette somme et l’avait donnée à Vidéotron pour acquitter la créance de Productions J. « Ils se sont fait justice à eux-mêmes », a résumé l’avocat de Mme Snyder dans les couloirs du palais de justice.

À la fin des témoignages, la juge Rogers a incité les deux parties à essayer de régler à l’amiable. Plus tôt dans la journée, elle avait ordonné à Vidéotron de divulguer le montant total de ses frais d’avocats déboursés dans le cadre de la poursuite contre Productions J. L’information n’aura finalement pas à être révélée en raison de l’entente survenue vendredi.