La crise du logement fait mal, et ce n’est que le début. À quoi ressemblerait une sortie de crise ? J’ai demandé à des experts de proposer des idées audacieuses. Voici la deuxième d’une série de rencontres.

Pour les municipalités, c’est presque devenu un réflexe : se dire victime de la crise du logement et quémander plus d’argent à Québec. Mais elles gagneraient à faire aussi le ménage dans leur cour, à en croire Isabelle Melançon, PDG de l’Institut du développement urbain (IDU), qui représente l’industrie immobilière.

Les villes se tirent souvent dans le pied avec leur réglementation lourde et confuse. « Je veux être constructive, alors je vais donner un bon exemple. Le plan du maire de Québec [Bruno Marchand] apporte plusieurs solutions intéressantes », tient-elle à nuancer. Même si elle critique la proposition de taxer les terrains vacants, elle salue l’allègement réglementaire. Les promoteurs auront notamment plus de souplesse pour ajouter des logements, bâtir en hauteur ou prévoir le stationnement.

Selon Mme Melançon, les autres mairesses et maires gagneraient à imiter Québec et à aller encore plus loin.

Je lui demande de parler de Montréal. « C’est pénible », avoue-t-elle. Il y a 19 arrondissements qui ont chacun leurs propres contraintes. Pour un promoteur qui a deux projets, c’est comme s’il opérait dans deux pays. Les normes pourront varier pour la densification, le revêtement, la façade ou le patrimoine. Et les fonctionnaires ne travaillent pas tous à la même vitesse ou avec la même méthode.

Parfois, la logique est difficile à comprendre. « Dans le centre-ville, un promoteur voulait construire en hauteur. Ses voisins sont la Place Ville Marie, de 47 étages, et un autre édifice de 36 étages. Mais lui, on le plafonne à 22 étages. Pourquoi ? Où est la cohérence ? », demande Mme Melançon.

Et à cela s’ajoutent les délais. Elle donne l’exemple d’un projet qui n’exigeait pas de changement de zonage. Le fonctionnaire montréalais lui a dit qu’il faudrait attendre plus de deux ans pour recevoir son permis. « Pourtant, les mises en chantier ont diminué de 50 %. Le nombre de dossiers devrait être gérable », rappelle-t-elle.

En Ontario, le premier ministre Doug Ford a trouvé une solution draconienne : au-delà d’un certain délai, les villes doivent indemniser le promoteur. Depuis, comme par magie, elles accélèrent les dossiers.

Tout le monde y gagne. Car plus un projet traîne, plus les coûts augmentent et plus son financement est menacé. Ce manque de constructions perpétue la pénurie, et gonfle les prix pour les acheteurs et les locataires.

L’industrie déplore aussi la multiplication des redevances exigées par les villes. Il y en a notamment pour l’eau, les parcs ou des projets de transport collectif. « À Brossard, autour du REM, ça se traduit au total par une taxe de 33 000 $ par unité. Et à Saint-Laurent, ça monte à 38 000 $. »

Soit le promoteur abandonne, soit il refile la facture à l’acheteur.

Je soumets à Mme Melançon que ces projets prennent de la valeur grâce aux investissements publics payés par tout le monde, et qu’il est donc normal que le privé y contribue. Le problème, répond-elle, c’est l’accumulation des freins à la construction. « Les taux hypothécaires augmentent déjà, les prêteurs deviennent plus frileux, la main-d’œuvre manque et le prix des matériaux grimpe. Ça fait en sorte que des projets sont menacés de ne pas voir le jour. Et souvent, ce sont les plus petits joueurs qui écopent, ce qui réduit la concurrence. »

Si les municipalités imposent ces frais, c’est parce qu’elles dépendent malgré elles de la taxe foncière et qu’elles peinent à payer pour leurs responsabilités qui ne cessent d’augmenter.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Entre autres suggestions, Isabelle Melançon souhaite que Québec imite Ottawa et offre un congé de taxe de vente pour les nouvelles constructions locatives.

Sans entrer dans le débat complexe sur la fiscalité municipale, Mme Melançon avance deux suggestions concrètes pour que Québec aide rapidement.

D’abord, elle souhaite des moyens pour contrer le phénomène du « pas dans ma cour ». Un petit groupe de citoyens mobilisés peut bloquer des projets. On a même vu de soi-disant progressistes gagner un référendum contre un projet de logement social à Montréal, sous prétexte qu’il avait trois étages de trop.

Ensuite, Mme Melançon voudrait que Québec imite le fédéral en offrant un congé de taxe de vente pour les nouvelles constructions locatives. « On l’oublie, mais il y avait déjà une telle exemption ici. Le hic, c’est qu’elle n’a pas été mise à jour. L’unité doit coûter moins de 225 000 $. Dans le marché actuel, ça ne tient plus. »

Elle s’inquiète particulièrement pour Gatineau. « L’Ontario a vite réagi en imitant le congé de taxe du fédéral. Mettez-vous à la place d’un promoteur. Il va aller à Ottawa ou à Gatineau, selon vous ? »

Étant donné l’urgence de la crise, l’IDU a fait une sortie commune en juin avec Centraide, ainsi que des représentants des propriétaires, des constructeurs et du secteur social et communautaire. Ils ont demandé une rencontre avec le premier ministre. « Le logement, c’est lié à une multitude de ministères comme les Finances, bien sûr, mais aussi la Santé, le Développement économique et l’Emploi, rappelle-t-elle. Alors on voulait parler au chef du gouvernement pour avoir une vision d’ensemble. »

Et que s’est-il passé ?

« Rien… On n’a même pas eu d’accusé de réception. »

Lisez la chronique « Sortie de crise : les dégâts de la spéculation »