La crise du logement fait mal, et ce n’est qu’un début. À quoi ressemblerait une sortie de crise ? J’ai demandé à des experts de proposer des idées audacieuses. Voici la troisième d’une série de rencontres.

Avant même de parler de solution, Adam Mongrain, directeur – habitation à Vivre en Ville, fait une mise en garde. Le secteur de l’habitation est comme un système. Les vases sont communicants. On ne peut pas analyser une mesure sans tenir compte de son effet ailleurs.

« Et surtout, ce système est déréglé, ajoute-t-il. On prétend que le marché est équilibré quand le taux d’inoccupation [des appartements] est à 3 %. Mais je vous mets au défi de trouver d’où vient ce taux. Il a été choisi au pif. À Vivre en Ville, on estime qu’on devrait viser plutôt 7 %. »

On comprend qu’il n’est pas impressionné par le projet de loi 31 de la ministre de l’Habitation, France-Élaine Duranceau. « Je vais vous donner un exemple. La cession de bail [que la ministre permettrait de refuser] vient des années 1970. On l’oublie, mais à l’époque, c’était une demande des propriétaires ! Le taux d’inoccupation oscillait entre 5 % et 8 %. Ils voulaient s’assurer que leurs locataires trouvent quelqu’un pour prendre le bail à leur départ. »

Aujourd’hui, poursuit M. Mongrain, la logique est inversée. Ce mécanisme est utilisé défensivement par les locataires pour éviter une hausse de loyer, car les propriétaires profitent d’un déménagement pour augmenter leurs prix.

Face à l’ampleur de la crise, Vivre en Ville a produit un document de 64 pages avec un plan d’ensemble où tout est lié. À ma demande, M. Mongrain en a choisi quelques mesures.

Consultez le document « Portes ouvertes : pour une sortie de crise durable en habitation »

Une priorité : accroître l’offre en misant sur le secteur à but non lucratif. En utilisant tous les outils, y compris une arme puissante, l’urbanisme.

« La première étape serait d’arrêter de leur mettre des bâtons dans les roues, lance-t-il. Je connais un projet qui a été bloqué parce que l’escalier était au mauvais endroit. En pleine crise, on se permet de faire ça ! »

Chaque intervenant impose ses contraintes. Les fonctionnaires se protègent en vérifiant si les cases sont cochées. M. Mongrain voudrait que le suivi ne se fasse pas en fonction du respect tatillon des normes, mais plutôt de l’atteinte du seul résultat qui compte : ajouter des logements qui exercent une pression à la baisse sur les prix.

Le concept d’« abordabilité » lui semble inadéquat. « C’est une notion relative. Elle réfère au rapport entre un revenu et un prix, et non au prix lui-même. » Elle est aussi difficile à quantifier. Elle peut devenir un critère rigide qui retarde la réalisation.

M. Mongrain préférerait accélérer les projets à but non lucratif en donnant plus de latitude aux promoteurs pour trouver la meilleure façon d’atteindre eux-mêmes les objectifs. L’abordabilité suivra logiquement.

En contrepartie, le secteur non lucratif serait aidé. M. Mongrain recommande deux modifications au zonage.

La première serait d’implanter un zonage différencié qui avantagerait le non-lucratif. Par exemple, sur un lot, on pourrait construire davantage en hauteur. Pour un même terrain, le nombre d’unités augmenterait. Le financement serait ainsi facilité.

La deuxième serait d’adopter un zonage dynamique. Celui-là serait accessible autant au privé qu’au non-lucratif. « Tant que le taux d’inoccupation serait sous le niveau d’équilibre, on assouplirait des critères », explique-t-il.

Les édifices pourraient être plus gros ou plus élevés. « Cela dit, il ne faut pas construire n’importe où. Le règlement doit favoriser les chantiers proches du transport en commun ou des emplois », précise-t-il.

Ce serait une façon de protéger les municipalités. À l’heure actuelle, une poignée de résidants peuvent se mobiliser pour déclencher un référendum et bloquer un projet. Les maires sont pris avec ces « patates chaudes ». Un zonage dynamique leur enlèverait de la pression, tout en donnant plus de prévisibilité aux promoteurs.

Enfin, il recommande de revoir les normes de construction. « Au dernier congrès de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec, j’ai rencontré un maçon découragé. Il a inventé une machine pour nettoyer les briques en bon état et ensuite les reposer. Ça va plus vite et ça coûte moins cher. Mais à cause des règles actuelles, on l’empêche de se servir de cette innovation. Il y a malheureusement plein d’exemples du genre. »

Enfin, Adam Mongrain conclut avec une proposition qui va déranger : éliminer l’exemption du gain en capital sur la résidence principale.

Je lui suggère de plafonner cette exemption pour ne pas pénaliser les propriétaires de la classe moyenne dont la retraite dépend de la vente de leur maison. Sans être convaincu, il reconnaît que ce serait plus facile à vendre politiquement.

Il revient à la charge. « Avec l’immobilier, on peut faire plus d’argent en dormant dans son condo qu’en travaillant le jour. Annuellement, cet abri fiscal coûte 15 milliards à nos gouvernements. Cet argent pourrait être réinvesti pour construire plus. Les premiers acheteurs sont aussi perdants, car au moment de faire une offre, ils sont en compétition avec d’autres gens qui misent sur le gain empoché avec la vente d’une propriété. »

Il conclut : « Il faut penser maintenant à la prochaine génération, parce que le marché ne va pas en s’améliorant. »