La crise du logement fait mal, et ce n’est qu’un début. À quoi ressemblerait une sortie de crise ? J’ai demandé à des experts de proposer des idées audacieuses. Voici la première d’une série de rencontres.

Stéphan Corriveau a une idée audacieuse. Radicale, il le concède. Elle exige de repenser notre rapport à la propriété. Au lieu d’être un outil d’épargne forcée, un abri fiscal ou un mode de spéculation, il propose que le logement redevienne… une façon de se loger, tout simplement.

Le directeur général du Centre de transformation du logement communautaire ne fait pas que philosopher. Il a un plan, concret et chiffré, basé sur des décennies d’expertise.

M. Corriveau voudrait massivement augmenter la proportion de logements à but non lucratif. L’État hausserait son financement et allégerait ses contraintes. La classe moyenne pourrait désormais y habiter.

Mais en a-t-on les moyens ? M. Corriveau répond par sa propre question.

« Savez-vous quelle était la plus coûteuse mesure du fédéral durant la COVID ? Demander à la Société canadienne d’hypothèques et de logement [SCHL] d’intervenir à hauteur de 150 milliards sur le marché résidentiel. Elle a dit aux prêteurs : je vous achète les hypothèques risquées dans votre portefeuille. Les gens ont continué à rembourser leur banque, qui acheminait l’argent à la SCHL. Il y a eu un énorme transfert de risque aux frais de l’État », raconte-t-il.

Il poursuit.

« La SCHL est aujourd’hui engagée à hauteur de 1 trillion – 1000 milliards de dollars – dans le marché. Elle émet des obligations et les dépose à la banque à une condition : qu’elle prête ensuite ces sommes pour stimuler la construction. Et la SCHL offre un programme d’assurance. Si le prêt n’est pas remboursé, elle redonne l’argent à la banque. »

Que doit-on en conclure ? « Que l’État intervient déjà dans le marché, répond-il. Énormément, même. Alors quand on dit que le communautaire coûte cher, n’oublions pas que le privé est soutenu lui aussi. »

Cette mise au point étant faite, il développe son idée.

Le coût des loyers est influencé par la spéculation d’une grande partie des promoteurs immobiliers. Et il dépend aussi des appartements existants où le locataire déménage. Puisque les appartements sont rares, des gens accepteront de payer plus que le maximum recommandé par le Tribunal administratif du logement.

Il faut donc plus d’offre. Mais pas n’importe laquelle. Des appartements où le locataire paye le prix coûtant. Ni plus, ni moins.

M. Corriveau ne veut évidemment pas éliminer le privé. Seulement réduire sa place. À l’heure actuelle, à peine 5 % du parc résidentiel au Québec est à but non lucratif. Il viserait un taux de 20 %. Cela resterait modéré. En Allemagne et aux Pays-Bas, la proportion est de 30 %. Et en Autriche, elle dépasse 60 %.

M. Corriveau ne fait pas l’apologie du modèle communautaire sous sa forme actuelle. Au contraire, il le juge brisé.

« C’est une maison de fous ! L’État donne une somme pour construire un nombre prédéfini d’unités. Or, le budget est insuffisant. Le milieu demande de les indexer et le gouvernement prend environ 18 mois pour répondre. Dans l’intervalle, l’inflation gonfle les prix. Alors on se retrouve avec plein de projets dans l’entonnoir. C’est ce qui explique en bonne partie les longs délais et l’impression de perte de contrôle des coûts. »

Et encore pire, les frais d’entretien sont souvent grossièrement sous évalués. Donc on construit moins que prévu, et quand on construit, ça se dégrade vite.

Stéphan Corriveau, directeur général du Centre de transformation du logement communautaire

Il veut s’inspirer du modèle bien connu de Vienne. « Lors d’un récent séjour là-bas, j’ai rencontré le sous-ministre de l’Habitation. Il vivait dans le même appart que dans sa vingtaine. Dans un logement social. »

Selon lui, il faut concevoir le logement communautaire autrement.

Première étape : simplifier et bonifier le financement. Il propose que l’État consente un prêt sans intérêt pour le tiers du coût de construction. Cette somme serait remboursée 25 ans plus tard. Ces enveloppes devraient être allouées par portefeuille, et non par projet, avec un guichet unique. Les groupes à but non lucratif développeraient ainsi leur expertise et amortiraient leurs coûts.

Deuxième étape : élargir l’accès au logement social. La classe moyenne devrait y être admissible. En contrepartie, l’opérateur pourrait faire payer le coût réel du logement. Soit ce qui correspond au coût de construction, d’emprunt et d’entretien, mais sans la marge de profit liée à la spéculation. « Tu payes ce que ça coûte, sans financer le projet d’investissement de quelqu’un d’autre », résume-t-il. Quant aux gens à faible revenu, ils recevraient encore un supplément au loyer.

« Dans l’ensemble, ça libère du revenu discrétionnaire pour que les ménages dépensent ailleurs, ce qui n’est pas mauvais pour l’économie locale. »

Ce qui nous ramène à l’idée simple et radicale de départ : un appartement devrait avant tout être un endroit où on vit, et non un instrument financier.

« Plusieurs municipalités y sont favorables, dit-il. Le fédéral nous dit : “Que fera le Québec ?” Et le Québec répond : “Le fédéral fera quoi ?” Je me demande de quoi on a peur… »

Voilà une proposition qui mérite d’être enfin prise au sérieux.