Catherine Fournier me reçoit dans son bureau assez grand pour contenir tous les chevreuils de Longueuil, vestige de l’époque révolue du boys club qui gérait la Rive-Sud.

Mais les cerfs de Virginie – même s’ils ont coûté 1 million à la Ville depuis qu’ils ont embauché l’avocate Anne-France Goldwater pour sauver leur peau velue – sont un minuscule souci dans le cheptel des problèmes de la mairesse de Longueuil.

Cette chronique aurait pu s’intituler « Panique à Longueuil », mais d’abord, ç’aurait été un peu exagéré, et ensuite, il aurait fallu demander la permission à René-Daniel Dubois, qui a écrit une pièce du même titre.

Il n’empêche que l’heure municipale est grave partout au Québec, et Longueuil ne fait pas exception. La mairesse sonne l’alarme.

Illustrons un bout de la crise par deux données :

  • En 2020, il s’est bâti 1969 logements sur le territoire de Longueuil, cinquième ville du Québec.
  • En 2023, ce sera 252.

Pour simplement maintenir le taux d’inoccupation des logements à 3 % (il est probablement encore plus bas), il faudrait en construire six fois plus.

Ça se passe à peu près de la même manière un peu partout au Québec1.

Ce n’est pas par hasard si, ici et là, les administrations municipales sont en train de préparer les citoyens : les prochains budgets vont faire mal. Car pendant que les coûts augmentent – police, pompiers, cols de toutes les couleurs –, les revenus stagnent.

Les raisons sont multiples (taux d’intérêt trop élevés, main-d’œuvre rare, matériaux plus chers). Mais le fait est que les promoteurs attendent, retardent leurs projets ou les mettent carrément sur pause. En particulier ceux qui veulent construire des logements à louer. Cela, comme on sait, au moment où on a le plus besoin de logements, en particulier abordables. Le marché n’arrive pas à créer assez de toits, et ceux qui existent sont de moins en moins abordables.

La mairesse, élue en 2021, ne m’a toutefois pas invité pour procéder à une lamentation statistique immobilière. Elle qui préside maintenant un comité sur le logement pour l’Union des municipalités croit avoir quelques solutions à proposer.

Pour construire plus. Et pour sortir le plus de logements possible du marché spéculatif.

« Il y a un acteur dont on n’entend pas beaucoup parler, dit-elle : les banques. Les promoteurs me disent qu’ils empruntent à 9 % pour des immeubles locatifs. Et parfois plus encore sur le marché secondaire. Les banques aiment projeter une image publique de conscience sociale, mais je ne vois pas beaucoup ce qu’elles font pour aider. »

Une ville comme Longueuil finance ses emprunts à 4,9 %. Le gouvernement du Québec lui-même emprunte à un taux plus avantageux. Il devrait donc y avoir moyen d’appuyer le développement immobilier ciblé en garantissant des emprunts.

« Vous voulez que les villes deviennent promoteurs immobiliers ?

 — Des créanciers, plutôt, si rien ne bouge. On trouve que ce ne devrait pas être notre rôle. Il y a des institutions à Ottawa (SCHL), à Québec (Société immobilière, Société d’habitation). Il existe certains programmes, mais ils sont tellement restrictifs qu’ils sont sous-utilisés.

Permettre à des promoteurs d’emprunter à un plus faible taux, c’est beaucoup plus structurant que d’éliminer la TPS ou la TVQ. Et ça ne nécessite pas de débourser de l’argent. »

Et la responsabilité des villes, dans tout ça ? Est-il normal que le budget des villes soit lié à un fort nombre de mises en chantier, qui rapporteront de nouveaux impôts fonciers ?

La mairesse fait bien attention de ne pas exiger directement des sommes du gouvernement du Québec, étant données les récentes fins de non-recevoir très officielles. Il y aura des sommes dans la mise à jour économique de novembre.

Elle reconnaît que la « simple » obtention d’un permis de construction est un défi parfois épique dans sa propre municipalité.

« La principale raison est qu’il y a trop de règlements qui se sont accumulés au fil des ans, sans qu’on en enlève. Il y a 600 différents zonages sur le territoire de Longueuil. »

Vous avez bien lu : 600. Car chaque microzone de chaque arrondissement (ex-ville avant la fusion) a ses règles propres, parfois contradictoires, sur la hauteur, les matériaux, le type de commerce, le patrimoine, l’urbanisme, et pas du tout uniformisées.

Même pour les fonctionnaires, c’est parfois une sorte d’expédition dans la jungle. La Ville veut refondre tous ses règlements pour qu’on y voie plus clair.

« Il va falloir faire des compromis sur l’urbanisme, c’est clair », dit-elle. Par exemple : actuellement, Québec autorise les villes à exiger des « redevances » aux promoteurs. Dans un contexte où les chiffres de mises en chantier sont anémiques, ce n’est pas en ajoutant une charge qu’on aidera à construire des logements. Par contre, on pourrait dans certains secteurs permettre de construire plus haut de quelques étages en échange d’une redevance. Ça, c’est du ressort de la ville.

On pousse pour faire arriver les projets des entrepreneurs sociaux, pour faire entrer les projets dans les programmes parfois un peu trop carrés.

« On sent de l’ouverture du gouvernement, même si ç’a pris du temps pour réaliser qu’il y avait une crise du logement », dit celle qui fut brièvement porte-parole de l’opposition officielle en matière de logement, quand elle était députée péquiste.

« Mais il va falloir des mesures audacieuses. »

Faire des chantiers, c’est une chose, mais défendre l’abordabilité, c’en est une autre. « On parle présentement de 500 000 $ la porte » pour construire un nouveau logement social.  

Actuellement, 4,8 % des 256 000 citoyens de Longueuil vivent dans des logements « sociaux ou communautaires ». Si l’on ajoute les subventions au logement, c’est 7,6 % de la population qui reçoit une forme d’aide. On considère qu’il faudrait 20 % du stock immobilier « hors du marché spéculatif ».

« À Vienne, c’est plus de 60 %. Mais bon, ça fait 100 ans qu’ils y travaillent. Notre projet est pour plusieurs décennies. Mais si on veut y parvenir, il faut se donner des objectifs ambitieux. »

Et d’ambition, cette mairesse n’en manque pas.

Quel superbe contraste avec le temps où un fameux concessionnaire automobile dirigeait Longueuil dans ce bureau grand comme une salle d’exposition avec vue sur l’aéroport et vision en option.

1. Lisez « Les mises en chantier en chute libre »