La construction domiciliaire est au plus bas à Montréal, contrairement à Toronto et à Vancouver. Et ceux qui espèrent une reprise rapide des mises en chantier seront déçus, selon un gourou des cycles immobiliers.

Après sept mois, le rythme des mises en chantier en 2023 flirte avec le creux historique de 1998 en dépit de la pénurie de logements. Montréal fait bande à part à ce chapitre, Toronto et Vancouver étant en voie de connaître une année record.

Il s’agit d’une bien mauvaise nouvelle pour les ménages montréalais à la recherche d’un toit compatible avec leur budget au moment où la question du logement est sur toutes les lèvres.

Le rythme annualisé des mises en chantier dans la région métropolitaine de recensement (RMR) de Montréal, de janvier à juillet 2023, est d’environ 12 000 logements. « Il faut remonter jusqu’à 1998 pour avoir un chiffre plus bas, avec 10 700 nouvelles constructions », fait savoir Francis Cortellino, analyste principal du marché de Montréal à la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL).

La ville, alors dirigée par Pierre Bourque, connaissait un taux de chômage deux fois plus élevé qu’aujourd’hui.

La comparaison est imparfaite parce qu’en 1998, la RMR était plus petite qu’aujourd’hui ; par exemple, elle n’incluait pas Saint-Jean-sur-Richelieu.

Si ce chiffre de 12 000 nouveaux logements devait se maintenir d’ici au 31 décembre, la dégringolade serait spectaculaire, de l’ordre de 50 % par rapport aux 24 000 logements construits l’an dernier.

Évidemment, la RMR de Montréal, qui représente environ 50 % de la population de la province, tire le Québec vers le bas.

Après avoir diminué de 15 % en 2022, le nombre de mises en chantier dans la province chutera encore de 40 % cette année. Cela n’a rien de réjouissant pour les ménages à la recherche d’un toit. Desjardins prévoit 35 000 nouveaux logements au Québec cette année. Il y a deux ans, il s’en était construit près de 68 000.

« C’est quand même énorme comme baisse. Le problème actuellement au Québec, c’est la capacité financière des promoteurs à lancer des projets », commente Hélène Bégin, économiste chez Desjardins.

Surprise à Toronto et à Vancouver

La surprise, c’est que, pendant que Montréal est près d’un creux historique, Toronto et Vancouver menacent de faire tomber des records vieux de 30 ans.

Le rythme annualisé des mises en chantier dans la RMR de Toronto, de janvier à juillet 2023, était d’environ 53 500, et à Vancouver de 35 100, selon la SCHL. À ce rythme, l’année 2023 pourrait connaître la meilleure performance pour ces deux RMR depuis au moins 1990.

Or, les deux villes qui sont aux prises, elles aussi, avec une pénurie de logements ne devraient pas se réjouir trop vite, s’il faut en croire les économistes.

Vancouver et Toronto sont avantagés par leur structure d’habitation davantage orientée vers le condo, ce qui donne une certaine capacité financière aux promoteurs pour lancer leur projet grâce aux préventes. À Montréal, c’est surtout du locatif qui se construit.

Hélène Bégin, économiste chez Desjardins

Au premier semestre, environ 50 % des mises en chantier sont des condos à Vancouver et à Toronto, tandis que la copropriété représente 12 % des nouveaux logements dans la RMR de Montréal, selon la SCHL.

« À Toronto et à Vancouver, ce sont de grandes tours de condos que l’on construit, souligne Francis Cortellino. Ces projets s’étendent sur plusieurs années. Ils peuvent représenter des conditions du passé. C’est long avant d’avoir tous les permis nécessaires. Il faut aussi avoir le niveau de préventes requis [souvent équivalent à la moitié des logements] pour lancer le projet. Ces préventes ont pu être réalisées il y a deux ou trois ans [quand les conditions de financement étaient meilleures]. »

La réalité risque de les rattraper l’an prochain, croient-ils.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Gilles Ouellet, spécialiste des cycles immobiliers

Pas de reprise à l’horizon, soutient un gourou des cycles immobiliers

Baisse des taux d’intérêt ou pas, la reprise des mises en chantier au Québec n’est pas pour demain, soutient Gilles Ouellet, spécialiste du marketing immobilier et adepte des cycles.

Selon cette théorie, raconte-t-il, un cycle dure 20 ans en moyenne, séparé en deux phases à peu près égales de croissance et de décroissance. Les conditions peuvent changer d’un cycle à l’autre, dit-il, mais leur réalité reste implacable.

L’année 2021 avec ses 68 000 mises en chantier a marqué le dernier sommet au Québec. Le précédent pic a été observé 17 ans auparavant, en 2004, avec 58 500 mises en chantier.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

« Je ne m’attends pas à une remontée significative des mises en chantier avant la fin de la décennie, soutient l’octogénaire, en entrevue avec La Presse.

« J’ai des mauvaises nouvelles pour les promoteurs qui croient que dès que les taux hypothécaires redescendront, les mises en chantier remonteront rapidement au niveau de celles de 2021, poursuit le président de la société de marketing immobilier Go Solutions. Ça ne sera pas le cas, il y a trop d’obstacles à surmonter. »

Il énumère le coût des terrains, la pénurie de main-d’œuvre, les coûts élevés des matériaux qui rendent la construction de logements locatifs non rentable, l’opposition citoyenne chronique aux tours résidentielles, la réticence des villes à accepter la densification, leur lenteur à délivrer des permis et les redevances qu’elles imposent aux promoteurs.

« Je suis en partie d’accord avec lui, dit Thomas Dufour, coprésident du promoteur Groupe HD. Ça se fera en deux temps. L’an prochain, il y aura une reprise des mises en chantier avec le desserrement des conditions de financement. Mais pour une reprise significative majeure, je suis d’accord que ça va prendre cinq ans encore », confie celui dont le groupe a lancé un projet de condos de 350 logements en mai dernier au 2600, boulevard Cavendish.

Effondrement des permis de bâtir au centre-ville

Les données sur les permis de bâtir, indicateur avancé des mises en chantier au cours des deux années subséquentes, semblent confirmer le scénario pessimiste.

Une comparaison des permis délivrés au centre-ville au cours du premier semestre des années 2022 et 2023 réalisée par l’Institut de développement urbain du Québec (IDU) montre que l’arrondissement de Ville-Marie a autorisé 3040 logements en 2022, mais seulement 45 cette année.

Sur l’ensemble du territoire de Montréal, la chute des permis au premier semestre est de 61 %, les logements autorisés étant passés de 6354 en 2022 à 2451 en 2023.

« Je ne pense pas non plus que les mises en chantier vont remonter pour la peine prochainement, dit Mario Fortin, professeur d’économie à l’Université de Sherbrooke. Ça va être plus compliqué qu’une simple baisse de taux. Empiriquement, les entrepreneurs font plus de construction quand c’est rentable d’en faire. »

L’enjeu aujourd’hui, c’est que les coûts de construction ont monté plus vite que la capacité des ménages de payer des logements.

Mario Fortin, professeur d’économie à l’Université de Sherbrooke

Hélène Bégin a sursauté quand elle a pris connaissance des propos de Gilles Ouellet. « Si les taux d’intérêt étaient bas, il s’en construirait des logements au Québec », lance l’économiste de Desjardins. Elle pointe les 68 000 mises en chantier de 2021, période où les taux d’intérêt étaient au plancher.

L’institution financière prévoit une première baisse des taux autour du deuxième trimestre 2024. Ils ne reviendront toutefois pas au niveau de 2021, prend-elle soin de préciser. Elle s’attend à ce que les taux hypothécaires de 1 et de 5 ans redescendent sous les 5 % en 2025. Cette année-là, Desjardins prévoit 46 000 mises en chantier, en hausse de 30 % par rapport au creux attendu cette année.

« Serait-ce suffisant ? se demande l’économiste à voix haute. La baisse des taux va aider un peu dans les propriétés destinées aux propriétaires-occupants. Dans le locatif, ça reste à voir. C’est certain que plus d’injection de fonds publics est nécessaire, notamment dans le logement social et abordable. »

« Il va falloir que le gouvernement s’en mêle d’une façon ou d’une autre », corrobore Gilles Ouellet. Ce qui prendra du temps et qui n’ira pas sans heurt, d’après lui. Il cite l’exemple des maisons des aînés, dont la livraison a pris du retard. Leur construction chapeautée par l’État revient à 800 000 $ et plus par logement.

Programme embourbé

Autre exemple, le populaire programme APH Sélect de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) est embourbé. Il accorde des conditions de financement avantageuses aux projets locatifs respectant certaines exigences qualitatives.

« Les dossiers déposés en ce moment ne sont pas traités avant six mois », témoigne Marc-Antoine Chevalier, président du Groupe Chevalier Séguin. Sa société projette de construire un immeuble de 72 logements à Saint-Amable, en Montérégie. Il a déposé sa demande auprès de la SCHL le 20 mai dernier. Il attend maintenant une réponse en novembre.

L’allongement des délais découle de changements entrés en vigueur le 19 juin, explique la société de la Couronne dans un courriel, lesquels « ont contribué à un afflux important et anormalement élevé de demandes ».