Les bonnes nouvelles sont rares en matière de logement abordable, ces jours-ci.

Je vous en sers deux, sur un plateau.

La première : l’UTILE, une entreprise d’économie sociale spécialisée dans la construction de logements étudiants, vient de se hisser dans le top 100 des sociétés qui connaissent la plus forte croissance au Canada, selon le prestigieux classement de Report on Business1.

Il s’agit d’une reconnaissance inusitée pour un organisme à but non lucratif. Aussi, et surtout, d’une preuve qu’un modèle d’affaires axé sur le logement abordable peut fonctionner à fond.

La deuxième bonne nouvelle ? Préparez-vous bien pour celle-là.

La Ville de Montréal et son arrondissement central sont capables de faciliter grandement la vie aux promoteurs.

Pour le plus récent projet de l’UTILE, à l’angle du boulevard Saint-Laurent et de la rue Ontario, la levée des obstacles bureaucratiques permettra au groupe d’accélérer d’un an son calendrier de construction et d’économiser des millions.

Une efficacité presque émouvante tant elle est rare.

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Certains pourraient le qualifier d’idéaliste, mais Laurent Levesque, qui a cofondé l’UTILE en 2012, m’apparaît d’abord et avant tout pragmatique. Le jeune diplômé en urbanisme a passé des années à analyser le problème du manque de logements étudiants, sous toutes ses coutures, avec ses collègues.

Ils ont réussi à pondre un modèle pour construire vite, bien, et à bon coût.

Un modèle qui fonctionne dans la vraie vie, pas juste sur papier.

L’UTILE a mis en chantier ou terminé quatre immeubles flambant neufs, qui hébergent à ce jour 500 étudiants. Ils seront 3000 d’ici trois ans et les visées de l’entreprise sont bien plus vastes encore.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Laurent Levesque, directeur général et cofondateur de l’UTILE

« Pour nous, ce n’est pas insoluble : on a trouvé une solution pour le logement étudiant et on est en train de la faire exploser à travers le Québec », m’a fait valoir Laurent Levesque en entrevue dans ses bureaux du centre-ville de Montréal.

Les projets du genre ne sont pas admissibles aux subventions traditionnelles, comme celles du programme provincial AccèsLogis. Pour arriver à les faire sortir de terre, l’équipe de l’UTILE a dû imaginer de nouveaux modes de financement.

En plus des acteurs établis, comme le Fonds immobilier de solidarité FTQ ou Desjardins, le groupe a eu recours à des investisseurs insoupçonnés : les associations étudiantes. La Students’ Society of McGill University, par exemple, injectera 1,5 million dans le nouveau projet du boulevard Saint-Laurent.

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L’UTILE est une entreprise « sociale », mais elle ne néglige pas la gestion serrée de ses coûts de construction pour autant. C’est primordial dans le contexte inflationniste actuel.

Le groupe a raffiné sa recette au fil de ses premiers projets. Il la reproduit d’un chantier à l’autre, avec quelques variables, pour réduire la facture.

Par exemple : le modèle des studios et des appartements est à peu près le même partout, ce qui évite de repartir à zéro chaque fois, avec tout ce que cela implique en plans et devis et en recherche de nouveaux fournisseurs.

« On ne fait pas de miracles », résume Laurent Levesque.

Le groupe s’en est sorti jusqu’ici avec des coûts de construction d’environ 200 000 $ par unité, en deçà de la moyenne récente des projets de logements sociaux.

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Les logements de l’UTILE ne sont pas considérés comme « sociaux », mais plutôt « abordables ». Leurs loyers se situent de 20 % à 30 % sous le prix moyen du marché.

Dans le projet La Rose des vents, du quartier Rosemont à Montréal, les studios se louent à partir de 709 $ par mois, et les logements de deux chambres, à 1275 $. À Trois-Rivières, dans un autre immeuble en construction, les quatre et demie seront offerts à 949 $.

PHOTO FOURNIE PAR L’UTILE

Un studio de l’immeuble La Rose des vents, à Montréal

Les locataires signent des baux et doivent libérer les lieux une fois leurs études universitaires terminées, pour faire place à une nouvelle cohorte.

Le bénéfice de construire des immeubles réservés aux étudiants est double, fait valoir Laurent Levesque. Il permet de répondre à un besoin bien réel – la pénurie de logements étudiants est grave – et de libérer du même coup des appartements locatifs dans le marché « traditionnel », tout aussi tendu.

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Revenons à la Ville de Montréal, maintenant.

Elle a mis toute la gomme pour fluidifier les procédures administratives avec le plus récent projet de l’UTILE, qui comptera 167 logements.

La Ville a d’abord accordé une dérogation pour permettre une plus grande densité de construction sur ce terrain payé 7,6 millions. Les étages supplémentaires feront grimper la juste valeur marchande du lot à 13,2 millions, estime l’UTILE, ce qui représente une « création de valeur » de 5,6 millions.

Autre facteur accommodant, et non le moindre : la Ville a fait cheminer rapidement le dossier du projet dans ses différentes instances, souvent arides, comme le comité consultatif d’urbanisme (CCU). Elle a aussi approuvé les modifications réglementaires demandées par le promoteur, en vertu de son « article 89 ».

Cela signifie, en français, que le projet ne risque pas d’être ralenti ou bloqué par un référendum du voisinage.

Le coup de pouce de la Ville (qu’on pourrait aussi qualifier de non-nuisance) permettra de devancer d’un an l’échéancier de construction. Des économies de 40 000 $ par mois, soit 480 000 $, en frais d’intérêts sur le terrain.

Grâce à cette accélération, l’UTILE pourra du même coup s’épargner un an d’inflation des coûts de construction (+ 5 %). L’équivalent de 2,35 millions sur un projet évalué à 47 millions.

Ensemble, ces mesures totaliseront plus de 7 millions et contribueront « à rendre le projet financièrement viable et à offrir des loyers abordables », selon l’UTILE. Cela vient plus que doubler la subvention de 6,3 millions accordée au départ par la Ville pour ce projet.

Bravo.

À refaire, le plus souvent possible.

1. Consultez le classement (en anglais)