C’est ce qu’on appelle ne pas savoir choisir son moment.

Alors que de plus en plus de familles tirent le diable par la queue, que les rues sont dans un état lamentable et que de nombreux commerçants se demandent s’ils devront mettre la clé sous la porte, la Ville de Montréal a décidé de verser un double boni à ses cadres cette année.

Pas un, deux !

C’est mon collègue Philippe Teisceira-Lessard qui a révélé vendredi cette information, que la Ville n’avait évidemment pas claironnée1.

Les 1873 cadres de la métropole, déjà parmi les mieux payés des municipalités québécoises avec un salaire annuel moyen de 164 000 $, ont ainsi eu droit à deux chèques supplémentaires en 2023.

Les sommes ne sont pas énormes : on parle ici d’un premier boni moyen de 3700 $ versé au début de l’année, et d’un second de 3150 $ en mai, pour un total d’environ 6 millions.

Mais l’année retenue pour verser une telle gratification, elle, est énormément mal choisie.

Un retour en arrière, de quelques semaines à peine, s’impose ici.

Début septembre, les maires de toutes les plus grandes villes de la province étaient réunis à l’occasion d’un sommet au Vieux-Port de Montréal. À l’ordre du jour : la négociation du prochain pacte fiscal avec le gouvernement du Québec.

Les demandes des villes se calculent en centaines de millions, voire en milliards.

Dans le cadre de cet évènement, la présidente du comité exécutif de la Ville de Montréal, Dominique Ollivier, a évoqué les choix difficiles auxquels la métropole sera confrontée pour boucler son prochain budget2.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

La présidente du comité exécutif de la Ville de Montréal, Dominique Ollivier, photographiée en juin 2023

Je la cite : « Qu’est-ce qu’on va devoir couper ? […] On est en train de boucler nos budgets maintenant. On va avoir des choix à faire. Ces choix-là, on va les faire comme on les a toujours faits, c’est-à-dire en regardant la capacité de payer, en essayant de conserver au maximum les services et en étant conséquents pour ne pas handicaper l’essor de notre économie. »

Le ton était dramatique et la perspective de coupes, bien réelle.

Six jours plus tard, l’administration de Valérie Plante annonçait son grand projet de réaménagement de la voie Camillien-Houde, sur le mont Royal.

Facture pour les contribuables : 91 millions de dollars.

On a observé le même genre d’incohérence dans le dossier du financement des transports en commun.

La Société de transport de Montréal (STM) a annoncé en novembre dernier que son manque à gagner s’élèverait à 78 millions pour l’année 2023, et qu’elle devrait réduire des services pour équilibrer les comptes.

Montréal a demandé sur tous les tons au gouvernement Legault de fournir plus d’argent pour renflouer les coffres de sa société de transport.

Quelques mois plus tard, l’administration Plante annonçait la gratuité pour les aînés dans les transports en commun… une mesure qui coûtera 40 millions par année aux Montréalais.

L’agacement des contribuables montréalais est grandissant par rapport à bien des dépenses de la Ville. Ils se demandent – avec raison – si chaque dollar d’argent public est bien dépensé.

On pourrait certainement affirmer que poser la question, c’est aussi y répondre.

Le gouvernement du Québec, grand bailleur de fonds des villes, voit aussi d’un mauvais œil ce double discours de la métropole, qui d’une part réclame sans cesse plus de fonds, et d’autre part multiplie les dépenses qui font sourciller.

Le pire dans tout ça, c’est que Montréal et les autres grandes villes ont plusieurs raisons valables de demander davantage de transferts provinciaux. Elles doivent assumer de plus en plus de nouvelles responsabilités, à même leur assiette fiscale limitée, notamment en matière d’itinérance, de logement social et de changements climatiques. Les besoins sont urgents et criants.

Toute cette histoire m’a fait penser à une expression bien québécoise qu’un bon ami me sort souvent : « si t’aides pas, nuis pas ».

Ces temps-ci, on ne peut pas dire que Montréal aide sa cause.

1. Lisez l’article « Double boni pour les 1800 cadres » 2. Lisez l’article « “Qu’est-ce qu’on va devoir couper ?”, demande Montréal »