Sans tambour ni trompette, l’administration Plante a décidé de verser un double boni aux 1800 cadres de la Ville de Montréal en 2023, afin de les retenir dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre.

Cette largesse, versée en mai, représente une dépense supplémentaire de près de 6 millions, soit 3150 $ par cadre en moyenne. Ils avaient déjà reçu un chèque moyen de 3700 $ au début de l’année, leur boni de performance pour l’année 2022.

Les cadres municipaux avaient été privés de prime annuelle en 2020, « pour contribuer à l’équilibre budgétaire » en début de pandémie, en échange de trois jours de congé additionnels. Dans un courriel, le service des communications de la Ville a indiqué que la double prime de 2023 correspondait à ce « boni non versé ».

Mais « ce n’est pas vraiment le bonus de 2020 », a convenu la présidente du comité exécutif, Dominique Ollivier, en entrevue téléphonique. Les cadres qui sont partis entre-temps ne reçoivent pas la prime et les nouveaux cadres – qui n’ont rien perdu en 2020 – y ont droit.

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L’édifice Lucien-Saulnier, où les activités politiques et démocratiques ont été transférées durant les travaux majeurs de rénovation à l’hôtel de ville de Montréal

« Je fais partie des cadres qui se sont serré la ceinture à cette époque-là et qui n’ont pas eu de retour », a illustré Mme Ollivier, qui était présidente de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) en 2020.

Pour chaque cadre, le montant du second boni correspond à 85 % du premier.

« Assurer la stabilité des équipes »

Si les cadres de la Ville ont droit à une double prime, c’est d’abord et avant tout pour s’assurer qu’ils restent à la Ville, a indiqué Dominique Ollivier.

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Dominique Ollivier, présidente du comité exécutif de la Ville de Montréal

On a voulu faire un geste pour reconnaître leur travail. Les conditions de travail de nos cadres ne ressemblent pas toujours à ce qu’on leur offre dans le privé.

Dominique Ollivier, présidente du comité exécutif de la Ville de Montréal

« Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre et de compétitivité entre les employeurs », il fallait prendre une telle décision pour « assurer la stabilité des équipes et la qualité des services aux citoyens », a ajouté la Ville.

Par ailleurs, « il n’y a plus tellement d’écart entre les professionnels et les cadres » sur le plan salarial, ce qui décourage certains employés de monter en grade le temps venu, a dit Mme Ollivier.

« Ils ont fait un effort »

Le double boni sert aussi de remerciement pour le travail réalisé pendant la pandémie, sans prime de performance. « On a voulu reconnaître le fait qu’ils ont fait un effort », a-t-elle ajouté. La Ville a souligné « leur contribution dans le maintien de services de qualité aux citoyens pendant et depuis la pandémie ».

En 2020, l’administration Plante avait promis de geler les taxes municipales malgré un lourd déficit. « La pandémie a un impact significatif sur le budget municipal, avait alors écrit le directeur général Serge Lamontagne. C’est pourquoi l’administration a demandé à tous les groupes d’employés et d’employées de la Ville de faire leur part pour contribuer à l’équilibre budgétaire 2020. »

Cette semaine, l’Association des cadres municipaux de Montréal (ACMM) n’a pas voulu commenter les largesses de l’employeur. « Nous vous informons que nous n’avons pas de commentaires à formuler concernant la situation », a indiqué la chargée de communication Sylvie Audet, par courriel.

La Ville de Montréal compte 1873 postes de cadre, selon le budget 2023. Leur rémunération globale s’élève à 308 millions, soit une moyenne de 164 000 $ par cadre.

« La part du lion » aux cadres

Robert Gagné est professeur à HEC Montréal. Il a cosigné une étude en 2020 sur la rémunération dans les municipalités du Québec.

À emploi équivalent, les fonctionnaires municipaux gagnent beaucoup mieux leur vie que les employés des autres secteurs, et les cadres et les contremaîtres « accapareraient la part du lion en matière de rémunération » dans les municipalités, conclut le document.

Même s’ils supervisent un plus grand nombre d’employés, les cadres et contremaîtres des grandes villes détiennent un avantage salarial marqué sur leurs homologues des municipalités de plus petite taille.

Extrait d’une étude publiée en 2020 sur la rémunération dans les municipalités du Québec

En entrevue téléphonique, M. Gagné a indiqué qu’il était possible que certains cadres montréalais soient recrutés par le privé, mais qu’il ne fallait pas perdre de vue le tableau général : les employés municipaux sont mieux payés que les autres. La sécurité d’emploi quasi absolue qu’offre une ville est aussi difficile à quantifier, a-t-il ajouté. « Ce sont des emplois garantis, à moins de commettre des fautes graves », a-t-il souligné.

Quant à la faible différence de rémunération entre professionnels et cadres, il s’agit d’un réel problème vécu par un grand nombre d’organisations.

Mais encore faut-il qu’un tel phénomène soit documenté et explicité avant de prendre des décisions comme celle de verser une double prime.

« Est-ce qu’ils ont des données à présenter sur le taux de roulement dans ces postes-là, est-ce qu’ils ont de nombreux départs ou c’est juste parce que les cadres chialent un peu ? a-t-il souligné. Normalement, si la Ville est bien gérée, il y a un diagnostic de la situation. »